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Quand Paris vivait la dernière peste de son histoire

Franck G. Carpenter, Un chiffonnier à Paris, 1920
Par Manon

En 1920, Paris a fait face à une épidémie de peste, la dernière de son histoire que l’on a vite surnommée “la peste des chiffonniers”. Ces derniers, qui collectaient des déchets pour les revendre à des entreprises de transformation, représentaient une population particulièrement pauvre de la capitale et furent les victimes de première ligne de la dernière épidémie de peste parisienne.

Un événement soudain

Le premier cas est déclaré en juin 1920. Un enfant entre à l’hôpital Bretonneau (18e arrondissement) ; il a perdu connaissance et présente un bubon dans l’aisselle droite (les bubons étant des inflammations des ganglions lymphatiques). La ponction du ganglion est sans appel : elle révèle la bactérie de la peste, Yersinia pestis, découverte seulement 26 ans auparavant, en 1894.

Le chef de laboratoire se souvient alors d’un malade présentant des troubles similaires, vu en décembre 1917. Aucun autre cas n’avait été signalé, il n’avait donc jamais pu affirmer de quoi souffrait précisément le patient. Maintenant il en est sûr : une épidémie de peste se propage à Paris… au moins depuis fin 1917 !

La Préfecture de police est prévenue et les enquêtes épidémiologiques sont confiées au Docteur Edouard Joltrain. On découvre très rapidement le cas d’une famille de Clichy, dont le père et l’enfant sont morts de la peste bubonique. La veuve, elle, est atteinte de peste ambulatoire (forme quasi bénigne de la peste bubonique).  Selon la patiente, sa maladie a commencé le jour précis de l’enterrement de son mari et de son fils. Or, la veillée mortuaire est un facteur important dans la propagation de la peste : le neveu de la veuve, lui aussi présent à l’enterrement, sera retrouvé à l’hôpital du Val-de-Grâce, atteint lui aussi d’une forme ambulatoire de la peste.

Les enfants de la zone (Ivry, 1913). Source : Bibliothèque Nationale de France.

Une évolution brutale

Pendant un mois, seuls 5 cas sont déclarés. Mais le 5 août, à l’hôpital Tenon (20e arrondissement), le résultat d’autopsie des époux F. et de leur fille est formel : la famille est décédée de la peste. Joltrain établit que ces personnes avaient veillé les corps de leurs parents décédés, eux aussi, de la peste. 

Il enquête au domicile de ces derniers, à la cité d’Hautpoul dans le 19e arrondissement. Il y découvrira l’un des foyers les plus importants de l’épidémie: il y trouvera et soignera sept cas. Il recherchera ensuite tous les membres de la famille qui avaient assisté à la veillée aux morts et découvrira encore sept nouveaux cas. 

Début août, on dénombre 27 cas, dont 14 mortels, dans quatre foyers différents. L’épidémie continue de s’étendre. À Saint-Ouen, un mort et trois guérisons. À Bagnolet, même proportion. À Pantin, un mort et six guérisons. À Clichy, un mort. 

En septembre, on trouve un autre foyer dans le 17e arrondissement. À la mi-octobre, deux cas sont déclarés parmi le personnel d’un grand hôtel parisien. L’affaire sera étouffée pour ne pas gêner le commerce. Dans le même temps, Joltrain intervient à Villeneuve-la-Garenne, à Aubervilliers, à Montreuil, à Nanterre. À la fin novembre, l’épidémie régresse enfin. Au total, on attribuera 106 cas, dont 34 morts à cette épidémie de peste. 

Habitants de la zone (Ivry, 1913). Source : Bibliothèque nationale de France.

Une certaine population touchée

On la nomme très vite « peste des chiffonniers » car elle se développe dans le milieu de ces derniers, principalement à cause de l’état lamentable de leurs habitations. En raison des loyers trop élevés de la ville, les chiffonniers s’étaient installés dans la zone des fortifications (aussi appelée simplement “la zone”) située autour de Paris. Ils y avaient recréé, avec des matériaux de récupération, de véritables ghettos. Très vite, une population très pauvre s’y installa : à cette époque, 100 000 personnes y vivent dans la vermine, la boue et les rats.  

Pour se débarrasser des rats, Paris mit en place la chasse aux rats dans la ville, récompensant de primes ceux qui éliminerait le plus de rongeurs. Cependant, on remarqua vite deux inconvénients majeurs à cette décision. D’abord, l’élevage clandestin de rats se développa. L’objectif était soit de toucher plus de primes (qui étaient de 25 centimes par queue), soit d’alimenter les ratodromes de la ville (cages où l’on faisait combattre des rats et des chiens). Les conséquences sanitaires de cet élevage de rats furent évidemment désastreuses. De nombreux Parisiens se mirent directement en contact avec les maladies des rats : la leptospirose et, pire encore, la peste.

Vue générale des fortifications à Saint-Ouen (93). Carte postale ancienne.

Un peine un an auparavant, le monde succombait à la grippe espagnole : de 1918 à 1919, 50 millions de personnes moururent de la plus terrible épidémie de grippe de l’Histoire. 

À lire également : Comment Paris affrontait la peste noire de 1347 ?

Manon Gazin