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Au palais Galliera, immersion dans la chambre noire du photographe Paolo Roversi

Vue de l'exposition "Paolo Roversi" au musée Galliera - © Gautier Deblonde

Né à Ravenne, le photographe Paolo Roversi commence une carrière dans la mode à Paris dès les années 1970. C’est dans l’isolement de son studio, sa « lanterna magica », que l’artiste expérimente toute une série de portraits jouant avec les éclairages à la torche, les hasards du Polaroid et les mouvements du corps. Jusqu’au 14 juillet 2024, le palais Galliera explore cet univers fantomatique, élégant et pudique, dans une scénographie à la hauteur de l’œuvre de Roversi.

Les fantômes d’une chambre noire

On entre dans l’exposition comme dans une chambre noire. Deux pièces obscures, dont les limites restent à peine perceptibles, et sur les murs, seulement, plusieurs photographies sont éclairées par une lumière tamisée. Ce choix scénographique renvoie à une citation de Paolo Roversi : « Ma première lanterna magica, c’était ma chambre à coucher à Ravenne où les lumières qui entraient par les persiennes formaient sur le plafond et les murs des figures fantomatiques et mystérieuses. Ma vraie lanterna magica depuis, c’est mon studio ».

Audrey Marnay, Commedes Garçons P/E 1997, Paris, 1996. Tirage au charbon - © Paolo Roversi
Audrey Marnay, Comme des Garçons P/E 1997, Paris, 1996. Tirage au charbon – © Paolo Roversi

Que l’on connaisse ou non l’œuvre de Roversi, on ne peut rester insensible face à l’étrangeté de ses portraits aux couleurs vives et aux contours flous captés par le Polaroid. Certaines figures paraissent presque surgir d’une autre réalité, tant leur visage glacé et leur silhouette morcelée cristallisent un mystère. On pense notamment aux photographies d’Audrey, prises pour la collection 1997 de Comme des Garçons, où Roversi use pour la première fois d’un éclairage à la torche qui deviendra caractéristique de son univers. Dans cette série, l’artiste joue avec le visible et l’invisible, pour évoquer une présence, dont on perçoit des fragments de visage et de vêtements tachetés de lumières colorées.

L’intime et la pudeur

Les prochaines pièces de l’exposition s’éclaircissent peu à peu, pour nous mener vers d’autres séries de portraits, dont Nudi, un ensemble de nus dont le premier, d’Inès de La Fressange, fut réalisé pour Vogue Homme en 1983. Chaque photographie capture le corps longiligne d’une mannequin – Kate Moss ou Shalom Harlow entre autres – avec une pureté sans égal.

Vue de l'exposition "Paolo Roversi" au musée Galliera - © Gautier Deblonde
Vue de l’exposition “Paolo Roversi” au musée Galliera – © Gautier Deblonde

La silhouette blanche sur fond blanc se démarque seulement par le contraste des cheveux et des poils pubiens. Avec une certaine pudeur, le modèle pris au naturel regarde l’objectif avec réserve. Dans cette série, Roversi parvient à créer un lien intime entre le sujet et le spectateur, tout en assurant une distance respectueuse.

Natalia, Paris, 2003 - © Paolo Roversi
Natalia, Paris, 2003 – © Paolo Roversi

Dans la tranquillité des salles, on apprivoise ainsi la lenteur et la sérénité des œuvres du photographe. On lit l’une de ses citations comme une invitation au lâcher-prise : « Un long temps de pose, c’est laisser à l’âme le temps de faire surface. Et laisser au hasard le temps d’intervenir ». Ainsi, chaque portrait dévoile un sujet isolé, au centre de l’image, dont la pose singulière révèle une démarche, une expression, un style propre à chaque personne. Pris avec un long temps d’exposition, leur corps apparaît dans un mouvement plus ou moins accentué, qui immortalise sa vitalité.

Expérimenter la pellicule

Si l’œuvre de Roversi apparaît si singulière, c’est grâce à son approche intuitive de la photographie. L’artiste conçoit son art comme une expérience, et comme toute expérience, il se prête au jeu de la découverte. Au fil des années, celui-ci invente de nouvelles formes plastiques, sous l’influence de ses prédécesseurs Man Ray et Erwin Blumenfeld. Jeu sur les lumières et les négatifs, colorisation des mouvements, dédoublement des silhouettes… Roversi fait de la pellicule son terrain de jeu.

Vue de l'exposition "Paolo Roversi" au musée Galliera - © Romane Fraysse
Vue de l’exposition “Paolo Roversi” au musée Galliera – © Romane Fraysse

Le long temps d’exposition, l’éclairage à la torche ou le Polaroid sont autant de moyens de composer avec le hasard : « Les pas en avant, les évolutions dans mon travail sont nés d’accidents ». Des collaborations artistiques mènent aussi Roversi à réinterpréter l’art photographique en insérant d’autres matériaux, tels que le tissu. Sa série réalisée avec l’artiste textile Sheila Hicks est un parfait exemple de ce goût pour l’expérimentation : les lignes de ses portraits, toujours insaisissables, sont prolongées par de fragiles fils de coton.

Une scénographie tout en élégance

Bien que l’on soit fasciné par l’œuvre de Roversi, difficile ici de ne pas évoquer le choix scénographique d’Ania Martchenko qui fait parfaitement écho aux œuvres. Celle-ci compose avec la lumière et l’obscurité, joue sur les transparences de grands voiles, dialogue avec les œuvres par la couleur, tout en laissant percevoir l’architecture du palais du XIXe siècle.

Vue de l'exposition "Paolo Roversi" au musée Galliera - © Gautier Deblonde
Vue de l’exposition “Paolo Roversi” au musée Galliera – © Gautier Deblonde

L’expérience est aussi agréable pour la tranquillité et la simplicité qui règnent au sein des espaces. En dehors de rares panneaux en bois, le parcours réserve une place de choix aux œuvres, espacées les unes des autres comme pour les laisser respirer. Ce minimalisme et cette distance nous immiscent d’autant plus dans l’œuvre de Roversi, tout comme dans le silence de son studio parisien, lieu originel où tout se réinvente.

Romane Fraysse

Paolo Roversi
Palais Galliera
10 avenue Pierre 1er de Serbie, 75116 Paris
Jusqu’au 14 juillet 2024

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Image à la une : Vue de l’exposition “Paolo Roversi” au musée Galliera – © Gautier Deblonde

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