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Marceline Desbordes-Valmore, virtuose de la poésie romantique

Par Lisa B

Alfred de Vigny la désignait comme “le plus grand esprit féminin de son temps”. Avant d’être oubliée par l’Histoire, Marceline Desbordes-Valmore était une cantatrice, comédienne et poétesse admirée par ses camarades artistes : Sainte-Beuve, Hugo ou Balzac. Pionnière de la poésie romantique, elle s’est démarquée par sa liberté, sa détermination et son avant-gardisme. 

L’enfer sous les tropiques

Marceline Desbordes naît en 1786 à Douai (Nord) alors que sonnent les prémices de la Révolution. Sa famille, dans une situation relativement prospère, connaît une lente déchéance et ses parents se déchirent. Décidée à provoquer la chance et à refaire fortune, Catherine Lucas, sa mère, abandonne trois de ses enfants et emmène la petite Marceline dans une tragique expédition vers la Guadeloupe. Une fois sur place, après de nombreuses péripéties, c’est la désillusion : le riche cousin dont elles étaient venues réclamer l’aide vient d’être assassiné. Mère et fille vivent de longs mois sous le soleil et dans la pauvreté, en espérant faire partie d’un prochain voyage vers la France. C’était malheureusement sans compter sur une épidémie de fièvre jaune foudroyante qui terrassa Catherine. À peine âgée de 16 ans, Marceline finit par embarquer seule à bord d’un navire la ramenant en Europe, laissant derrière elle, le cadavre de sa mère. “Parmi cette population mourante ou portant le deuil, les oiseaux seuls me paraissaient vivants, parce qu’ils avaient des ailes” écrit-elle plus tard sur cet événement traumatisant. 

Zoom sur Portrait de Marceline Desbordes par Michel-Martin Drolling © Douai, Musée de la Chartreuse. Photographe : Hugo Maertens

Premiers pas sur les planches 

De retour à Douai, Marceline Desbordes retrouve une famille sans dessus-dessous : son père préfère boire que chercher un emploi et ses sœurs se prostituent pour rapporter quelques sous. Pour les aider, la jeune fille sonne à la porte des théâtres où elle avait joué les figurantes avant son départ pour la Guadeloupe. Elle obtient des rôles plus importants et “se plonge avec délice dans les répétitions”. Elle se forme à la diction, au chant et à la danse en autodidacte. Assoiffée de connaissances, elle se forge également une culture qu’elle n’avait pas pu obtenir par son éducation. Le succès ne tarde pas à venir : les critiques saluent son talent prometteur. Après avoir foulé les scènes des théâtres de Lille, Rouen et Bruxelles, Marceline Desbordes débarque à Paris, où elle est embauchée au théâtre de l’Odéon

Mme Marceline Desbordes-Valmore par Antoine Maurin ©Douai, Musée de la Chartreuse.

Si sa carrière de comédienne et de cantatrice lui sourit, sa vie personnelle reste ponctuée de drames. Elle vit de grandes passions avec trois hommes qui lui donnent six enfants. Trois d’entre eux seulement atteignent l’âge adulte et seul son fils Hippolyte lui survit.
En 1817, elle épouse finalement le jeune comédien Prosper Valmore. Ce dernier évoque avec émotion le début de leur relation dans ses mémoires : “Les répliques nous coulaient des lèvres avec une telle évidence que les spectateurs semblaient persuadés que ces personnages de légende et leurs amours retrouvaient leur vérité en nous”. Bien que célèbre dans tout le pays, Marceline Desbordes-Valmore se détourne finalement du théâtre pour se consacrer à sa grande passion : l’écriture. 

“Les femmes, je le sais, ne doivent pas écrire, j’écris pourtant”

Pour Marceline, la poésie est une catharsis. Elle rédige des vers pour sublimer ses souffrances, parler de la condition des femmes artistes ou mettre en avant des personnages féminins comme dans Violette (1839) et Huit femmes (1845). Son art lui permet également de dénoncer l’oppression dont elle a été témoin en Guadeloupe ou lors de la révolte des Canuts à Lyon.
Au-delà de savoir manier la plume et les mots avec brio, elle fait preuve d’une réelle ingéniosité en inventant par exemple le vers impair à 11 syllabes et s’impose comme la pionnière du romantisme

Zoom sur Portrait de Marceline Desbordes-Valmore par Hilaire Ledru © Douai, Musée de la Chartreuse. Photographe : Daniel Lefebvre.

La jeune artiste commence par publier son travail dans L’almanach des Muses avant que l’éditeur François Louis ne fasse paraître son premier recueil Élégies, Marie et Romances en 1818. La presse salue l’ouvrage comme “l’événement littéraire de l’année” ! Avec le temps, les projets se multiplient : elle publie Poésies de Madame Desbordes-Valmore en 1820, Les veillées des Antilles en 1821, L’atelier d’un peintre : scènes de vie privée en 1833, Pauvres Fleurs en 1839… “L’année 1820 allait être celle de la révélation de trois grands talents : mon épouse, Victor Hugo et Alphonse de Lamartine écrit Prosper Valmore dans ses mémoires, témoin du succès florissant de Marceline. 

Par l’intermédiaire du journaliste littéraire Hyacinthe de Latouche, Marceline Desbordes-Valmore rencontre le jeune Honoré de Balzac, tous deux empreints d’une admiration mutuelle. “Balzac s’est intéressé à mon enfance. Comme il ne sait pas dans quelle ville situer son roman, La Recherche de l’absolu, il a songé à Douai […]. Il a pris des notes en mangeant son sorbet à la vanille”, a-t-elle expliqué à son mari en rentrant d’un de leur dîner. Ses pairs ne tarissent pas d’éloges à son sujet. Victor Hugo lui écrit son admiration après la lecture de ses poèmes : “[…] J’avais besoin de vous dire, Madame, que je vous aime vraiment et que je vous admire avec le cœur”. Alexandre Dumas père, quant à lui, signe de sa main la préface du recueil de Marceline, Les Pleurs, publié en 1833. 

Marceline Desbordes-Valmore photographiée par Nadar en 1854.

Atteinte d’un cancer, Marceline Desbordes-Valmore s’éteint en 1859, écrivant ses vers jusqu’à son dernier souffle. “Jadis, on déposait le cœur des personnages célèbres dans une urne. Ce livre est une urne , et toute son âme est dans ce trésor…” s’émeut François Raspail lors de la parution à titre posthume du dernier recueil de la poétesse en juillet 1860. Charles-Augustin Sainte-Beuve travailla à une étude sur certains aspects méconnus de l’œuvre de sa grande amie afin “qu’elle occupe la place qui lui est due” et sur un ouvrage de ses correspondances, qu’il n’eut pas le temps de terminer. 

Oubliée au détriment de ses homologues masculins, il faut attendre le XXème siècle et des travaux de recherche pour que cette grande figure de la poésie retrouve sa légitimité. 

Lisa Back

Crédit tableau de Une : Constant Joseph Desbordes, Portrait de Marceline Desbordes-Valmore, Douai, musée de la Chartreuse [Zoom].

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