Dans le principe, parler de « forêt urbaine » est un oxymore. La forêt, par essence, est ce qui échappe à l’ordre réglementé de la ville, en développant un écosystème à part entière. Pourtant, ces dernières décennies, les projets de renaturer les villes ne cessent d’être évoqués au regard du réchauffement climatique. À Paris notamment, Anne Hidalgo a lancé la première forêt urbaine sur la place de la Catalogne (14e) : est-ce un fantasme ou une vraie solution pour rafraîchir la ville ?
Renaturer la ville
Les forêts urbaines ne se résument pas à quelques arbres dressés en plein cœur des tours d’immeubles. Il peut parfois s’agir de vestiges de boisements anciens, comme c’est le cas au bois de Boulogne, ou de boisements plantés dans des quartiers de la ville afin de rafraîchir un îlot de chaleur. Ces nouvelles stratégies de lutte contre le réchauffement climatique n’ont pas toujours été soutenues. En effet, si l’hygiénisme du XIXe siècle valorisait les espaces verts pour assurer une qualité de l’air, ceux-ci étaient conçus dans des espaces restreints et maîtrisés, à l’intérieur de clôtures ou le long de boulevards.
Bien qu’un pharmacien du nom de Luke Howard aurait décrit le phénomène d’îlot de chaleur urbain dans son ouvrage The Climate of London en 1818-1820, ce terme a été spécifiquement inventé ces dernières années, et n’est entré dans le dictionnaire Le Petit Robert qu’en 2022. Cela dévoile le début d’une préoccupation écologique dès la période industrielle, qui est aujourd’hui prégnante dans notre conception contemporaine de l’urbanisme.
Les bénéfices recherchés
Plusieurs études consacrées à la forêt urbaine objectent en premier lieu un bénéfice environnemental. Tout d’abord, celle-ci devrait contribuer à rafraîchir l’air et les sols de la ville, grâce à l’humidité des végétaux. Cela serait d’une grande aide pour faire baisser la température, en particulier lorsqu’on estime que des métropoles comme Paris devraient atteindre un pic à 50 °C durant les futurs étés.
Autres avantages annoncés : certaines plantes pourraient purifier l’air en absorbant le dioxyde de carbone (CO2), humidifier les sols, et favoriser la présence de certains animaux et végétaux. En créant des forêts urbaines, la dynamique de la ville est aussi transformée : puisqu’elle s’impose comme un espace calme et frais, elle devient aussi un lieu de promenade avec plusieurs aménagements prévus pour les piétons.
Dans la réalité
Aux vues des estimations concernant le climat, on peut toutefois se demander si le projet de forêt urbaine n’est pas une vaste utopie. Certains chercheurs alertent sur l’inefficacité de planter une grande densité d’arbres sur un territoire restreint : le résultat serait contre-productif, puisque les arbres vont pousser en hauteur sans développer de branche et de feuillage, ce qui va limiter l’ombrage et l’absorption de CO2.
L’autre problématique concerne l’espérance de vie des arbres. Le choix des espèces, leur maturité et leurs interactions avec le sol sont des facteurs importants pour créer une forêt durable. Afin de la préserver, il faut donc sélectionner des espèces qui existaient sur le site de plantation avant que la ville se développe. Les assemblages devront aussi être pensés en fonction de l’émulation et de la coopération entre ces espèces, tout cela en prenant en compte les changements climatiques qui vont avoir lieu dans les prochaines années.
Des pour et des contre
Il est certain que le modèle de la forêt urbaine reste encore trop récent pour pouvoir estimer son efficacité. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il faudrait au moins 9m2 d’espaces verts par habitant, ce qui est tout juste le cas pour une métropole comme Paris, avec des arrondissements plus ou moins végétalisés. Si la création d’espaces naturels semble dans tous les cas positive, il faut davantage porter un jugement sur la manière dont sont pensés ces nouveaux aménagements.
Il faut en premier lieu s’assurer de la cohérence de la politique urbaine : plusieurs villes ont décidé d’artificialiser les sols et d’y insérer des arbres en pot. Les racines sont alors restreintes dans un espace clos, et ne peuvent se développer sous le bitume. Ces nouvelles stratégies sont mises en place avec empressement, sans remettre pour autant en cause la bétonisation des chaussées ou la climatisation de bâtiments mal isolés. Une véritable étude reste donc à faire pour estimer la pérennité d’une forêt urbaine, et adapter les plantations selon leur environnement.
Romane Fraysse
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Image à la une : La forêt urbaine sur la place de la Catalogne – © Joséphine Brueder / Ville de Paris