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Nathanaëlle Herbelin chez les nabis : une palette de l’intime au musée d’Orsay

Nathanaëlle Herbelin, Emmanuelle et Efi, 2024 - © Adagp, Paris, 2024

Entre le salon d’un Vuillard, le dîner d’un Vallotton et le bain d’un Bonnard s’immiscent plusieurs dizaines de toiles au musée d’Orsay : elles aussi sont des scènes intimes, elles aussi mêlent les tons chauds dans des motifs bigarrés. Celles-ci sont pourtant l’œuvre contemporaine de Nathanaëlle Herbelin, peintre franco-israélienne qui s’inspire des maîtres modernes pour illustrer la vie quotidienne au XXIe siècle. Présenté jusqu’au 30 juin 2024, ce dialogue tendre et sans parure renvoie à des paysages familiers, tout en menant des réflexions sur la représentation du corps sensible et de l’espace mental.

Une nabi 2.0

On n’a pas pour habitude de découvrir une artiste contemporaine dans les galeries du musée d’Orsay. En premier lieu, Nathanaëlle Herbelin a pris la nouvelle comme une déraison, avant de se raviser : « C’était un peu comme si la police du style venait me demander des explications ». En effet, durant ses études, l’artiste n’a cessé d’écumer les salles d’un des musées parisiens les plus emblématiques de l’art moderne. Elle trouve un intérêt particulier dans les toiles des nabis, mais aussi Manet, Degas, Caillebotte, Carrière, Hodler, Claudel, Corot, Courbet ou Hammershøi, qu’elle observe avec attention, le pinceau à la main.

Exposition "Nathanaelle Herbelin" - © Sophie Crépy - musée d'Orsay © ADAGP, Paris 2024
Exposition “Nathanaelle Herbelin” – © Sophie Crépy – musée d’Orsay © ADAGP, Paris 2024

Bien que le titre de l’exposition soit emprunté à l’un de ses tableaux, celui-ci résonne parfaitement avec son attachement au lieu : « Être ici est une splendeur ». Le parcours dialogue ainsi avec des œuvres de Pierre Bonnard, Édouard Vuillard et Félix Vallotton sélectionnées par l’artiste et les commissaires Christophe Leribault et Nicolas Gausserand.

Nathanaëlle Herbelin, Être ici est une splendeur 2022 - © Adagp, Paris, 2024
Nathanaëlle Herbelin, Être ici est une splendeur 2022 – © Adagp, Paris, 2024

Un jeu est orchestré en mêlant les toiles d’Herbelin à celles des trois peintres, dans de petits et grands formats qui se répondent, voire se confondent. On retrouve des thématiques similaires, celles d’espaces domestiques et intimes, où le corps se livre avec confiance au regard sans plus aucune parure. Toutefois, en se rapprochant des tableaux, ce dialogue des modernités nous fait différencier l’œuvre de la nabi 2.0 : l’écran d’un ordinateur éclaire une pièce, les vêtements souples et dénudés des personnages nous ramènent à l’époque contemporaine, tandis que le corps masculin s’exhibe avec davantage de sensualité.

Paysages intimes

Une chaleur et une douceur s’emparent des toiles d’Herbelin. Le quotidien est révélé à travers toute la tendresse de ses moments intimes : l’enlacement entre deux sœurs ou deux amants, la caresse apportée au chat domestique, mais aussi l’objet fétiche, ce « Canapé de l’amour » que l’on retrouve dans plusieurs toiles comme un fil conducteur. Les murs sont quant à eux tapissés de motifs prosaïques, donnant l’aspect d’un cocon dans lequel chacun est invité à se lover. Et dans ces intérieurs bigarrés, les personnages sont toujours des complices, qui restent malgré tout non identifiés.

Nathanaëlle Herbelin, Layla 2019 - © Adagp, Paris, 2024
Nathanaëlle Herbelin, Layla 2019 – © Adagp, Paris, 2024

Toutefois, d’autres toiles évoquent aussi un sentiment vague de mélancolie. C’est le cas pour Paysage mental, cette chambre bleue, désertée, dans laquelle aucun objet personnel ne semble se détacher de la scène. Une porte reste toutefois ouverte sur un coteau inconnu, où l’on devine quelques oiseaux en plein vol. Ces désirs d’évasion et ces sentiments d’étrangeté laissent transparaitre, de près ou de loin, l’univers de Frida Kahlo. L’espace est alors chargé d’une dimension spirituelle, qui renvoie aux émotions particulières des personnages présents ou de l’artiste elle-même.

Le corps mis à nu

Dans ces scènes intérieures, le corps, débarrassé de tout regard hostile, s’offre au spectateur sous son geste le plus naturel, parfois relâché dans le bain ou durant l’épilation, attendri par un enlacement nocturne, ou affairé devant un écran d’ordinateur. Tout comme Bonnard et ses femmes prenant le bain, Herbelin se représente sans recherche d’idéal, entièrement nue dans sa douche ou en train d’enfiler une culotte. Le corps, impudique, ne cherche pas à se dissimuler, mais se dévoile au contraire dans son humanité la plus triviale.

Nathanaëlle Herbelin, Jérémie au bain, 2023 - © Adagp, Paris, 2024
Nathanaëlle Herbelin, Jérémie au bain, 2023 – © Adagp, Paris, 2024

Si les nabis ont déjà représenté le corps féminin au naturel, les œuvres d’Herbelin se démarquent en remettant aussi en question la virilité en peignant des hommes aussi sensuels que sentimentaux. Si la femme est représentée sans érotisation à travers ses rondeurs et sa pilosité, elle quitte le regard masculin pour pouvoir éprouver son propre désir : dans un tableau miniature, celle-ci reçoit un cunnilingus, ou un plus grand format, laisse son amant se lover contre son corps.

Un art de l’ornement

Herbelin ne cache pas son inspiration nabi, et cela s’observe à travers son goût pour les ornements. Dans ses scènes intérieures et ses portraits, une attention particulière est portée à certains détails, comme les zébrures du plancher, les lignes du carrelage, mais aussi les tapisseries étendues au mur ou sur le canapé, les motifs des couettes et des vêtements. Propre aux nabis, cet art décoratif se retrouve sur le papier peint jaune dans le tendre Sœurs, ou encore sur la chemise en léopard d’Augustan.

Nathanaëlle Herbelin, Augustan, 2022 - © Adagp, Paris, 2024
Nathanaëlle Herbelin, Augustan, 2022 – © Adagp, Paris, 2024

Ces motifs variés servent souvent de sous-texte à la scène représentée : le léopard évoque la personnalité séductrice d’Augustan, ou le papier peint lumineux réchauffe les deux sœurs enlacées. C’est notamment dans l’intrigant Ma grand-mère à son mariage / funérailles que l’artiste révèle l’importance qu’elle accorde au décor. Alors que sa grand-mère est représentée en premier plan d’après une photographie prise à son mariage, les fleurs inachevées qui ornent le second plan évoquent sa disparition à travers leurs pétales fanés. L’œuvre d’Herbelin révèle ainsi toute une complexité narrative et esthétique qu’on aurait tort de réduire à une simple comparaison aux nabis.

Romane Fraysse

Nathanaëlle Herbelin. Être ici est une splendeur
Musée d’Orsay
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing, 75007 Paris
Jusqu’au 30 juin 2024

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Image à la une : Nathanaëlle Herbelin, Emmanuelle et Efi, 2024 – © Adagp, Paris, 2024

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