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Université, cabarets et cinémas : la riche histoire de la rue Champollion au cœur du Quartier Latin

Par Romane Fraysse

Aujourd’hui, Champollion est une rue bien connue du Quartier latin pour sa file indienne de cinémas d’art et essai mythiques. Mais qui saurait conter l’histoire passée de cette petite voie médiévale, joignant la place de la Sorbonne à la rue des Écoles ? Car c’est bien ici que de longs jours studieux et de longues nuits festives ont mené la cadence pendant plusieurs siècles à Paris.

Un vestige du Paris médiéval

Tracée au XIe siècle, celle que l’on nommait autrefois la « rue des Maçons » se situait dans l’enceinte des thermes gallo-romains de Cluny. Une voie très ancienne dont la riche histoire s’explique en grande partie par son emplacement privilégié.

En effet, dès le XIIe siècle, le quartier voit se construire de nobles édifices religieux autour de l’Université de Paris. Appartenant à l’ordre monastique de Cluny, celle-ci dispose de plusieurs collèges d’étude, accolés à un vaste hôtel où résidaient les abbés. C’est ainsi qu’en 1253 le chapelain Robert de Sorbon y a fondé le collège de théologie, qui va devenir notre illustre Sorbonne. Ce haut lieu de savoir accueille alors des étudiants sans fortune qui sont hébergés dans des maisons situées aux n° 13, 15 et 17 de la rue des Maçons.

Gravure représentant le Collège de Sorbonne en 1550

En parallèle, au n°7, est construit l’hôtel d’Harcourt, une grande résidence gothique appartenant à un important seigneur de l’époque. Formée d’une cour rectangulaire et d’un jardin spacieux, cette belle demeure a été entièrement détruite lors des grands travaux menés par le baron Haussmann, qui a amputé la rue des Maçons par le percement de l’actuelle rue des Écoles. C’est ainsi qu’en 1867, cette petite voie médiévale a pris le nom de « Champollion » en l’honneur du fameux traducteur des hiéroglyphes.

Aujourd’hui, quelques indices font écho au riche passé de cette rue centrale du Paris médiéval. Sur certaines façades, on observe encore des crochets anciens en fer forgé, servant à faire levier pour hisser les charges lourdes des nombreuses caves toujours présentes. Les vestiges des quelques maisons de la Sorbonne sont quant à elles identifiables à leurs portes rouges, sculptées au XVIIe siècle dans le même style que celles de la célèbre université. Des façades mémorables, classées aux monuments historiques, qui ont dernièrement été réhabilitées par la Faculté des Lettres.

La voie chantante des cabarets

Après la reconstruction initiée par le cardinal Richelieu au XVIIe siècle, le nouveau collège de la Sorbonne double sa surface et ouvre ses portes à un grand nombre d’élèves. Sa voisine, la rue Champollion, s’établit alors comme un lieu incontournable de la vie étudiante. Avec l’émergence des cabarets dès le XIXe siècle, de nombreux établissements commencent à occuper les lieux, si bien que les journaux d’époque qualifient la voie de « turbulente », « festive », « vénéneuse ».  C’est la vogue des cafés-concerts, étudiants et artistes se retrouvent pour écouter des musiciens, voir quelques comédiens s’affairer sur scène, et quelques poètes déclamer leurs vers. Plus la verve se veut acerbe, plus le succès est grand !

Au n° 15, on retrouve dans les années 1880 la brasserie « Tartine des Folies-Latines », tenue par une certaine Mariette que l’on surnomme « Marie Vadrouille », après quoi « Le Monôme » reprend le flambeau. Le décor est donné : des étudiants accoudés au comptoir jusqu’à pas d’heure, dans une pièce vive dont les murs sont recouverts de pochades réalisées par des artistes de l’époque, tels que Calbet, Pagès ou Loron. La clientèle de la brasserie y est alors représentée dans de grandes scènes d’ivresse païennes. Le 5 septembre 1886, le Journal des artistes décrit par exemple le lieu comme une « débauche de couleurs, vibrante aux lueurs du gaz et dont les perspectives bachiques n’ont pas laissé que de charmer nos yeux ».

Les Noctambules, 7 rue Champollion

Un peu plus loin, depuis le cabaret des « Noctambules » au n°7, on entend chaque soir les voix de chansonniers de l’époque, mais aussi de grands poètes du début du XXe siècle, comme Francis Carco, Paul Géraldy, Max Jacob ou encore Jean Cocteau. L’endroit devient rapidement un haut lieu festif et culturel du Quartier latin, si bien que le réalisateur Jean Bastia écrira : « Qui connaîtrait Champollion s’il n’existait pas les Noctambules ? ». Chaque soir, les étudiants s’y rejoignent pour applaudir des satires de l’actualité, des grivoiseries et des chansons d’amour, accompagnées d’un pianiste. On découvre sur les murs les portraits d’illustres artistes, face auxquels le buste de Marcel Legay préside fièrement. C’est là que Gérard Philippe et Maria Casarès ont fait leurs débuts, et que La Cantatrice chauve, célèbre pièce d’Eugène Ionesco, a été créée.

Enfin, à l’encoignure de la rue avec la place de la Sorbonne, le restaurant à bon marché « Flicoteaux » accueille de nombreux étudiants et artistes du quartier, dont Adolphe Thiers, Alfred de Musset ou Honoré de Balzac. La salle est bruyante et surchauffée, l’atmosphère chargée de tabac. Devenu le Café d’Harcourt dans les années 1890, plus somptueux et brillant, il a notamment accueilli les écrivains Paul Valéry, Colette, Willy ou Marcel Schwob, venus célébrer le premier numéro de la revue « Le Centaure ».

Mais ce passé festif a aujourd’hui disparu, et il semble même étonnant d’imaginer cette étroite voie aussi animée dans les siècles précédents. En effet, dans la rue Champollion, on ne compte plus que Le Reflet, un bar intimiste recouvert d’affiches de cinéma, dans lequel se retrouvent quelques étudiants avertis. C’est la place de la Sorbonne voisine qui est désormais privilégiée par la plupart des noctambules du quartier.

Un festival de cinémas

À partir du XXe siècle, les chansonniers des cabarets ont laissé place aux projections du septième art dans le paysage parisien, faisant de cette petite rue l’une des plus représentatives avec sept salles de cinéma d’art et essai réparties sur trois numéros. À l’angle de la rue des Écoles trône fièrement le Champo. Ouvert en 1938 à l’emplacement d’une ancienne librairie, ce cinéma mythique a fait grandir de nombreux cinéastes de la Nouvelle Vague, à l’instar de Chabrol qui y voyait sa « seconde université » et de Truffaut qui en faisait son « quartier général ». Classé monument historique depuis 2000, il est connu pour programmer des rétrospectives de grands cinéastes et dispose d’un étonnant système de projection rétro-reflex.

Cinéma Le Champo, à l’angle de la rue Champollion et de la rue des Écoles

En remontant la rue jusqu’au n°5, le Reflet Médicis, ex-Noctambules, ouvre ses trois salles d’art et essai en 1964, tandis que la Filmothèque au n°7 accueillera longtemps le bar du cabaret avant de devenir la salle que l’on connaît dès 1956. Ces trois illustres cinémas baptisent ainsi cette rue comme la plus cinéphile du Quartier latin, tout en maintenant sa traditionnelle complicité avec les étudiants de la Sorbonne.

Romane Fraysse

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