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Théophile Steinlen, le Zola de la Butte Montmartre

Par Romane Fraysse

Né en Suisse à la fin du XIXe siècle, Théophile Steinlen est rapidement tombé sous le charme de l’illustre butte Montmartre, alors en pleine effervescence artistique. Connue de tous pour sa célèbre affiche sur la Tournée du Chat noir, l’œuvre de l’artiste reste pour le reste peu connue, malgré ses nombreux engagements sociaux dans le Paris de l’époque.

Une ruée vers la Butte

Petit-fils du peintre et lithographe allemand Christian Gottlieb, Théophile Steinlen commence très tôt à se munir de graphite pour croquer les silhouettes de son entourage. Lassé de ses études de théologie en Lausanne, le jeune homme rejoint la France dès 1879 pour dessiner des motifs sur les étoffes de la fabrique de tissu de son oncle, implantée à Mulhouse. Curieux et créatif, il délaisse peu à peu les ateliers de la manufacture pour s’initier aux techniques de la gravure, la lithographie et la peinture.

Attiré par le foisonnement artistique de la capitale, Steinlen pose ses valises dès 1881 à Montmartre. Il loge alors avec sa future épouse Emilie Mey dans un petit appartement de la rue Caulaincourt qu’il paye en continuant à travailler quelques temps comme dessinateur de tissu. L’hiver suivant, alors qu’il a attrapé mal, le Dr Willette lui rend visite à son chevet. Dès le pas de la porte, l’homme est alors épaté par la kyrielle d’esquisses accrochées sur tous les murs et s’empresse aussitôt de lui présenter son jeune frère, le peintre Adolphe Willette.

Affiche publicitaire de Théophile Steinlen

Cette rencontre est alors déterminante pour Steinlen. Son nouvel ami le fait entrer dans le grand village de la Butte, là où fourmillent les cabarets bohèmes et les ateliers d’artistes. Dès 1884, les deux hommes deviennent des habitués du célèbre cabaret du Chat noir qui vaudra plus tard à Steinlen une renommée considérable. Ouvert depuis peu par Rodolphe Salis, ce lieu festif accueille sur ses banquettes des personnalités telles qu’Henri de Toulouse-Lautrec, Jean Richepin, Villiers de l’Isle Adam ou Aristide Bruant. Inspiré par ses rencontres, Steinlen ne cesse d’être encouragé à peindre et expose au Salon des indépendants en 1893. Mais sa renommée se forge surtout grâce à ses affiches publicitaires et ses illustrations pour des journaux humoristiques tels que Gil Blas, L’Assiette au Beurre ou Le Rire.

Le dessin, un engagement social

Dès son arrivée à Montmartre, Steinlen se prend d’affection pour ce faubourg qui lui rappelle L’Assommoir de Zola et qu’il ne quittera plus jamais : « Dès les premiers jours, je fus séduit par ce monde de la rue, ouvriers et trottins, blanchisseuses et miséreux, pierreuses et escarpes ». A partir de cette époque, on voit revenir sur la Butte les premiers exilés de la Commune après l’amnistie promulguée en juillet 1880. L’artiste côtoie alors des militants ouvriers et s’engage auprès de mouvements anarchistes.

Théophile Steinlen, Ouvriers du bâtiment

Ses illustrations circulent alors dans le tout-Paris, exposées sur les murs publics, les devantures de kiosques ou les couvertures de magazines. En lutte contre les injustices sociales, Steinlen dépeint des scènes de rue où mendiants, ouvriers et prostituées survivent dans la misère. En rendant hommage aux petits métiers, l’artiste veut aussi rendre visible les laissés-pour-compte à travers une esthétique réaliste inspirée de certaines œuvres de Gustave Courbet ou Jean Peské. Aux côtés de Zola, il s’engage ouvertement durant l’affaire Dreyfus, dénonçant les machinations et les mensonges de l’état-major.

A côté de ses nombreuses contributions pour des publications anarchistes, Steinlen défend ses idées libertaires en adhérant à la Société des amis du peuple russe et des peuples annexés présidée par Anatole France. Il milite aussi pour ériger une statue à la gloire de Louise Michel, ou pour s’opposer à la peine de mort du cordonnier Jean-Jacques Liabeuf. Ainsi, ses actions publiques, toujours soutenues par son crayon, ne cessent de révéler le profond engagement social de l’artiste durant toute son existence.

Une passion des chats

De Steinlen, tout le monde connaît la célèbre affiche de la Tournée du Chat noir. Cette lithographie est aujourd’hui devenue l’un des principaux emblèmes du vieux Paris, et se décline sous toutes formes d’objets dérivés. On y découvre un chat droit et fier, entouré d’une auréole rouge à la manière d’une icône byzantine. On peut y lire l’inscription « Montjoye Montmartre » qui imite avec humour un cri de guerre médiéval. Avec ses aplats colorés et ses cernes foncés, l’esthétique épurée de cette affiche s’inspire des lithographies de Toulouse-Lautrec et de l’art gothique. Le noir et le rouge incarnent quant à eux les couleurs de l’anarchisme.

Théophile Steinlen, Affiche “Tournée du Chat noir”

Mais ce chat noir est loin d’être le seul dessiné par Steinlen ! L’animal est l’un des sujets de prédilection de l’artiste, qui voit dans son errance et sa nonchalance le symbole même du bohème. Libre, indépendant, il peuplait les rues de la Butte dès le XIXe siècle, sous les éloges des peintres et des poètes. Une centaine de dessins, affiches et peintures réitèrent ce même motif du chat orgueilleux, solitaire et paresseux. Son tableau L’Apothéose des chats à Montmartre illustre d’ailleurs avec ironie un agglomérat de félins qui semble gouverner Paris à lui tout seul.

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Romane Fraysse

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