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« Loin des yeux, loin des Jeux » : le collectif Le revers de la médaille alerte sur l’exclusion sociale provoquée par les JO

© Le revers de la médaille
Par Romane Fraysse

Les Jeux Olympiques de Paris 2024 ont été présentés comme « les plus inclusifs de l’histoire » par leurs organisateurs. Ce n’est pourtant pas l’avis du Revers de la médaille, qui s’est constitué en réaction au « nettoyage social » mené en Île-de-France à l’approche de l’événement sportif. Nous avons donc rencontré ce collectif engagé, qui regroupe 90 associations aidant quotidiennement les personnes migrantes, sans-abri, travailleuses du sexe et consommatrices de drogue.

Quand avez-vous pris conscience que l’arrivée des JO risquait d’exclure certaines populations d’Île-de-France ?

Dès le mois d’avril 2023, de premières évacuations de squats, bidonvilles et campements ont eu lieu à Saint-Denis, autour des futurs sites olympiques. En quelques semaines, on estime que 4 000 personnes ont été expulsées sans proposition d’hébergement, ce qui a forcément fait réagir les associations locales, qui ont aussitôt interpellé la préfecture.

Au même moment, des sas de desserrement ont commencé à être mises en place dans les régions : ces nouveaux établissements proposent un hébergement de trois semaines aux sans-abris et aux migrants d’Île-de-France dans plusieurs villes de France. L’objectif est donc clairement d’éloigner ces populations en préparation des JO, ce que la préfecture a toujours nié.

Comment est né votre collectif ?

En septembre 2023, face à l’absence de réaction des autorités, on commence à s’intéresser à la politique menée aux précédentes éditions des JO, et on constate que toutes les villes procèdent à un « nettoyage social ». Autrement dit, on vire de l’espace public toutes les populations que l’on considère indésirables durant un événement international comme celui-ci.

© Le revers de la médaille
© Le revers de la médaille

Le collectif est donc né face à ce constat, et en réaction aux expulsions massives du printemps dernier en Île-de-France. 90 associations qui aident quotidiennement les personnes migrantes, sans-abri, travailleuses du sexe et consommatrices de drogue ont décidé de former ce collectif durant une année, pour faire face au nettoyage social qui est mis en place. Nous ne sommes pas opposés aux Jeux en tant que tels, mais à l’absence de concertation avec les citoyens français.

Ce nettoyage social n’était-il pas déjà fait à Paris ?

Certes, la pression sur les personnes migrantes n’est pas nouvelle. Mais en temps normal, ces expulsions ne sont pas faites massivement sur un même secteur, et des solutions sont proposées pour un hébergement en Île-de-France. Depuis le printemps 2023, ces interventions sont de plus en plus importantes, sans mise à l’abri. À cent jours des JO, un squat qui existait à Vitry-sur-Seine depuis 2021 a été expulsé : 450 personnes, dont 80 familles et 12 enfants scolarisés, se sont retrouvées à la rue.

© Le revers de la médaille
© Le revers de la médaille

En terme général, les populations les plus précaires d’Île-de-France sont visées. Une enquête de Bondy Blog a d’ailleurs révélé une stratégie de la préfecture concernant les « Quartiers d’été », un dispositif d’animations estivales pour les jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Cette année, à Saint-Denis, le budget n’est donné qu’aux associations qui les amèneront en séjour en dehors de l’Île-de-France. On cherche donc à les éloigner des sites des JO.

Ne proposer aucune mise à l’abri n’est-il pas contradictoire face aux importants dispositifs de sécurité qui sont mis en place durant les JO ?

En effet, cela nous semble complètement absurde : le gouvernement veut invisibiliser ces populations, mais en les renvoyant dans la rue, ils provoqueront l’effet inverse. C’est la même chose pour les sas régionaux, qui sont provisoires. Durant les trois semaines, un diagnostic social va être établi pour connaître la situation administrative et professionnelle de la personne sans-abri, puis une décision sera prise en fonction de sa situation : pour 40 % d’entre elles, un hébergement plus pérenne peut être proposé, et pour les 60 % restants, c’est un retour à la rue.

Votre collectif défend aussi d’autres populations, comme les personnes travailleuses du sexe et consommatrices de drogues.

Oui, ces populations sont spécifiquement visées, alors que ce n’était pas le cas auparavant. Par exemple, une loi votée en 2016 protège les travailleuses du sexe en pénalisant leurs clients. Dans le bois de Vincennes, un grand nombre d’entre elles font partie d’un réseau de traite et sont jusqu’ici protégées par la police si elles portent plainte. Mais ces derniers mois, le racolage est de nouveau pénalisé, et ces femmes reçoivent une obligation de quitter le territoire français.

© Le revers de la médaille
© Le revers de la médaille

Une autre population visée, ce sont les usagers de drogue qui se regroupent à certains points de deal dans la région. La police a une stratégie de dispersion qui ne fonctionne évidemment pas. Le souci, c’est que lors de l’événement, les sites deviendront inaccessibles, et la prise en charge de ces personnes sera d’autant plus difficile.

En effet, la limitation des déplacements durant les JO risque de compliquer le travail des associations…

Les associations travaillent quotidiennement dans l’espace public pour une aide alimentaire ou un accès au soin. Par exemple, La Chorba organise une distribution de 1 000 repas par soir à la porte de la Villette. Or, on se doute que ce site ne sera plus accessible durant les JO, tout comme un grand nombre de lieux où l’on installe des maraudes.

Autre problème, le suivi des personnes. S’il est difficile de rester en contact avec celles vivant dans des campements, les associations suivent régulièrement les « grands marginaux », ces personnes fragiles qui vivent depuis longtemps dans la rue et qui refusent toute solution d’hébergement. Mais les JO risquent de perturber leur quotidien et de faire perdre tout lien avec les acteurs sociaux.

Quelles sont vos actions avant et durant les JO ?

Les JO sont un vrai catalyseur, qui met en lumière tous les problèmes sociaux existants. De plus en plus de médias français et étrangers s’intéressent aux actions de notre collectif, et c’est positif. On vit généralement à Paris sans que ces problèmes-là soient visibles, alors qu’on distribue tout de même 30 000 repas de l’aide alimentaire par jour, et que 7 000 personnes vivent dans la rue.

© Le revers de la médaille
© Audrey M-G.

Au-delà des interventions dans les médias et dans l’espace public, notre collectif a aussi un rôle de concertation. On a des rendez-vous réguliers avec les organisateurs des Jeux et la préfecture afin de trouver des solutions. Néanmoins, on n’a encore reçu aucun soutien de leur part, ni même une seule réponse du ministère de l’Intérieur.

Pour autant, durant les JO, on souhaite faire face à l’énorme contrainte qui pèse sur l’espace public, en raison des 16 millions de touristes attendus et des 47 000 personnes en uniforme. On veut garantir l’accès aux dispositifs sociaux, malgré le manque de bénévoles durant l’été. On va donc se démener pour documenter les opérations policières, et faire un rapport à la fin des JO pour indiquer le nombre total de personnes qui ont été déplacées.

Quelles solutions pourraient être mises en place pour améliorer la situation à long terme ?

Notre collectif propose toute une série de mesures pour assurer un héritage social positif des Jeux. Parmi elles, nous pensons qu’il faudrait créer un centre de premier accueil et d’orientation, comme cela a été fait pour les réfugiés ukrainiens. On accueillerait les personnes migrantes, on étudierait leur situation et on les orienterait selon leurs besoins. Mettre cela en place durant les JO n’est pas si difficile : parmi les 9 milliards de budget, les organisateurs auraient pu prévoir au moins quelques sites d’hébergement un peu éloignés.

© Le revers de la médaille
© Le revers de la médaille

Mais l’État refuse de le faire pour les autres nationalités à cause de la « théorie de l’appel d’air », une croyance selon laquelle en accueillant les personnes dans de bonnes conditions, on augmente la migration sur le territoire. Les études montrent que cela est une erreur, puisque les populations des pays en crise se déplacent, quelles que soient les conditions d’accueil, quitte à perdre la vie. Il y a donc une vraie méconnaissance de ce que sont les mouvements des populations et les besoins des plus précaires.

Romane Fraysse

Le revers de la médaille
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Image à la une : © Le revers de la médaille



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