
Deux sculpteurs sont mis l’un en face de l’autre avec dissymétrie : d’un côté, Auguste Rodin, maître respecté de ses contemporains, et de l’autre, Antoine Bourdelle, l’un de ses praticiens en quête d’indépendance. Jusqu’au 2 février 2025, le musée Bourdelle approche avec finesse ce « corps à corps » tendre et conflictuel entre deux grands noms de la sculpture moderne, au gré de thématiques comme l’inachevé, le fragment ou l’hybridation.
Attrait et distance
La relation entre Auguste Rodin et Antoine Bourdelle reste assez peu connue. On la réduit souvent au lien entre maître et élève, mais ce présupposé est faux, comme souhaitent le rappeler les commissaires de cette exposition. En effet, Bourdelle n’a jamais été l’élève de Rodin : il a travaillé en tant que praticien sur une dizaine de ses marbres évoqués dans le parcours. Certains sont alors à l’origine de tensions entre les deux artistes, notamment le buste de Rose Beuret, pour lequel Bourdelle propose une composition jugée trop personnelle par son commanditaire.

Au fil des années, une distance s’installe : Rodin souhaite garder l’ascendant, tandis que Bourdelle cherche à se détacher de son influence. Pour autant, le premier admire tout particulièrement la plume du second, et lui demande d’écrire un article sur ses dessins, publié dans la Grande Revue en 1908. Certains d’entre eux sont ainsi mis en lien avec ceux de Bourdelle, qui crayonnait durant quatre heures tous les matins.

Expressivité de la matière
Grâce à des cartels bien écrits et une finesse d’analyse, cette exposition ouvre de nouvelles perspectives sur les œuvres des deux maîtres. On découvre par exemple leur goût mutuel pour la collection d’œuvres antiques, ainsi que le dialogue qu’ils établissent entre le sujet et la matière brute. Intéressés par la figure humaine, ceux-ci jouent sur le non finito et le fragment, Rodin étant le premier à défendre leur esthétique. Aux côtés des torses et des portraits, un parallèle est ainsi créé entre La Main de Dieu de Rodin et la Main désespérée de Bourdelle, toutes deux puissamment expressives.

Ombre et lumière
Comment évoquer Rodin et Bourdelle sans approcher leurs monuments ? De petites salles font ainsi dialoguer la très expressive Porte de l’Enfer avec le bas-relief plus rigoureux du théâtre des Champs-Élysées. Par ce parallèle, on voit apparaître les tempéraments divergents des deux artistes : le premier privilégie une esthétique plus sombre et tourmentée, là où le second préfère l’éclat et la vivacité de formes en expansion.

Corps entremêlés
Les dernières salles s’intéressent finalement aux thématiques de la métamorphose et de l’hybridation, une approche fascinante qui mériterait à elle seule une exposition. Entre Rodin et Bourdelle, on découvre un goût commun pour l’entremêlement des corps, les chimères et les créatures mythologiques. Une quête d’intensité, entre l’étreinte et l’affrontement, qui s’observe bien dans L’Amour de centaures, Le Vieil Arbre ou le Baiser de l’ange. Et cette énergie, qui se déploie sans raison véritable, se retrouve dans L’Homme qui marche d’Alberto Giacometti, ancien élève de Bourdelle dont l’œuvre clôt le parcours.

Romane Fraysse
Rodin/Bourdelle. Corps à corps
Musée Bourdelle
18 rue Antoine-Bourdelle, 75015 Paris
Jusqu’au 2 février 2025
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Image à la une : Exposition “Rodin/Bourdelle. Corps à corps” – © Nicolas Borel