Sarah Bernhardt, véritable icône de la Belle Époque, doit désormais sa renommée à Alfons Mucha et ses splendides affiches Art nouveau. Ce « monstre sacré » a pourtant été sur tous les fronts, à la fois comédienne, sculptrice, égérie, actrice de cinéma, directrice de théâtre, et personnalité médiatique avant l’heure. Jusqu’au 27 août 2023, une exposition du Petit Palais rend superbement compte de cette vie extra-ordinaire, qui dévoile une personnalité plus ambitieuse qu’inventive.
L’entrée en scène de Mademoiselle Révolte
Si Jean Cocteau a qualifié Sarah Bernhardt de « monstre sacré » – donnant du même coup naissance à une expression – c’est sans nul doute parce que l’actrice a eu très tôt le souci de sa représentation dans le monde. Arrivée à Paris en 1850, à l’âge de 6 ans, Bernhardt est aussitôt mêlée au cercle demi-mondain de sa mère et sa tante, des courtisanes connues du Tout-Paris.  Edmond de Goncourt n’hésite d’ailleurs pas à parler de la « séductrice famille Sarah Bernhardt », que le duc de Morny, demi-frère de Napoléon III, fréquente régulièrement. La première salle de l’exposition présente alors différentes photographies de la jeune Bernhardt, prises notamment par Nadar, ainsi qu’un buste du duc, qui deviendra son protecteur et la fera entrer au Conservatoire.
Après plusieurs petits rôles du répertoire classique, Sarah Bernhardt se fait connaître en 1869 dans Le Passant de François Coppée, au théâtre de l’Odéon, puis avec le rôle de la Reine dans Ruy Blas de Victor Hugo. On peut ainsi voir exposer le corset, gants ou perruque portés par cette jeune comédienne à succès, qui entre alors à la Comédie-Française. Déjà ambitieuse et capricieuse, Bernhardt est rapidement surnommée « Mademoiselle Révolte », autant pour son jeu extravagant que pour ses frasques commentées dans la presse.
Mais après un cuisant échec avec L’Aventurière d’Émile Augier, la comédienne est furieuse et remet sa démission. Et bien sûr, pour que cela ne passe pas inaperçu, elle part avec éclat en envoyant une copie de sa lettre à la presse, concluant « C’est mon premier échec à la Comédie-Française. Ce sera le dernier ».
La vie, un théâtre extravagant
Si Sarah Bernhardt ne s’expose plus sur les planches de la Comédie-Française, elle ne disparaît pas pour autant. Dans les années 1870, elle vit entourée d’artistes tels que les peintres Alfred Stevens, Gustave Doré, Jules Bastien-Lepage, et plus particulièrement Georges Clarin et Louise Abbéma, qui lui consacrent des portraits monumentaux. Véritablement magnétique, elle le devient dans ces tableaux présentés aux Salons, que l’exposition dévoile aussi dans la deuxième salle. Deux imposantes toiles de Clarin révèlent toute l’admiration et la fascination qu’avait le peintre pour la comédienne : face à elles, on se trouve nécessairement intimidé par ce « monstre sacré » en train de naître.
Mais Sarah Bernhardt ne fait pas que s’entourer d’artistes : elle met elle-même la main à la pâte. Véritable touche-à -tout, plus stratège que passionnée, elle réalise plusieurs bustes et autoportraits qui sont présentés au centre du parcours d’exposition. Dévoilées lors des Salons ou dans son atelier-salon ouvert au Tout-Paris, ses sculptures ne présentent aujourd’hui que peu d’intérêt par leurs formes très académiques.
Son extravagance et sa mégalomanie se découvrent aussi dans le décor de son hôtel particulier, qu’elle fait construire en 1875 dans la rue Fortuny très fréquentée. L’exposition dévoile plusieurs de ses meubles, vêtements, bijoux et œuvres d’art venus d’Amérique ou d’Australie, dont une splendide sculpture de fauve. À travers ce somptueux décor orientaliste, Bernhardt est surtout rendue célèbre pour son goût pour l’étrange et le macabre.
Elle fait plusieurs siestes dans un cercueil – et sera, bien sûr, photographié – vit avec des squelettes, et se coiffe même d’un chapeau chauve-souris ! Une théâtralisation du morbide, qui inspirera alors les symbolistes et les décadents de l’époque, notamment le très mondain Robert de Montesquiou.
La Divine sur les planches
Le parcours se poursuit en évoquant tout ce qui fait la renommée de « La Divine ». Tout au long de sa carrière, Sarah Bernhardt a interprété des centaines de rôles dans le répertoire classique, comme chez Racine ou Shakespeare, mais aussi chez ses contemporains Victor Hugo, Alexandre Dumas fils ou Victorien Sardou, ce dernier lui ayant écrit des pièces sur mesure, telles que Théodora et Tosca. Ses rôles en travesti (comme Pierrot ou Hamlet) lui valent aussi un grand succès, bien que l’époque y soit habituée – les rôles féminins étant souvent assez secondaires et ennuyeux, les comédiennes avaient pour coutume d’interpréter des personnages masculins.
En édifiant son mythe, la comédienne adulée devient l’une des premières stars de l’Histoire moderne – et pourrait être aisément qualifiée de « dandy » dans sa manière de mêler l’art à la vie. On la voit dans tous les théâtres, à des séances d’autographe, sur les cartes postales ou les réclames, mais aussi sur les splendides affiches Art nouveau d’Alfons Mucha, présentées dans le parcours.
Véritable entrepreneuse, obnubilée par son image, la comédienne poursuit sa trajectoire en dirigeant plusieurs théâtres, comme le théâtre des Nations sur la place du Châtelet, qu’elle renommera le théâtre Sarah-Bernhardt.
Soucieuse de s’approprier le lieu, elle fait repeindre la salle à l’italienne d’un jaune « bouton d’or » assez inhabituel, et commande des fresques à ses amis Georges Clairin, Louise Abbéma, Louis Besnard et Alfons Mucha. Dans son propre théâtre, Bernhardt ne s’arrête pas là et désire avoir la main sur tous les domaines : elle devient tantôt metteuse en scène, décoratrice, programmatrice et bien sûr, comédienne dans des spectacles grandioses. Proche d’Edmond Rostand, elle demande au jeune auteur de lui écrire un tout nouveau texte pour son théâtre : L’Aiglon, dans lequel elle interprète le fils de Napoléon, sera alors un triomphe et fera venir plus d’un millier de spectateurs.
Une Voix d’Or à travers le monde
Dans le parcours, plusieurs enregistrements et vidéos nous font entendre la voix maniérée et artificielle de Sarah Bernhardt lors de ses interprétations. À la découverte de ces tirades difficilement audibles, on s’étonne que Victor Hugo ait pu la qualifier de « Voix d’Or ». Pourtant, sa diction atypique plait énormément aux contemporains de l’époque, en France et partout dans le monde. En effet, dès les années 1870, la comédienne s’engage dans une série de tournées internationales à bord de son mythique train Pullman spécialement décoré pour elle. Lors de ses représentations faites en français, elle privilégie ses pièces les plus célèbres, comme La Dame aux camélias ou La Tosca.
Si l’exposition consacre une section à la « femme engagée » qu’elle aurait été, on se permet tout de même d’émettre quelques doutes concernant cette personnalité mégalomane. Certes, une lettre adressée à Émile Zola nous dévoile son soutien lors de l’Affaire Dreyfus. Sous la Première Guerre mondiale, alors amputée de sa jambe droite, elle rejoint le théâtre des Armées et s’y produit pour soutenir les poilus. Toutefois, la petite salle consacrée à cet « aspect » de Bernhardt confirme bien son peu d’engagement lors de sa longue vie pourtant bien remplie.
Si sa « Voix d’Or » ne peut encore être entendue au cinéma, elle décide tout de même de s’y engager. Dès l’Exposition universelle de Paris en 1900, elle participe au Photo-Cinéma Théâtre, et continue de tourner durant une vingtaine d’années, jusqu’à la veille de sa mort, avec le film La Voyante. On la voit dans plusieurs cinémas du monde entier, immédiatement reconnue à sa gestuelle très expressive. Interprétant parfois son propre rôle, celle-ci apparaît également dans un documentaire sur sa vie, tourné par Mercanton chez elle, à Belle-Île-en-Mer en 1912.
La dernière salle nous présente cette série de scènes censée présenter son quotidien : on la voit diner avec ses amis, sculpter dans son atelier ou se reposer avec ses chiens. Ses funérailles elles-mêmes seront filmées par les actualités de l’époque, qui présentent la foule de ses admirateurs. Ainsi, jusqu’à la fin de cette riche exposition, on assiste – comme Bernhardt le voulait – à une existence « extra-ordinaire », digne d’une production hollywoodienne, dans laquelle l’actrice et la femme ne font plus qu’une, au risque d’en faire un peu trop.
Sarah Bernhardt. Et la femme créa la star
Petit Palais
Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris
Jusqu’au 27 août 2023
Romane Fraysse
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