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Au musée Paul Éluard, une histoire des « insurgé.e.s » de la Commune de Paris

Initialement prévue pour le 150e anniversaire de la Commune de Paris, cette exposition retardée par la pandémie est enfin présentée au musée d’Art et d’Histoire Paul Éluard jusqu’au 6 mars 2023. Dans un dialogue entre les documents de 1871 et les témoignages contemporains, le parcours retrace sans complaisance l’évolution du mouvement communaliste à travers les multiples figures de ses « insurgé.e.s ».

L’un des fonds les plus importants sur la Commune

Installé depuis 1981 dans l’ancien carmel de Saint-Denis classé monument historique, le musée d’Art et d’Histoire Paul Éluard détient l’un des fonds les plus importants sur la Commune de Paris de 1871. Dans ses collections, on compte plus de 15 000 œuvres et documents en lien avec cette période révoltée. 72 journées historiques traversées par les dessins, estampes, affiches, journaux, photographies, correspondances, peintures, sculptures ou reliquaires. Mais d’où vient ce fonds ? Les premières pièces ont été rassemblées lors d’une exposition organisée en 1935 par la municipalité de Saint-Denis sur la Commune de Paris. Le conservateur André Barroux a acquis de nombreux documents encore récents, qui ont été présentés pour la première fois au public.

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Musée d’art et d’histoire Paul Éluard – © Irène Andréani / Saad-Ellaoui

Puis, les collections se sont développées et ont été réparties dans différents lieux de Saint-Denis : les affiches ont été conservées aux archives, les manuscrits et journaux à la bibliothèque, et les dessins, peintures et objets au musée. C’est tout récemment, en 2019, que les fonds ont pu être rassemblés dans le présent musée, rebaptisé « musée d’Art et d’Histoire Paul Éluard » cette année-là. Si, à l’origine, cette exposition a été conçue pour le 150e anniversaire de la Commune de Paris, le lieu propose aussi un parcours permanent, plus chronologique, qui retrace la guerre de 1870 jusqu’à la déportation en Nouvelle-Calédonie, à travers ses collections constituées depuis 1938.

L’insurrection pour une « démocratie vraie »

Présentée dans plusieurs salles du carmel, l’exposition se déroule dans un étrange dialogue avec les sentences mystiques des carmélites inscrites sur les murs. C’est pourtant au sein de ces grandes pièces aux tomettes et aux poutres en bois que l’on retourne au 18 mars 1871, jour de l’insurrection. En effet, c’est à cette date que des Parisiennes et des Parisiens se regroupent pour s’opposer au gouvernement d’Adolphe Thiers. La veille, celui-ci a donné pour ordre à ses troupes d’y récupérer les 277 canons de la Garde nationale de Montmartre et Belleville, qui ont été payés par souscription populaire. Une grande partie du peuple, bientôt rejointe par les soldats, se soulève alors contre cette décision gouvernementale dans l’ensemble de la capitale, tandis que Thiers et ses hommes se replient à Versailles.

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Affiche du 25 mars 1871. Elections à la Commune de Paris – © Romane Fraysse

En introduction de l’exposition, une affiche datant du 25 mars annonce les élections du Conseil de la Commune, et le drapeau rouge du 143e bataillon fédéré de la Garde nationale trône fièrement au centre de l’espace. Plusieurs photographies laissent apercevoir les révoltés entourés de barricades dans les rues parisiennes. Ainsi, tout au long de la première salle se construit l’idée d’une « démocratie vraie », directement défendue par les « insurgé.e.s ». Si l’exposition défend l’écriture inclusive, c’est pour démontrer que les communards ont aussi été des communardes, à travers le portrait de plusieurs révolutionnaires comme Louise Michel, ou encore une affiche d’appel à la mobilisation des ouvrières.

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Vue de l’exposition – © Romane Fraysse

Chaque revendication est alors éclairée par un regard contemporain d’historiens, journalistes, philosophes ou écrivains. Les femmes sont perçues à travers leur engagement syndical, leur droit au port des armes et leur défense d’une réorganisation du travail – le droit de vote n’est pas explicitement mis sur la table. L’éducation est aussi une thématique chère aux communards, qui souhaitent défendre l’accès à un savoir laïc pour tous les enfants, mais aussi pour les étrangers ou les gardes nationaux alliés. Car le parcours mettra plusieurs fois en lumière leur anticléricalisme cinglant, à travers des caricatures satiriques de l’époque, et l’évocation de religieux pris en otage.

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Emile Perre, Sculpture de Louise Michel – © Romane Fraysse

Par la pluralité des témoignages contemporains, l’intérêt de cette exposition est ainsi d’éclairer les différents points de vue entre les communards, les versaillais et les Parisiens anti-communards, restés dans la capitale tout en étant hostiles au mouvement. Les caricatures abondent alors dans tous les sens, et dévoilent la complexité de cette histoire, qui n’est pas seulement à lire comme celle de deux camps que tout oppose.

La Semaine sanglante d’une rébellion politique

Une deuxième salle nous fait progresser vers les effroyables jours de la Semaine sanglante. Nous sommes à la fin du mois de mai 1871, et les affrontements commencent entre les communards et les versaillais tentant de reprendre la capitale. Du 21 au 28 mai, la révolte fait la une des journaux, les clubs de parole se multiplient, les dessinateurs et les peintres se pressent pour saisir les scènes d’affrontement qui se jouent en plein Paris. Certains d’entre eux, comme Bertall, élaborent des portraits types des « insurgé.e.s », souvent réducteurs, qui sont longtemps restés dans les mémoires.

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Alexandre Dupendant, Une barricade de femmes au faubourg Rochechouard, 1871 – © Irène Andréani / Musée d’art et d’histoire Paul Eluard, Saint-Denis

À l’inverse, d’autres illustrent de véritables scènes de guerre, où les communards défendent leur quartier. Une barricade de femmes au faubourg Rochechouard est esquissée par Alexandre Dupendant, tandis qu’une lithographie d’Édouard Manet représente la dépouille d’un insurgé fusillé, reposant devant une rangée de pavés. Au moment où les communards sont abattus en masse, leurs otages sont eux aussi mis à mort, et plusieurs habitations détruites par les flammes.

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Édouard Manet, Guerre civile, lithographie sur papier, 1871 – © Irène Andréani / Musée d’art et d’histoire Paul Eluard, Saint-Denis

Des photomontages sur les « crimes de la Commune » commencent alors à circuler dans la capitale. Les insurgés sont dénoncés, arrêtés et déportés en Nouvelle-Calédonie, tandis que d’autres s’exilent. Le parcours présente par exemple une lettre du communard Jean Allemane envoyée par voie secrète du bagne de l’île Nou, ou une série originale des caricatures anticléricales de Pilotell, exilé à Londres. Il faut attendre la loi d’amnistie plénière de 1880 pour que tous les condamnés de la Commune soient amnistiés par l’Assemblée nationale.

Les mémoires de l’après-révolution

Plus de 150 ans après cet événement passé sous silence dans les manuels scolaires, qu’est-il resté dans les mémoires ? Si la Commune de Paris a été oubliée durant plusieurs décennies, son histoire semble refaire surface depuis quelques années. Le 29 novembre 2016, l’Assemblée nationale adopte ainsi une résolution destinée à « rendre justice aux victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871 » en diffusant davantage les valeurs républicaines portées par les insurgés.

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Ernest Pignon-Ernest, La Commune, 1971 – © Romane Fraysse

L’année suivante, alors que les Parisiens sont invités à proposer des projets dans le cadre du budget participatif de la Ville, une proposition, présentée dans l’exposition, ne passe pas inaperçue. Une certaine « Nathalie Lemel » demande de « Raser le Sacré-Cœur » considéré comme une « verrue versaillaise qui insulte la mémoire de la Commune de Paris ». L’église a en effet été construite en réaction aux rébellions des communards, et résonne aujourd’hui comme une provocation pour bon nombre de militants de gauche. Son récent classement au titre de monument historique a d’ailleurs été accepté après de longs débats.

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Raspouteam, Collage de portraits de communardes – © Romane Fraysse

Certains artistes ont aussi réagi à cette histoire. Parmi eux, Ernest Pignon-Ernest a étalé en 1871 sur les marches du Sacré-Cœur plusieurs pochoirs représentant un communard abattu. Le collectif Raspouteam a quant à lui investi les rues de Paris et ses environs en collant sur ses murs des photographies de la Commune sur les lieux mêmes des événements. Des rues, des places et des monuments aussi capturés par l’artiste argentin Sergio Vega, qui associe ses prises de vue aux événements de la Semaine sanglante, ou Tardi qui en fait le récit dans une bande dessinée. Ainsi, au-delà des récits historiques, la mémoire de la Commune de Paris reste durement gravée dans les anciennes pierres de la ville.

Insurgé.e.s !
Musée d’Art et d’Histoire Paul Eluard
22 bis rue Gabriel Péri, 93200 Saint-Denis
Jusqu’au 6 mars 2023

Romane Fraysse

À lire également : Louise Michel, la “Vierge rouge” de la Commune de Paris

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