Il faut voyager vers les Hauts-de-Seine, emprunter un petit pont menant sur l’île Saint-Germain, puis traverser son vaste parc avant de voir apparaître l’intrigante Tour aux figures, érigée au sommet d’une butte. Conçue par Jean Dubuffet dès 1967 et inaugurée en 1988, cette sculpture monumentale, typique de la période de l’Hourloupe, se visite de l’intérieur comme de l’extérieur, en tant que « lieu occasionnel de retirement et de rêverie ».
Une Tour sur une île
Pour faire face à la Tour aux figures de Jean Dubuffet, il faut tout d’abord se rendre sur une île, une grande île boisée située à l’ouest de Paris. C’est en effet au sein du parc départemental de l’île Saint-Germain que surgit cette Å“uvre monumentale, érigée sur une petite butte. De loin, la Tour dévoile déjà ses formes blanches, bleues et rouges, délimitées par des lignes noires. En se rapprochant, on constate ensuite les irrégularités de l’architecture, qui prend soudainement du relief.
Cette expérience visuelle semble nous faire voyager de la deuxième à la troisième dimension en quelques pas. Et cela n’est pas le fruit du hasard, puisque la Tour a été réalisée au moment même où Jean Dubuffet décide d’abandonner le dessin pour se consacrer à la sculpture monumentale. Dès 1967, l’artiste en réalise une maquette de 1 mètre de haut et se fait aider par l’architecte Antoine Butor pour réaliser les plans et concevoir l’intérieur de la Tour : d’abord divisé en appartements, celui-ci perd progressivement sa fonctionnalité pour devenir un espace alambiqué entièrement composé d’aplats blancs et de lignes noires.
Malgré tout, le projet met des années à voir le jour, faute de lieu pour l’accueillir. C’est finalement en 1983 que la construction de la Tour est commandée par le ministre de la Culture, Jack Lang : ce dernier laisse alors à l’artiste le choix de son emplacement. Deux ans plus tard, Dubuffet choisit l’île Saint-Germain, précisément sur la petite butte où elle se trouve, mais celui-ci meurt avant son inauguration, le 24 octobre 1988.
Un monument de l’Hourloupe
La Tour aux figures correspond en fait à un cycle particulier dans l’œuvre de Jean Dubuffet, caractérisé par le curieux nom d’Hourloupe. C’est là toute la singularité de cet artiste, qui n’a eu de cesse de concevoir un univers à son image, cassant les frontières des arts académiques pour donner lieu à des formes indéterminées, mêlant dessin, sculpture et architecture, parfois figuratives ou abstraites, et toujours désignées par des néologismes.
Dès 1962 jusqu’en 1983, Dubuffet a exploré cette série constituée d’huiles sur toile, de dessins, d’assemblages, d’architectures, de sculptures, toujours avec des aplats, des rayures, et trois couleurs emblématiques cernées par le noir : le rouge, le blanc et le bleu. Il ne s’agit nullement d’une célébration patriotique, mais des couleurs présentes sur le stylo bille avec lequel il avait l’habitude de hachurer ses esquisses. Pour le reste, Dubuffet reste relativement mystérieux, s’opposant à toute explication logique : concernant le terme Hourloupe, celui-ci déclare simplement : « Je l’associais, par assonance, à  hurler, hululer, loup, Riquet à la Houppe et le titre Le Horla du livre de Maupassant inspiré d’égarement mental ».
90 panneaux peints
En montant les quelques marches aménagées autour de la butte, on arrive tout devant la grande Tour de 24 mètres de hauteur. Principalement composée en béton armé, celle-ci et recouverte de 90 panneaux en résine époxy peints de formes blanches, rouges et bleues, délimitées par des traits noirs. Ces aplats aux tracés irréguliers sont parfois rompus par des hachures. Parmi les tracés, chacun y devine des corps et des visages incertains.
C’est Richard Dhoedt, l’un des assistants de Dubuffet, qui a réalisé ces formes. Les panneaux ont été peints dans l’atelier au moyen d’un pantographe, un instrument de dessin qui permet de reproduire un motif à l’échelle exacte depuis les maquettes d’origine. La création et la construction vont durer un an, jusqu’à l’inauguration du 24 octobre 1988 en présence du président de la République François Mitterrand.
Au sein du Gastrovolve
Jean Dubuffet aurait pu s’arrêter à la façade de la Tour aux figures. Mais alors, l’œuvre retrouverait son rôle d’objet d’exposition devant lequel s’arrête le visiteur : elle ne serait pas un univers en soi, dans lequel on pénètre. Pour l’artiste, l’Hourloupe est un monde parallèle, avec de nouvelles formes non identifiées, de nouveaux mots sans référence, des espaces sans fonction. D’ailleurs, l’intérieur de la Tour a un nom propre, le Gastrovolve.
C’est donc en ouvrant une mince porte, difficilement perceptible de l’extérieur, que l’on entre dans cet édifice obscur, sans aucune ouverture sur l’extérieur, telle une grotte préhistorique – depuis, un éclairage a toutefois été ajouté pour faciliter la visite. Sur une montée de 117 mètres, on se retrouve dans un vrai labyrinthe où l’entièreté de l’espace est recouverte de peinture blanche et de tracés noirs. Le sol est bosselé, les escaliers irréguliers, bien que plusieurs paliers permettent de faire une halte, jusqu’à la toute dernière salle au sommet. Coupé du monde au sens propre, tant par la lumière que par le bruit, par l’absence de couleurs et de formes connues, cet univers à part est, comme l’indique Dubuffet, un « lieu occasionnel de retirement et de rêverie ».
Romane Fraysse
La Tour aux figures
170 quai de Stalingrad, 92130 Issy-les-Moulineaux
Visite de mars à octobre, samedis et dimanches après-midi
Visites individuelles : 8€/6€ – Familles : 5€/ 3€
Réservations sur : tourauxfigures.hauts-de-seine.fr
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Image à la une : Jean Dubuffet, La Tour aux figures – © ADAGP / O. Ravoire