
Du groupe impressionniste, Gustave Caillebotte semble être le plus discret. Au-delà de ses deux œuvres phares Rue de Paris, temps de pluie et Les Raboteurs de parquet, le peintre se différencie pourtant par son approche intime du corps masculin, saisi dans des environnements aussi bien ouvriers que bourgeois. 130 ans après sa mort, le musée d’Orsay met en lumière ce regard singulier à travers l’exposition de plus de 70 toiles, pastels, dessins, photographies et documents présentés jusqu’au 19 janvier 2025. Et de notre côté, on lance une visite guidée sur le Paris de Caillebotte.
Le corps travailleur
De Gustave Caillebotte, on connaît en premier lieu les célèbres Raboteurs de parquets. Le tableau, mis en valeur dans les premières salles, étonne par sa grandeur. À contre-jour, les torses nus des trois artisans se démarquent des rayures du bois tendre du parquet : en plein effort, ils adoptent des poses naturelles qui sont décuplées à travers plusieurs dessins préparatoires présentés en marge. Cet intérêt porté au monde ouvrier, en privilégiant une représentation réaliste des corps, différencie Caillebotte de ses contemporains, si bien que ce tableau est rapidement remarqué à l’exposition impressionniste de 1876.

Silhouettes dans la ville
L’exposition met en lumière les hommes peints par Gustave Caillebotte, mais cette représentation ne va pas sans un environnement. Tout comme ses camarades impressionnistes, le peintre s’intéresse à la modernité de la capitale, transformée par les importants travaux menés par le baron Haussmann.

Le célèbre Rue de Paris, temps de pluie, aux dimensions bien plus monumentales qu’on ne le croit, révèle ce contraste entre le mouvement des silhouettes et l’immensité des architectures linéaires. Sa représentation du Pont de l’Europe permet aussi de jouer sur les cadrages et les constructions géométriques, afin de concevoir une nouvelle fois un dialogue entre l’homme et la ville.

Le pont de l’Europe, 1876-1877
© États-Unis, Texas, fort Worth, Kimbell Art Museum / Kimbell Art Museum
Ce face-à -face est particulièrement visible dans ses portraits d’hommes au balcon, souvent peints de dos. Une confrontation épique, où l’homme conquérant semble dominer la ville qu’il a construite. Mais d’une autre manière, ce détachement de la silhouette l’isole tout autant, et la laisse dans ses pensées face à un espace urbain devenu abstrait et insaisissable.
Portraits tendres
Le monde ouvrier, la représentation de la ville moderne… ces sujets sont bien connus dans l’œuvre de Caillebotte. En revanche, une grande salle consacrée aux portraits de ses amis « célibataires » éclaire avec intérêt les liens particuliers que le peintre a tissés avec les hommes. Accompagné de son « amie » Charlotte Berthier – qui fut visiblement son amante –, Caillebotte passe une partie de sa vie entourée par un cercle d’amis qu’il représente à de nombreuses reprises, en tâchant de relever leur personnalité et leur sensibilité dans des scènes intimes. Cette relation sensible et tendre entre des hommes est tout à fait singulière dans la peinture de l’époque.

Sensualité du corps
Le nu n’est pas un sujet caractéristique de l’œuvre de Caillebotte : le peintre n’en a peint que trois, présentés dans une salle du parcours. Son nu masculin le plus remarquable est sûrement L’Homme au bain, mis en dialogue avec le Nu au divan féminin, qui délaisse toute idéalisation du corps viril pour laisser percevoir une silhouette élancée, de dos, les fesses découvertes. Il ne s’agit nullement d’un personnage mythologique, mais bien d’un jeune homme en train de prendre son bain. Là encore, la sensualité du corps masculin saisi dans son intimité marque une approche singulière, aux antipodes de l’idéal masculin associé à la puissance et à la raison.

Romane Fraysse
Gustave Caillebotte. Peindre les hommes
Musée d’Orsay
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris
Jusqu’au 19 janvier 2025
À lire également : Voici 12 expositions parisiennes qui nous attendent à la rentrée 2024Â
Image à la une : Gustave Caillebotte Les raboteurs de parquet, 1875 Musée d’Orsay Don, 1894 © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt