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A la rencontre des « Minets », les gentils voyous du Drugstore

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Par Romane Fraysse

« J’ai pas peur des petits minets qui mangent leur ronron au Drugstore » : dans sa fameuse chanson sur les Play Boys, Jacques Dutronc ironise sur la nouvelle bande qui squatte depuis peu les coins branchés des Champs-Elysées. Né de l’argot, le surnom « Minets » baptise dès lors ces jeunes Parisiens de bonne famille, reconnaissables à leur style androgyne et à leurs influences britanniques.

L’éveil d’une sous-culture parisienne

Les « Minets », on commence à les voir dès les années 1960 dans certains quartiers de Paris. Toujours tirés à quatre épingles, le cheveu soyeux et la démarche assurée, ces jeunes garçons bien nés quittent tout juste les bancs des lycées catholiques, et par là même, leurs uniformes. Au diable Neuilly, ils préfèrent vagabonder dans les allées chics du centre, boire quelques verres et draguer les filles.

Influencés par les mods, ces nouvelles silhouettes se convertissent au style « british », et n’écoutent plus que des 45 tours de pop anglaise et de rhythm’n’blues, comme les Who, les Pretty Things, les Beatles, mais aussi Otis Redding, Aretha Franklin ou James Brown. Ils dévorent les pages de Melody Maker ou Disco-Revue, et se branchent sur les ondes des radios pirates britanniques.

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Les Minets devant l’Arc de Triomphe, Jean-Louis Seigner, mai 1963

Le jeudi après-midi et le samedi soir, ils squattent les boums du Drugstore des Champs-Elysées. Et les autres jours, chacun s’échange quelques adresses où s’organisent des soirées. Mais gare aux apparences ! S’ils viennent de la bourgeoisie, ces gueules d’ange aiment tout de même se la jouer rebelle, n’hésitant pas à piquer quelques sacs, se bagarrer dans les rues et saccager l’ambiance des rallyes. La blague courante, c’était de conseiller aux non-initiés une super boum au 22 quai de la Rapée, une adresse qui se trouve être celle de la Morgue de Paris ! Bien que moqueurs et perfides, les Minets n’en restent pas moins de gentils voyous toujours bien apprêtés. L’argot parisien s’est d’ailleurs donné à cœur joie de leur trouver un surnom qui ironise sur leur coquetterie si précieuse.

Un style signé Renoma

Le style très léché des Minets, on le doit à un certain Maurice Renoma. Fils du tailleur Simon Cressy, il commence dès l’âge de 15 ans à se confectionner ses propres vêtements en s’inspirant de la mode anglaise. Dès 1959, il est l’un des premiers à fréquenter la bande très huppée du Drugstore, qu’il commence à habiller dans la boutique de son père, rue Notre-Dame-de-Nazareth. Bientôt, le cercle s’agrandit, et les essayages se font directement dans les Rolls de ses clients, garés à l’entrée.

Ce nouvel uniforme est avant tout composé de vestes cintrées et de pantalons en velours milleraies, portés avec des pulls shetlands aux couleurs vives, des chemises Oxford et des mocassins JM Weston. Avec cela, les Minets avaient tous une coupe de cheveux mi-longue, avec la raie minutieusement dessinée sur le côté. Bien que cette tendance concerne surtout les hommes, on compte aussi quelques « Minettes » aux pulls en jacquard et aux longues franges.

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Les Minets devant une vitrine Renoma – © Renoma

Dès le début des années 60, des célébrités se bousculent au portillon de la boutique Renoma, désormais installée rue de la Pompe : le styliste habille Gainsbourg, John Lennon, Dali, Valérie Giscard d’Estaing ou François Mitterand. Une mode classique et élégante, que les Minets ne voudront pas voir associée à une personnalité ou à un engagement : pour eux, il s’agit avant tout d’une question de « goût ».

La bande du Drugstore

Les Minets resteront éternellement associés au Drugstore des Champs-Elysées. Un endroit d’un nouveau genre, dont le concept a été ramené des Etats-Unis par son directeur Marcel Bleustein Blanchet. A la fois pharmacie, bureau de presse, magasin de disques et de parfums, l’établissement permet aussi de se restaurer jusqu’aux heures les plus tardives. Un endroit encore inédit en France, dont l’inauguration en 1958 est évoquée comme « l’événement mondain du siècle ».

Sur les murs, on retrouve des décors inspirés du Far West. Les Minets jouent aux rebelles entourés de fusils et de compartiments de train. Certains lisent les magazines en savourant un banana split, tandis que d’autres paradent dans les boutiques et chantent en yaourt du Paul McCartney. Parmi eux, on rencontre fréquemment Fabrice Luchini, Jean-Paul Goude, Richard Berry ou François Armanet, à qui l’on doit le livre La Bande du Drugstore.

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Minets devant le Drugstore, Raynor, Dorka, 1962

En s’étalant sur cinq ans, l’époque des Minets reste un bref épisode de l’histoire moderne. A partir de Mai 68, la plupart d’entre eux comprennent que les événements se déroulent désormais à Rive gauche. Certains partent donc se munir de pavés et de banderoles, tandis que d’autres préfèrent décamper en retrouvant les ronrons de la vie bourgeoise.

Romane Fraysse

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