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Au musée d’art et d’histoire Paul Éluard de Saint-Denis, une exposition dévoile les rapports complexes entre le sportif et son corps

Maryline Terrier (1878), Apothéose d’Ellia Green, 2022, crayon graphite sur papier © Collection départementale d’art contemporain de la Seine-Saint-Denis / Maryline Terrier, courtesy H Gallery
Par Romane Fraysse

Le sportif a beau mettre son corps à l’épreuve pour être toujours plus performant, il doit nécessairement composer avec ses limites physiques. Corps « augmenté », mesuré, idéalisé ou émancipé, le musée d’art et d’histoire Paul Éluard explore les rapports complexes entre l’athlète et son corps dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, avec une exposition co-organisée par la ville de Saint-Denis et le Département de la Seine-Saint-Denis. Jusqu’au 25 novembre 2024, elle présente ainsi plusieurs centaines de photographies, vidéos, objets, documents d’archives et installations contemporaines au sein de ce qui était autrefois un couvent de carmélites.

Toujours plus fort

Cette exposition s’ouvre sur une des salles donnant sur le cloître de l’ancien couvent. Un cartel nous accueille avec une phrase bien connue de tous : « Plus vite, plus haut, plus fort ». Cette devise, que l’on doit à Pierre de Coubertin, créateur des Jeux olympiques modernes en 1896, incarne à elle seule l’esprit du sportif de haut niveau : se dépasser, tant physiquement que mentalement, pour parvenir à des résultats toujours meilleurs. Face à cette dynamique de la compétition et de la performance, l’athlète fait nécessairement face aux limites du corps.

Bernard Lallemand, UVR 0054, 2000, tirage lamba © Collection
Bernard Lallemand, UVR 0054, 2000, tirage lamba / Collection départementale d’art contemporain de la Seine-Saint-Denis © Adagp, Paris, 2024

Le parcours nous introduit donc dans cette confrontation entre le corps limité et la science cherchant à augmenter ses capacités. À travers les vitrines, vêtements sportifs et outils de mesure côtoient d’anciennes amulettes traditionnelles jusqu’aux corps instrumentalisés et aseptisés des images de Bernard Lallemand. Ce corps « augmenté » est certes efficace pour compenser un handicap, mais pose des problématiques éthiques dès lors qu’il encourage une philosophie de la performance mettant en danger la santé du sportif. C’est notamment le cas du dopage, évoqué par un entraîneur dans une courte interview, où ce dernier rappelle son devoir d’être un rempart contre la consommation de substances chimiques.

Le mouvement, sujet moderne

Pour se rendre plus performant, le sportif doit en premier lieu connaître son corps. Si des instruments de mesure lui permettent de mieux comprendre son organisme, le XIXe siècle a multiplié les études pour parvenir à capter ses mouvements. Ainsi, plusieurs chronophotographies d’Étienne-Jules Marey ou d’Eadweard Muybridge illustrent un athlète démultiplié, fragmenté, réduit à un geste qui semble presque mécanique. Il faut dire que l’époque, bouleversée par la révolution industrielle, fonde une croyance aveugle dans l’idée de progrès infini.

Etienne-Jules Marey, Homme courant tirant une roue, 1891-1895, chronophotographie sur plaque de verre © Collège de France, archives, fonds Marey
Etienne-Jules Marey, Homme courant tirant une roue, 1891-1895, chronophotographie sur plaque de verre © Collège de France, archives, fonds Marey

Et cette conviction n’appartient pas à un autre temps, puisque notre monde contemporain s’intéresse désormais à l’intelligence artificielle pour « augmenter » le corps naturel du sportif, nécessairement limité. Dans une vidéo, un chercheur explique que ces nouvelles technologies parviennent, à l’aide de quelques images, à recomposer le mouvement d’un athlète et à mieux comprendre les vitesses angulaires de ses membres pour améliorer ses performances. Une association entre corps et algorithmes qui questionne ainsi sur la menace d’une dépendance mutuelle, et d’un désintérêt progressif pour l’organisme naturel.

Le corps idéal

La visite de l’exposition se poursuit à l’intérieur de l’ancien couvent : on arpente l’escalier en bois pour s’immiscer dans les salles du carmel, dont la pierre est marquée de nombreuses phrases méditatives. Là, le corps du sportif est approché dans une conception autre, celle du canon de beauté. Déjà, la Grèce antique valorisait la musculature des athlètes, et cela se poursuit à travers l’illustration qu’en fait la presse contemporaine : dans une vitrine, vignettes, posters et couverture de magazines mettent en scène cet idéal.

Auguste Rodin et Eugène Druet, L'Âge d'airain, 1876, plâtre © Ministère de la Culture – Médiathèque du patrimoine et de la photographie. Dist. et repro GrandPalaisRmn / François Vizzavona
Auguste Rodin et Eugène Druet, L’Âge d’airain, 1876, plâtre © Ministère de la Culture – Médiathèque du patrimoine et de la photographie. Dist. et repro GrandPalaisRmn / François Vizzavona

À côté de cela, la représentation du corps du sportif permet aussi de questionner l’imaginaire collectif et les préjugés sociaux. En face d’une photographie sensuelle de Robert Mapplethorpe, une athlète évoque la difficulté de s’engager dans un sport de combat lorsque l’on est une femme : le corps, déjà mis à l’épreuve par un régime strict, connaît des variations d’autant plus importantes dues à son cycle hormonal, ce qui amplifie l’effort à fournir pour se maintenir dans des conditions optimales.

Se mouvoir, s’émanciper

Le parcours se poursuit au deuxième étage, où l’on traverse notamment une passerelle extérieure qui domine magnifiquement le couvent et son cloître. Au bout se trouve une dernière pièce dans laquelle le visiteur est accueilli par des sœurs carmélites : un témoignage est en effet partagé dans une vidéo, et permet de faire un clin d’œil intelligent à l’histoire du lieu d’exposition. Là, une sœur compare l’entraînement sportif à la vie ascétique. En effet, dans les deux situations nécessitent de faire des exercices de « souplesse » et « d’endurance », car constituer une équipe mène à accepter les différences de chacun et à composer ensemble au lieu de rester centré sur soi.

Pierre Larauza, 20 février 1998, Nagano. Cliché : Stéphane Roy
Pierre Larauza, 20 février 1998, Nagano, 2020, plâtre, jesmonite et acier, Collection départementale d’art contemporain 
© Stéphane Roy

Des réflexions spirituelles qui nous mènent finalement à concevoir le sport comme un espace d’émancipation des contraintes physiques et sociales. Une série de vidéos et de photographies présentent des corps de danseurs de hip-hop ou de breakdance, dont les gestes aériens semblent contrecarrer les lois de la pesanteur et échapper à la vie sédentaire. Une énième vidéo brosse notamment le portrait de la drag queen Soa de Muse, qui évoque son émancipation à travers un corps voué au spectacle. Et cela n’est pas fini, puisqu’en se rendant dans la chapelle qui avoisine le musée, on peut assister à une installation monumentale de Nicolas Faubert et Gabriel Moraes Aquino mettant en scène plusieurs danseurs contemporains.

Une collection d’art contemporain

Après avoir arpenté cette exposition, vous pourrez découvrir la collection départementale d’art contemporain créée en 1986. Celle-ci rassemble désormais près de 2 500 œuvres d’art acquises en France et à l’étranger, auprès de jeunes créateurs comme d’artistes renommés. Cette collection vise à soutenir la création contemporaine et favoriser plus largement la sensibilisation à l’art, grâce à de nombreux projets d’exposition et de programmes éducatifs, en collaboration avec les villes, collèges et établissements culturels ou sociaux de la Seine-Saint-Denis.

Romane Fraysse

La mécanique de l’exploit, le corps à l’épreuve du sport
Musée d’art et d’histoire Paul Éluard
22 bis rue Gabriel Péri, 93200 Saint-Denis
Jusqu’au 25 novembre 2024

À lire également : Voici 5 expositions parisiennes qui mêlent l’art et le sport à l’occasion des J.O à Paris

Image à la une : Maryline Terrier, Apothéose d’Ellia Green (détail)
2022, crayon graphite sur papier
Collection départementale d’art contemporain de la Seine-Saint-Denis
© Maryline Terrier, courtesy H Gallery



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