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Adèle Blanc-Sec ouvre le bal du mystérieux Paris de la Belle Époque

Par Romane Fraysse

L’esprit libre et l’air renfrogné, l’élégante Adèle Blanc-Sec arpente le Paris de la Belle Époque à travers des histoires aussi rocambolesques les unes que les autres. Avec ses bêtes préhistoriques, ses sectes millénaires et ses attentats déjoués, la Ville Lumière a plus d’un tour dans son sac ! Et c’est entre les rues haussmanniennes et les somptueux monuments que l’héroïne de Tardi va mener une longue enquête sans queue ni tête aux côtés de scientifiques, de malfrats et de policiers aussi imbéciles qu’exubérants.

Une enquête dans le tout-Paris

Un dinosaure qui éclot au Muséum national d’Histoire naturelle, une trappe secrète en plein milieu du Pont-Neuf, un étrange démon assyrien qui occupe la tour Eiffel ou des sacrifices sataniques dans les Catacombes… Le Paris de Tardi se transforme peu à peu en un immense théâtre dans lequel s’enchaînent les énigmes, colorant le paysage de la Belle Époque d’une aura fantastique.

Durant les 8 tomes de ses extraordinaires aventures, Adèle Blanc-Sec ne se cantonne pas qu’au quartier d’Alésia, où elle habite un appartement situé au 43 rue Bezout. Au rythme de son enquête, on la voit déambuler de la gare de Lyon à celle de Montparnasse, visiter les tombes du Père-Lachaise et les squelettes préhistoriques du Muséum, escalader les grilles du parc Monceau et plonger dans les égouts sous l’Île de la Cité.

Appartement d’Adèle Blanc-Sec, 43 rue Bezout dans le 14 arrondissement de Paris

Ses traversées nous ramènent dans les décors haussmanniens du début du XXe siècle, où les grands immeubles aux balcons ornementés côtoient les kiosques à journaux, les colonnes Morris et les édicules Guimard. Les commerces, quant à eux, affichent fièrement leurs enseignes en fer forgé, du Bouillon Chartier des Grands Boulevards au magasin de farces et attrapes du passage Verdeau. Ainsi, entre les poursuites haletantes et les rendez-vous piégés, l’action mène toujours à des adresses précises qui sont les véritables moteurs de la narration.

Tardi dans l’âme des lieux

On remarque souvent dans l’univers de Tardi que les lieux sont à l’origine de l’histoire qu’ils vont raconter. En se lançant dans l’histoire d’Adèle Blanc-Sec, l’auteur reconnait faire des rues parisiennes sa véritable ligne de conduite : « Je dessine d’abord le décor, et après seulement les personnages ». Si le premier tome s’ouvre sur la galerie de paléontologie du Jardin des Plantes, c’est seulement parce qu’il se plaît à dessiner cet endroit poussiéreux où s’accumulent les ossements de créatures insolites. Et c’est dans ce berceau intime que naît ensuite le récit.

Première planche d’”Adèle et la Bête” (tome 1) de Tardi

Le silence d’une chapelle, l’ésotérisme d’un souterrain, la contorsion d’un pont… tout s’imbrique pour tisser un paysage intérieur, dans lequel l’émotion est reine. On devine un attachement à l’esthétique de certains lieux méconnus, tels que les escaliers de la rue d’Alsace ou la pyramide du parc Monceau, laissant entrevoir une étude minutieuse de l’architecture parisienne.

Une nostalgie de la Belle Époque

Dans les vastes décors où s’agite Adèle Blanc-Sec, rien n’est laissé au hasard. Mû par sa nostalgie de la Belle Époque, Tardi part en repérage dans les rues de Paris et s’attache aux derniers vestiges de cette période révolue. Ses scénarios délurés ne sont finalement qu’un prétexte pour rendre à la ville son âme d’antan. Il croque insatiablement les rues, puis part en quête de cartes postales, tirages argentiques et journaux d’époque.

Cette documentation précise lui permet de situer son action dans un contexte historique et d’accorder le paysage à ses actualités. Non sans humour, Tardi illustre l’accident du Titanic ou le train défenestré de la Gare Montparnasse comme des attentats ratés contre Adèle Blanc-Sec. Et dans ce retour à la Belle Époque, certains monuments disparus ressuscitent miraculeusement au cœur des arrondissements, à l’instar du Palais du Trocadéro qui se réinstalle en face de la Dame de fer dans une planche du Démon de la Tour Eiffel.

Carte postale par Tardi, page de garde des “Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec”

Mais cette nostalgie profonde pour le Paris d’antan n’empêche pas l’auteur d’y greffer des architectures imaginaires. Ainsi, il se plaît parfois à élargir la perspective d’un boulevard, ajouter un lampadaire sous une fenêtre ou un bistrot à l’angle d’une rue. Au-delà d’une géographie datée, c’est avant tout l’atmosphère fantasmée du Paris de la Belle Epoque que Tardi représente dans la saga d’Adèle Blanc-Sec.

Romane Fraysse

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Photo de Une : Tardi, Les toits de Paris, 1990