Pour la première fois, une exposition se consacre à l’histoire des Parisiennes et de leurs combats déterminants pour l’émancipation féminine. Pensé par les commissaires Christine Bard, Catherine Tambrun et Juliette Tanré-Szewczyk, ce parcours très documenté traverse plusieurs siècles de revendications « féministes », de la Révolution française à la loi de la parité en 2000. Jusqu’au 29 janvier 2023, peintures, sculptures, photographies, films, archives, affiches, manuscrits et objets sont exposés au musée Carnavalet comme des témoins de ce passé militant, porté par des femmes illustres et des anonymes.
Aux armes citoyennes !
Cette longue odyssée débute à l’époque de la Révolution française. Pourquoi ce choix ? Pour des raisons pratiques, tout d’abord, les œuvres et les documents couvrant cette thématique étant plus rares aux siècles précédents ; mais aussi pour mettre le doigt sur l’émancipation – bien qu’encore fébrile – des Parisiennes au crépuscule du siècle des Lumières. Un nouvel horizon se dessine en effet avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu’Olympe de Gouges souhaite élargir aussi aux citoyennes. Le mariage civil, le divorce et la capacité juridique leur donnent alors une petite part d’autonomie. Si elles demeurent absentes du débat public, les femmes se regroupent dans des Salons, revendiquent leurs droits et participent activement à la Révolution. L’exposition s’ouvre ainsi sur plusieurs toiles présentant ces rassemblements féminins qui seront rapidement interdits en 1793, car jugés trop subversifs.
En effet, le lendemain de la Révolution sonne le désenchantement de beaucoup de Parisiennes. Si Alfred de Musset parle du Mal du siècle, il est aussi celui des femmes. Dans la crainte de nouveaux soulèvements, différents décrets leur interdisent de se réunir à plus de cinq dans la rue et d’assister à une assemblée politique. En 1804, le Code civil napoléonien conforte la domination masculine et cantonne de nouveau les femmes au foyer, comme l’illustre un exemplaire exposé dans la salle. Le droit de divorcer est quant à lui retiré à la Restauration.
Néanmoins, les braises ne se sont pas éteintes. Les révolutions de 1830 et 1848 font apparaître de nouvelles femmes d’influence, à l’instar la saint-simonienne Louise Dauriat ou de l’écrivaine George Sand – dont on retrouve le célèbre portrait peint par Auguste Charpentier – mais aussi des militantes anonymes luttant derrière les barricades de la capitale. Si le « féminisme » n’a pas encore dit son nom, il descend dans la rue et participe à la presse avec le premier tirage de La Femme libre en 1832.
Et l’engagement se fera d’autant plus ressentir lors de la Commune en 1871 : Nathalie Lemel et Élisabeth Dmitrieff créent l’Union des femmes pour la défense de Paris, et l’institutrice Louise Michel milite ouvertement contre les injustices sociales. L’exposition nous présente d’ailleurs sa précieuse bourse sur laquelle sont brodées les dates des différentes révolutions françaises.
Les « Femmes nouvelles »
Ces nombreux soulèvements ont fait couler beaucoup de sang, mais n’ont pas été vains. La Troisième République ouvre le champ à de nouveaux engagements pour les Parisiennes. En 1882, la journaliste Hubertine Auclert est la première militante française à parler de « féminisme » pour nommer le combat qu’elle défend dans son journal La Citoyenne. Derrière elle, de nombreuses femmes revendiquent le droit de vote et d’éligibilité : à l’aube du XXe siècle, le suffragisme devient désormais le principal combat des Parisiennes. À côté de cela, elles luttent pour améliorer les conditions de travail des ouvrières et assurer l’instruction des filles à l’école. Dès 1868, la Ville de Paris leur ouvre le certificat d’études – tout de même douze ans avant les autres régions – et les lois Ferry de 1881-1882 vont dans ce sens en rendant l’école gratuite, laïque et obligatoire pour tous jusqu’à 13 ans.
Paris attire aussi les « Femmes nouvelles », celles qui cherchent à accéder à des rôles de premier plan dans une capitale en avance sur son pays. Si elles restent souvent élitistes, certaines écoles d’art permettent aux Parisiennes de se former, comme la célèbre Académie Julian ou l’École des beaux-arts de Paris, qui s’ouvre enfin aux femmes en 1897. L’exposition fait dialoguer une photographie de Camille Claudel dans son atelier avec sa sculpture Les Causeuses présentée avec succès au Salon en 1896. Elle présente aussi des portraits de femmes indépendantes : avocates, scientifiques, doctoresses ou sportives. On découvre ainsi l’impressionnant portrait de la journaliste féministe Séverine, posant avec assurance et désinvolture.
Avec ces figures de proue, le féminisme est diffusé par la presse, la littérature et certains rassemblements politiques. Lors de l’Exposition universelle de 1878, le Congrès international du droit des femmes dure dix jours, tandis que le 14 juillet 1881, Hubertine Auclert incite à prendre la « Bastille des femmes » en s’attaquant au Code civil. La question de la maîtrise de la fécondité commence aussi à être lancée par le mouvement néo-malthusien, annonçant les prochaines révolutions sexuelles.
D’une guerre à l’autre
Dès 1914, la Première Guerre mondiale bouleverse la place des femmes qui s’engagent massivement pour défendre la France et obtiennent pour la première fois une indépendance financière. Mais la fin du conflit signe pourtant un retour à l’ordre : celles-ci doivent retourner au foyer, et face aux pertes humaines, le pays connaît une forte répression de l’avortement. Contrairement à d’autres pays, le droit de vote ne leur est pas non plus accordé. Dans le parcours, plusieurs tirages présentent des suffragettes faisant des coups d’éclat à Paris, en perturbant les élections, en lançant des tracts, en bloquant des rues ou en brûlant même le Code civil. Mais hélas, rien ne change.
Malgré ces défaites, Paris entre dans les Années folles et s’ouvre à une vraie libération des mœurs. Celles que l’on appelle les « garçonnes » se coupent les cheveux, jouent avec l’ambiguïté du genre, et vantent une désinvolture propre à la bohème. Ces scènes festives sont capturées par l’objectif de Brassaï, dont une photographie est présentée dans l’exposition. Des couples de femmes commencent aussi à apparaître dans l’avant-garde littéraire de la Rive gauche, à l’instar de Gertrude Stein et Alice Toklas, ou Sylvia Beach et Adrienne Monnier.
Sous le Front populaire, les femmes s’engagent aussi dans la grève générale afin de protester contre le recul des acquis sociaux. Parmi elles, la militante communiste Rose Zehner, immortalisée dans le célèbre cliché de Willy Ronis en train de s’adresser aux ouvrières de Citroën. En 1936, le gouvernement de Léon Blum nomme Brunschvicg, Irène Joliot-Curie et Suzanne Lacore en tant que secrétaires d’État, mais elles demeurent privées de droits politiques. Et rien ne s’arrange sous le régime de Vichy, qui renforce le discours patriarcal et condamne les faiseuses d’ange à la peine de mort. Face à cela, les femmes sont nombreuses à s’engager dans la Résistance : l’exposition met en lumière certaines figures éminentes, comme Joséphine Baker, ainsi que des clichés de plusieurs anonymes.
Le temps des libérations
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en rupture avec le pétainisme, le modèle familial est fortement remis en cause. Simone de Beauvoir publie Le Deuxième Sexe en 1949, un Centre de planning familial ouvre à Paris en 1961, et la loi autorisant la contraception est votée en 1967. Dans la culture, on voit aussi apparaître des « scandaleuses » dans les figures de Juliette Gréco, Françoise Sagan, ou Niki de Saint-Phalle, dont un Tir est présenté dans l’exposition. Dans l’effervescence de Mai 68, les Parisiennes sont nombreuses à s’engager, mais peu d’entre elles sont véritablement entendues et médiatisées.
Puis, en 1970, le Mouvement de libération des femmes (MLF) marque un tournant. On commence à dénoncer les violences masculines, et l’on défend la liberté de disposer de son propre corps. Le Manifeste des 343 femmes est finalement lancé dans Le Nouvel Observateur, et de nombreuses manifestations mènent enfin à la loi Veil, en 1975, autorisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). De nombreux tracts, affiches et tirages illustrent ce mouvement sans précédent, porté par des figures phares, comme l’avocate Gisèle Halimi.
Le parcours se termine ainsi sur une note d’espoir, en illustrant différents combats menés par des femmes jusqu’à la fin du XXe siècle : une pluralité pour ne surtout pas essentialiser le genre. Parmi ces mobilisations, celles des lesbiennes (Gouines rouges, FHAR, Groupe des lesbiennes de Paris), des femmes de ménage, des prostituées ou des immigrées (Mouvement des femmes noires). Plusieurs œuvres remettent aussi en cause la domination masculine et la chosification du corps féminin, à l’instar du Baiser d’Orlan ou des pochoirs de Miss.Tic. En achevant cette grande traversée, on se sent pris dans le grand flot des combats, des discours et des images. Cette multiplicité et cette détermination nous confortent ainsi dans l’idée que, si de nombreuses luttes sont encore à mener, elles ne sont ni vaines ni éphémères.
Romane Fraysse
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