Étonnement méconnu, le jardin d’Albert Kahn est une longue déambulation de 4 hectares dans une kyrielle de paysages qui marquent l’esprit : entre le jardin japonais, le verger-roseraie et la forêt vosgienne, on voyage dans une œuvre qui se métamorphose. C’est bien à ce jardin de Boulogne, mais aussi à celui disparu du Cap-Martin, que le musée départemental Albert-Kahn rend hommage dans une nouvelle exposition. Jusqu’au 31 décembre 2024, un joli dialogue entre photographies, vidéos et art contemporain dévoile toute la splendeur des jardins du banquier, entre hier et aujourd’hui.
Cap-Martin, le jardin disparu
L’entrée dans l’exposition se fait dans l’obscurité. La lumière tamisée laisse ressortir plusieurs cadres lumineux entourant quelques photographies de paysages inconnus. Ce dispositif met superbement en valeur ces clichés du début du XXe siècle, représentant l’autre jardin d’Albert Kahn, celui du Cap-Martin. Un jardin aux couleurs chaudes et aux plantes exotiques, où différentes images s’attardent sur les agaves tentaculaires, les palmiers solitaires, les bananiers ou les primevères de Chine…
Non loin de la mer, au sein de la propriété du banquier située sur la Riviera, ce jardin luxuriant a aujourd’hui disparu. Mélange de paysages mexicains, africains ou brésiliens, cet espace vert s’étend sur 14 parcelles de 13 hectares acquis par Kahn entre 1897 et 1925, et pensés en collaboration avec le paysagiste Henri Duchêne, puis le chef jardinier Émile Quigrat. À côté des cultures, sept hectares sont ainsi dédiés aux jardins de trois villas, nommées Dunure, Miramar et Kahn.
Concevoir le jardin
Pensés par Albert Kahn et ses paysagistes, les jardins de Boulogne et du Cap-Martin sont entretenus par une équipe de jardiniers anonymes, que l’on retrouve sur des clichés. Leur équipement est lui aussi capturé par les opérateurs – malheureusement parfois tout aussi anonymes – comme le chapeau de paille, les pelles ou l’arrosoir. L’exposition remet la figure du jardinier dans le contexte de l’émergence du cinéma, notamment avec le célèbre film L’Arroseur arrosé des frères Lumière, qui en fait un personnage iconique.
À partir de 1894, et durant plus de trente ans, le jardin de Boulogne s’étend au gré des acquisitions de parcelles. D’abord conçu comme un jardin « de scènes », ce site de quatre hectares réunit tout un ensemble de paysages remarquables pensés par les paysagistes Eugène Deny, Achille, Henri Duchêne et Louis Picart : jardin français et anglais, forêt bleue, marais, prairie, forêt dorée, forêt vosgienne, verger-roseraie et jardin japonais. Une série de photographies subliment ces différentes parties du jardin de Boulogne, dans lequel le visiteur pourra ensuite déambuler.
Une Å“uvre vivante
Véritable œuvre vivante, le jardin de Boulogne est pensé à travers une palette de couleurs. Pris en photo à travers ses paysages, il est aussi sublimé par l’isolement de ses fleurs en suivant un dispositif bien particulier : pour les clichés, la plante est coupée, séchée et posée sur une feuille de papier sensible, sous la lumière du soleil. Là , l’image négative obtenue est alors colorisée afin de restituer tout l’éclat de la fleur. On trouve aussi toute une sélection de rhododendrons, roses, jasmins, pâquerettes mises en scène avec douceur dans des vases décorés.
Mais la plante vit elle aussi, ce qui n’échappe pas aux photographes recrutés par Albert Kahn. Certains s’essayent alors au cinématographe : de courts films présentent des invités se promenant dans le jardin, ainsi que des plans rapprochés sur les végétaux en train de se déployer. Comme le rappelle le parcours, la vie des plantes est une préoccupation propre au tournant du XXe siècle, avec les essais du botaniste allemand Wilhelm Pfeffer en 1898, ainsi que le film The birth of a flower du naturaliste britannique Percy Smith en 1910.
Invisible à l’œil nu, le mouvement du végétal est alors mis en lumière par la technique du « time-lapse ». Plusieurs films mettent en scène cette danse naturelle, qui est même comparée à la fameuse danse serpentine de Loïe Fuller.
Un dialogue continu
Albert Kahn ne fait pas pour autant de son jardin une œuvre cachée. Des invités y défilent régulièrement, parfois rattachés à des organismes : on y voit notamment la Société Autour du Monde, les Archives de la Planète, l’imprimerie des bulletins du centre National d’Études politiques et sociales en 1919, ainsi que le laboratoire du docteur Jean Comandon, pionnier de la cinématographie scientifique qui intéressait tant Kahn. Le jardin devient alors un véritable laboratoire de recherche où Comandon filme la vie des fleurs, mais aussi les fécules de pomme de terre ou la cellulose issue du coton.
Tout au long du parcours, le musée Albert-Kahn a à cœur de continuer ce dialogue avec le jardin. Ainsi, plusieurs artistes contemporains sensibles aux enjeux écologiques y exposent leurs œuvres, dont certaines ont été créées de manière inédite au sein du jardin de Boulogne. On découvre ainsi le marais avec la vidéo de Lia Giraud, les nymphéas dans les images de Baptiste Rabichon et Fabrice Laroche, ou la forêt vosgienne avec les compositions de Kristof Vrancken et Terri Weifenbach.
Romane Fraysse
Natures vivantes
Musée départemental Albert-Kahn
2 rue du Port, 92100 Boulogne-Billancourt
Jusqu’au 31 décembre 2024
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Image à la une : Jardin japonais du musée Albert-Kahn