Pour le centenaire du Manifeste d’André Breton, le centre Pompidou rend hommage jusqu’au 13 janvier 2025 au mouvement surréaliste, à travers une large période allant de 1924 à 1969. Seulement voilà : l’exposition est présentée comme un labyrinthe magique, mais c’est dans un long dédale d’œuvres que l’on se perd au fil des treize pièces thématiques. On espère voir débarquer la bande des surréalistes pour mettre un peu de bazar à ces salles trop bien rangées, mais que nenni ! Du labyrinthe, malgré l’impressionnante collection d’œuvres, on cherche la sortie.
Un surréalisme-monde
C’est l’une des dernières expositions d’envergure avant la fermeture du centre Pompidou durant cinq ans. Pour le centenaire du Manifeste du surréalisme rédigé par André Breton en 1924, le musée consacre une rétrospective à ce mouvement emblématique du XXe siècle. L’occasion, selon les commissaires Didier Ottinger (directeur adjoint du Musée national d’art moderne) et Marie Sarré, d’éclairer le surréalisme à l’aune des récentes recherches qui le sortent de l’avant-garde parisienne de l’entre-deux-guerres pour révéler son éparpillement dans le monde… jusqu’en 1969 !
Il faut donc en premier lieu reconnaître le travail conséquent effectué pour retracer l’histoire de ce mouvement rebelle, au-delà des habituelles figures d’André Breton, Salvador Dalà ou René Magritte. On est tout d’abord ravi de rencontrer ses influences dans une aquarelle de Victor Hugo, une édition des Chants de Maldoror de Lautréamont, ou un pastel mystique d’Odilon Redon.
Puis, parmi les artistes surréalistes, on découvre des perceptions féminines : bien sûr, l’étrange collage Ubu roi de Dora Maar, mais aussi les apparitions mystérieuses de Leonor Fini, l’inquiétante Chambre 202 de Dorothea Tanning, ou la fabuleuse robe en algues de Maruja Mallo. Et l’expédition ne s’arrête pas là , puisqu’on découvre du même coup des œuvres surréalistes provenant des quatre coins du monde, entre les encres du Japonais Tatsuo Ikeda et les toiles spirituelles du Mexicain Rufino Tamayo.
Un labyrinthe trop bien rangé
Avec cette grande rétrospective, le centre Pompidou nous ouvre donc à de nombreuses découvertes et à une réinterprétation du mouvement à travers ses nombreuses peintures, dessins, films, photographies, ouvrages littéraires et poèmes. Seulement voilà : cet étalage d’artistes venus des quatre coins du monde s’apparente à un catalogue quelque peu monotone au fil des treize salles thématiques.
Certes, l’ouverture de l’exposition se fait à travers une « porte magique » conçue par Thierry Dufrêne et le magicien Abdul Alafrez, et un long couloir obscur nous dirige tout droit vers les manuscrits du Manifeste, exceptionnellement prêtés par la Bibliothèque nationale de France. Mais très vite, le parcours, décrit comme un « labyrinthe », devient soporifique.
Dès le départ, on s’étonne du rangement très ordonné des œuvres dans les salles d’exposition : certes, le public attendu est conséquent et nécessite de grands espaces, mais on perd du même coup l’esprit désordonné et rebelle propre aux surréalistes. Ici, tout semble calme et raisonnable, sagement rangé dans des vitrines et sur des murs. La dimension magique et divinatoire de l’ouverture paraît alors bien factice face à un parcours aussi logique. L’aspect ordonné se constate d’ailleurs par l’absence d’évocation des nombreuses ruptures au sein du mouvement : tout est présenté comme si le surréalisme était un système qui se déployait selon des thématiques lunaires.
Des cloisons narratives
On peut en effet supposer que cette exposition est passée à côté de l’esprit surréaliste par sa forme : 13 salles divisées en des thématiques narratives évoquant des inspirations littéraires comme Lewis Carroll ou Sade, ainsi que des topos nourrissant l’imaginaire surréaliste, tels que le rêve, la forêt, la nuit ou la pierre philosophale. Bref, le parcours fait preuve d’une certaine froideur, comme si l’on disséquait une œuvre en isolant ses figures une à une.
Cela élude la philosophie même du surréalisme qui dépasse les simples thématiques, et notamment sa vision politique, qui semble pourtant être un élément essentiel du mouvement. En effet, en parfaits héritiers des romantiques, ces artistes se sont opposés au rationalisme et à l’utilitarisme de la société industrielle, ont ouvertement milité contre l’exposition coloniale ou la guerre d’Indochine. En cela, ils se sont érigés comme de véritables éléments perturbateurs de l’ordre public, réveillant les consciences à leur sensibilité et à leur intuition.
Hélas, cet engagement est souvent présenté en marge du parcours, à travers quelques manifestes, articles ou tracts exposés avec parcimonie, sans en faire un élément central chez les surréalistes. En s’enfermant dans des thématiques isolées et des listes interminables d’artistes, l’exposition met ainsi de côté la pensée complexe et résistante d’un mouvement pourtant majeur de la modernité.
Romane Fraysse
Surréalisme
Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou, 75004 Paris
Jusqu’au 13 janvier 2025
À lire également : Voici 12 expositions parisiennes qui nous attendent à la rentrée 2024Â
Image à la une : Exposition Surréalisme – © Centre Pompidou, Janeth Rodriguez Garcia