Engager une révolution de la couleur n’est pas seulement l’affaire de Claude Monet, à en croire la nouvelle exposition du musée du Luxembourg. Jusqu’au 16 juillet 2023, le parcours nous invite dans la famille du peintre impressionniste, et nous fait rencontrer son frère Léon Monet, industriel et collectionneur, qui a contribué au développement de la production de pigments synthétiques. Un dialogue familial qui met en lumière une passion commune pour la couleur, tout en restant assez évasif sur la réalité de leur relation.
Les couleurs de la famille Monet
Pour entrer au cœur de cette histoire de famille, le parcours s’ouvre naturellement sur la jeunesse des Monet. C’est en 1845 qu’Adolphe et Louise-Justine Monet s’installent au Havre avec leurs deux enfants, Léon âgé de 9 ans et Claude âgé de 5 ans. Ils y retrouvent la demi-sœur d’Adolphe, Marie-Jeanne Lecadre, qui détient avec son mari Jacques plusieurs magasins d’épicerie en gros. Léon aide tout d’abord l’entreprise familiale, avant de se reconvertir dans l’étude de la chimie des couleurs, tandis que le dissipé Claude s’adonne dès son plus jeune âge à la caricature sur ses cahiers d’écolier.
L’exposition présente ainsi plusieurs dessins du jeune artiste en herbe, qui amusent plus qu’ils n’impressionnent. Adolescent, Claude continue cet exercice durant un temps, encouragé par les notables havrais qui n’hésitent pas à débourser un louis pour obtenir leur portrait satirique. Mais sa rencontre avec le peintre Eugène Bourdin sera un véritable tournant, celui-ci l’incitant à abandonner la caricature pour la peinture en plein air. Plusieurs croquis d’arbres ou de bateaux sont dévoilés, et mis en dialogue avec le travail du photographe Gustave Le Gray, qui cherchait à capter le contraste et le mouvement sur les plages du Havre.
Dès 1865, Léon épouse Etiennette-Joséphine Robert, et s’installe ensuite à Déville-lès-Rouen pour devenir représentant de commerce dans la société d’industrie chimique Geigy & C°. Promu directeur d’une nouvelle usine implantée à Maromme, près de Rouen, Léon recrute son neveu Jean, le fils de Claude. De son côté, le peintre commence à expérimenter la touche colorée en réalisant plusieurs portraits de sa famille, mis ici en évidence avec ceux de Renoir à ses débuts.
Toujours dans le souci de raconter une histoire familiale, l’exposition présente aussi l’arbre généalogique des Monet, et évoque brièvement la petite-fille de Léon, Françoise, à travers quelques dessins et son admiration pour ses aïeux.
Léon, un des premiers soutiens de l’impressionnisme
La visite se poursuit avec une mise en lumière de la figure méconnue de Léon Monet. On découvre pour la première fois le Portrait de Léon Monet, le seul que Claude a consacré à son frère. On y perçoit un homme élégamment vêtu d’une redingote et d’un chapeau melon. Son visage de trois quarts présente des joues rouges, ainsi qu’un regard curieusement craintif et sévère. Léon n’a d’ailleurs pas apprécié ce portrait caricatural, qu’il a préféré garder cacher à la vue de tous. Peint en 1874, cette toile marque un moment décisif dans la carrière des deux hommes : c’est justement l’année où Claude fait scandale avec son « manifeste » Impression, soleil levant, tandis que Léon fonde la Société industrielle de Rouen.
S’il a rejeté le tableau de son frère, il n’en reste pas moins admirateur de l’art moderne, et constitue peu à peu une collection de peintures impressionnistes. Très tôt, il acquiert un certain nombre de paysages et de natures mortes réalisés par son frère au Havre, à Honfleur et à Étretat, mais aussi des toiles de Camille Pissarro, d’Alfred Sisley, d’Auguste Renoir, ainsi que celles de peintres de l’école de Rouen.
Malgré les moqueries des contemporains, il est l’un des premiers à défendre cet art d’un genre nouveau, exposant certaines peintures de sa collection dans de petits salons. Il en acquiert également cinq nouvelles lors de la première grande vente impressionniste qui s’ouvre à l’hôtel Drouot à Paris. Une salle de l’exposition présente ainsi plusieurs toiles de sa collection, dont certaines des artistes rouennais Georges Bradberry, Marcel Delaunay, Joseph Delattre, Charles Frechon ou Narcisse Guilbert.
L’industrie rouennaise de Léon
Charmé par le village des Petites-Dalles, Léon Monet y fait construire une petite maison en brique en 1875, qu’il nomme la « Maison rose », dans laquelle il convie un grand nombre d’amis. Son frère Claude lui rend visite à plusieurs reprises, et peint les hautes falaises avoisinantes, tout comme Camille Pissarro et Blanche Hoschedé-Monet le feront ensuite.
Il se désintéresse en revanche de la ville industrielle de Rouen, contrairement aux peintres Joseph Delattre, Charles Frechon et Georges Bradberry, qui aiment la représenter tout en évoluant comme dessinateurs de motifs décoratifs pour l’industrie textile.
De son côté, Léon Monet développe une activité innovante dans son usine de Maromme. En 1859, trois ans après la découverte de la mauvéine par William Perkin, il se consacre à la fabrication de colorants synthétiques à l’aniline et commercialise ces nouvelles couleurs. L’usine de Léon se spécialise alors dans l’impression des cotons et dans les teintures pour soie, laine et coton dont les différentes gammes et les motifs sont présentés dans le parcours.
Le 11 avril 1893, Claude visite avec intérêt l’usine de son frère, et réinvente son œuvre à travers cette révolution des couleurs, prônant lui-même un art de la décoration. Aucune étude ne permet toutefois d’affirmer qu’il utilisait les tubes de peinture synthétique produits par son frère.
Les révolutions de Claude à Rouen
Durant ses escales à Rouen, Claude Monet s’intéresse à quelques rues de la ville, bien que son aspect industriel lui déplaise. Néanmoins, en février 1892, il décide de s’intéresser à sa cathédrale, et plus particulièrement, aux effets de lumière sur sa pierre.
Si sa série n’est malheureusement pas présentée ici, on peut tout de même voir une toile, sur laquelle l’édifice semble rayonner dans toute sa splendeur. Lors de son exposition à la galerie parisienne Durand-Ruel, Claude convie Georges Clemenceau à découvrir cette nouvelle série, que son ami qualifiera de « Révolution de cathédrale dans le monde de l’art » au sein d’un article élogieux.
Pour illustrer cette révolution de la couleur, une dernière salle très intéressante présente les tableaux les plus modernes du peintre, flirtant avec l’abstraction. C’est en 1912, au cœur du jardin de Giverny, que Claude continue de travailler ses motifs malgré une cataracte qui altère sa perception. L’artiste ne se fie plus qu’aux étiquettes de ses tubes de couleurs et à leurs dispositions sur la palette, présentée dans l’exposition.
Par une gestuelle libre et une valorisation des réserves, ses séries de la Maison vue du jardin aux roses revendiquent une indépendance de la couleur, qui se détache radicalement du sujet. Les pinceaux servent ainsi à peindre la couleur, et non plus des motifs figuratifs, ouvrant déjà la voie aux expressionnistes abstraits.
Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur
Musée du Luxembourg
19 rue Vaugirard, 75006 Paris
Jusqu’au 16 juillet 2023
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Romane Fraysse
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