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L’histoire des bougnats, à la conquête de la capitale

Par Romane Fraysse

Paris est connue comme une ville aux vingt arrondissements dans lesquels différentes cultures se rencontrent. Si ce brassage n’a pas toujours existé, il s’explique par son histoire récente, celle d’une capitale industrielle qui fait face à un important exode rural au XIXe siècle. Parmi les immigrés, on compte notamment de nombreuses familles provenant de l’Auvergne, que l’on nomme les « bougnats ».

Les petits métiers de Paname

A partir du XIXe siècle, Paris s’ouvre sur le reste de la France grâce aux nouvelles voies du chemin de fer. Bien que les autochtones témoignent d’une certaine réticence, la population se diversifie considérablement en peu de temps : l’ouest se peuple de toute une communauté bretonne, tandis que la rive gauche voit débarquer les premiers Auvergnats. Il faut dire qu’à cette époque, les campagnes traversent une grave crise agricole : les paysans voient leurs revenus chuter librement tandis que la concurrence étrangère s’accroît de plus en plus. Ce phénomène ne va faire qu’engendrer un important exode rural, dont une arrivée massive des immigrés de Haute-Auvergne dans la capitale.

Une famille de bougnats devant un café-charbon parisien, début XXe siècle

L’accueil n’est alors pas des plus chaleureux. Face aux premiers recensements du chômage, les Parisiens voient en ces nouveaux arrivants une véritable menace pour leurs affaires. Le mépris est assumé : on ricane de l’accent et de l’accoutrement de ces habitants des hautes terres. Face à cela, la nouvelle communauté s’isole et n’a pas d’autres choix que de s’adonner à de rudes besognes. Alors que l’eau courante n’existe guère, un grand nombre d’Auvergnats se convertit en porteur d’eau. Dans les rues en plein chantier, on les voit suspendre sur leurs épaules deux seaux d’une douzaine de litres qu’ils montent dans les immeubles pour seulement trois sous. D’autres deviennent rémouleurs, frotteurs de parquets, ferrailleurs ou allumeurs de réverbères.

Mais face aux travaux du baron Haussmann, la capitale se modernise et certains petits métiers disparaissent. De nombreux Auvergnats s’installent alors comme marchands de charbon. C’est à cette époque que les Parisiens commencent à les surnommer les « bougnats », par la contraction de « charbonnier » et « Auvergnat ». Grâce à leur revenu, ils sont de plus en plus nombreux à ouvrir de petites boutiques, dans lesquelles ils développent aussi une autre activité en vogue, la vente de vin. C’est à cette époque que se déploient alors ce que l’on appelle les cafés-charbons, qui connaîtront l’apogée au tournant siècle.

Au bougnat populaire 

A Paris, la nouvelle communauté repeint peu à peu le paysage urbain avec ses petits commerces. L’argot « bougnat » ne quitte plus les lèvres de ses autochtones. Figure typique de la capitale, elle hante désormais les récits populaires, de la littérature à la chanson. Dans Le Mariage de César, Marcel Aymé met en scène un jeune bougnat, vierge et candide, dont la vie change après s’être uni avec une certaine Roseline. D’autres auteurs comme Blaise Cendrars ou Marc Tardieu en font des personnages centraux de leurs œuvres.

Mais c’est sûrement la chanson française qui contribuera le plus à célébrer les Auvergnats de la capitale ! On retient bien sûr le célèbre morceau de Georges Brassens, dont le titre éloquent Chanson pour l’Auvergnat introduit ce doux éloge à la générosité : « Elle est à toi, cette chanson / Toi, l’Auvergnat qui, sans façon / M’as donné quatre bouts de bois / Quand, dans ma vie, il faisait froid ». Dans sa chanson Mathilde, Jacques Brel interpellera quant à lui un bougnat pour recevoir du bon vin, tandis que Nino Ferrer s’y compare lorsqu’il était immigré en Martinique.

Mais le bougnat n’est pas seulement présent dans la culture. Tout comme les Bretons, il va jusqu’à signer sa propre marque de soda : en rupture avec l’hégémonie américaine, le Bougnat Cola voit le jour en 2009 dans une commune de la Corrèze. Un symbole qui dévoile la volonté d’affirmer son identité face à une passé durement marqué par la xénophobie.

Le comptoir auvergnat

Si les café-charbons ont aujourd’hui disparus, les bougnats n’ont pas pour autant déserté la capitale. Sans le savoir, on doit même l’ouverture de certains hôtels et brasseries réputés à de grandes familles d’Auvergnats. A titre d’exemple, les célèbres brasserie Lipp, Café de Flore, Deux Magots et Wepler ont été dirigés par des bougnats. Il en va de même pour le fameux restaurant Maxim’s des Champs-Elysées. Depuis plus d’un siècle, la tradition auvergnate perdure donc dans les assiettes de la capitale. Quelques clins d’œil sont tout de même faits au passé, à l’instar du Café Charbon situé dans le 11e arrondissement parisien. Bien qu’elle n’ait jamais été tenue par un bougnat, cette brasserie de même hommage à l’époque, avec son comptoir en zinc et ses banquettes rouges.

Le Café de Flore, boulevard Saint-Germain à Paris

Récemment, on recense 500 000 descendants des bougnats en Île-de-France, la plupart étant restés dans le milieu de la restauration. D’ailleurs, en se rendant dans les kiosques, on peut encore trouver le journal L’Auvergnat de Paris, créé en 1882, qui s’adresse principalement aux gens du métier. Un récit qui dévoile à quel point les brasseries et les restaurants sont en vérité de grands témoins de notre histoire.

Romane Fraysse

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