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Le quotidien d'un volontaire parisien en EHPAD

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Par Alexandre L

Alors que le Covid-19 poursuit sa progression, la barre des 2 500 personnes décédées des suites du virus dans les Ehpad a presque été franchie à la date du mardi 7 avril. Entre peur, déprime et sentiment d’oubli, occupants et personnel de ces établissement vivent plus que difficilement cette situation critique.

Nous avons recueilli le témoignage de Xavier, 39 ans, habituellement barman, qui s’est courageusement porté volontaire pour apporter son aide aux effectifs restreints d’un Ehpad privé de Bobigny, dans le 93.

Comment en êtes-vous venu à devenir volontaire ?

Ma mère était directrice d’une maison de retraite donc jeune, j’avais l’habitude de bosser dans les Ehpad l’été. Après 15 jours de confinement, je n’en pouvais plus, il fallait que je trouve quelque chose à faire. Puis j’ai vu le SOS d’un ami sur Facebook qui est infirmier et qui bosse dans un Ehpad privé à Bobigny. D’ailleurs, son message a été partagé plus d’une centaine de fois. Même sans avoir les qualifications officielles, il a accepté que je les aide. Ils sont sous l’eau.

Xavier explique que le désarroi palpable de son ami, au sein d’une équipe en sous effectif, l’a poussé à lui venir en aide : Le problème : dès le début de la pandémie, plus d’un tiers du personnel a simplement cessé le travail : arrêt maladie, abandon de poste etc, laissant le reste de l’équipe concrètement dans le désarroi. Quand je suis arrivé, j’ai trouvé une équipe motivée mais fatiguée, à bout de nerfs. Certains sont en poste depuis 15 jours sans jours off faisant du 8h – 21h tous les jours.

Comment s’est organisé l’établissement face à la progression du virus ?

Des premiers cas de Covid se sont déclarés assez vite mais pour éviter la propagation de la maladie dans l’Ehpad, ils ont tous été placés dans un même service. Personne n’a le droit d’aller d’un étage à l’autre (personnel et résidents compris). Seul le personnel de la cuisine mais ils ne sortent jamais de l’ascenseur. Les résidents sont contraints de rester dans leur chambre. Aucun mouvement dans les couloirs. Les visites sont interdites. Les personnes âgées sont coupées du monde. Ils le vivent de plus en plus mal. Certains (les plus séniles) s’imaginent que leurs familles les ont abandonnés. Grosse déprime dans la résidence.

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Quel degré de précautions a été mis en place ? 

Une psy et une kinésithérapeute se baladent de chambre en chambre (les seules autorisées à se déplacer au sein de la résidence. Ce qui est impressionnant, c’est le fait de devoir s’équiper avant de rentrer dans chaque chambre. En plus de notre uniforme (nous ne gardons pas nos vêtements sur nous), on met une sur-blouse, une charlotte sur la tête, un masque FFP2 et un masque chirurgical en plus dessus. Les FFP2 sont rationnés (2 par personne et par jour), des lunettes de protection, un tablier en plastique et des gants. Protocole obligatoire quand on rentre et quand on sort de la chambre. Toutes les surfaces sont constamment nettoyées à l’eau de javel.

Depuis que je suis là, aucun résident ou même autre membre de l’équipe n’a vu mon visage. Nous sommes constamment masqués ! Imaginez les rapports humains !

Quel est le ressenti des résidents de l’établissement ? 

Certains résidents ne comprennent pas ce qu’il se passe. Du jour au lendemain, ils sont passés d’un lieu de vie paisible à une vie recluse, seuls avec des cosmonautes qui rentrent dans leur espace de vie et qu’ils ne connaissent pas. La moitié du nouveau personnel est comme moi, volontaire.

Il règne une ambiance de situation catastrophique, un sentiment de siège. C’est glauque ! Le hall est barricadé, personne ne rentre ou sort comme ça. Il est jonché de cartons de matériel partout. Prise de température obligatoire à l’entrée de la résidence.

Avez-vous eu à faire face à des décès ? 

Malgré toutes ces précautions, les cas Covid s’enchaînent et hier, le premier décès. Tous s’attendent à une catastrophe ! Également : 2 cas Covid au sein du personnel, contaminés avant la mise en place du plan d’urgence. C’est la tâche d’un seul membre du personnel : quand un décès est constaté, le corps est nettoyé à l’aide d’une solution hydro-alcoolique puis enveloppé dans 2 draps. Ensuite, le tout est mis dans une housse plastique javellisée par la suite et replacé dans une autre housse. Le corps part. Aucune cérémonie, aucun enterrement avec la famille. Les familles, d’ailleurs, appellent tous les jours. Elles ne sont pas sures de revoir leurs proches !

Ce qui me concerne le plus, c’est le fait de potentiellement contaminer donc de tuer. Car je pars du principe que je l’aurai, comme nous tous ici. Pour moi, ça devrait bien se passer, normalement ! Pour eux, c’est la mort au bout du chemin. C’est stressant !

Xavier, se voyant d’avantage comme un témoin éphémère de cette situation souligne également le rôle des “héros” qui sont restés : Franchement, je le fais pour mon pote qui est au bout du rouleau. Cela fait déjà deux ans qu’il travaille là-bas, il a eu le temps de s’attacher aux résidents, ce sont devenus des proches pour lui. Je ne suis qu’un témoin, eux sont des vrais héros.

2 417, c’est le nombre officiel de décès liés au Covid-19 dans les Ehpad au 7 avril. Bien que déjà important, ce chiffre risque d’augmenter considérablement dans les jours à venir, comme le craignent certains spécialistes de la santé. “Il ne s’agit que de chiffres partiels”, a d’ailleurs indiqué Jérôme Salomon, directeur de la Santé.