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Les rues de Paris racontées à travers son argot

Par Romane Fraysse

Le monde connaît Paris sous différentes appellations aussi élogieuses les unes que les autres : la « Ville Lumière », aussi Capitale de l’amour, de la mode et de la gastronomie, voire « la plus belle ville du monde ». Mais à l’intérieur de ses faubourgs, ses habitants ne manquent pas d’idées pour la titiller, tantôt en ajoutant des suffixes moqueurs, tantôt en la désignant avec un argot ouvertement sarcastique !

Paris et ses noms d’oiseaux

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la langue verte était fréquemment parlée dans la capitale, jusqu’à disparaître peu à peu avec la mondialisation. Néanmoins, si l’on tend bien l’oreille, on peut encore l’entendre dans certains vieux quartiers de la ville, ou même la lire sur certaines enseignes nostalgiques du Paris d’antan.

Ainsi, la plus grande ville de France a longtemps été désignée par le surnom « Pantin » qui se trouve être son village voisin ; une manière de taquiner la capitale souvent bien orgueilleuse. Puis peu à peu, cette plaisanterie évolue pour devenir la « Pantruche », ajoutant un suffixe typiquement argotique qui, loin de valoriser Paris, met surtout en lumière sa population de « pantres », ceux que l’on dupe facilement. Mais, cette moquerie propre au Paris obscur du XIXe siècle ne passe pas le siècle et se voit rapidement remplacée par le beau nom de« Paname ».

Une drôle d’intrusion qui ferait suite au scandale de Panama, une affaire de corruption qui a éclaté dans la capitale en 1892 : étant en difficulté financière, la société française responsable du percement du canal américain est mise en liquidation judiciaire après avoir soudoyé plusieurs députés. Ces escrocs politiques ont logiquement été appelés « les panamistes », un surnom dont les travailleurs de banlieue étaient friands pour qualifier, de manière plus générale, la population arrogante de Paris. Mais les mots résistent toujours aux mauvaises histoires qui tombent rapidement dans l’oubli. Depuis la moitié du XXe siècle, « Paname » se revêt d’une connotation affectueuse, et il n’est pas rare d’entendre ses Parisiens les plus fidèles la nommer de ce joli nom d’amour.

Exposition universelle de 1889 à Paris
Exposition universelle de 1889 à Paris

La mauvaise réputation

Néologismes, calembours, verlan… l’argot parisien n’est pas en manque d’inspiration pour se moquer de sa ville attitrée ! On dit par exemple que les « Chatouilleux » de Châtillon et la « Poisse » de Poissy prennent le « reureu » (RER) pour rejoindre « Tlécha » (Châtelet) ou « Besbar » (Barbès). Sans oublier de passer devant la tour Cifelle (Eiffel), celle dont la maigreur ressemble à une longue ficelle que l’on aurait tendue.

Cette imagination sans borne n’est finalement que le reflet des différents visages de la capitale, souvent tournés au ridicule. S’il existe un argot des métiers (comme les doux noms de « Batignolles » ou « Quincampoix » qui proviendraient d’anciens moulins), l’argot favori des Parisiens est celui des voleurs. Ils ne sont pas rares à se moquer de la saleté des rues marchandes de Paris. On peut relever « la Mouffe » (rue Mouffetard), qui tirerait son nom des « moufettes », ces odeurs pestilentielles qui se dégageaient des tanneries situées en contrebas de la rue. Mais aussi le « Moc-aux-beaux » (place Maubert), longtemps connu comme le repère crasseux des malfamés. En sachant que le « moc » désigne la morve, ce surnom laisse là aussi présager un endroit peu fréquentable.

Vue du marché de la rue Mouffetard, 1900

Et si l’argot des voleurs se veut provocateur, il ne manque pas non plus de faire référence au proxénétisme, très présent dans certains quartiers de Paris, qui donnent leurs noms aux Parisiens les plus désinvoltes. Sur les « boul’s » (Grands Boulevards), on parle des « boulevardières » qui font le trottoir, tandis que les « Mabillards » aux mœurs légères fréquentent le bal de « Mabille » (Mabillon). Il faut donc croire que l’argot de la capitale, loin de participer à l’illuminer, souhaite davantage relever ses traits disgracieux. Mais comme l’on dit : qui aime bien châtie bien !

Romane Fraysse

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Photo de Une : Le Café de Flore en 1900.