À une époque où le mouvement romantique du XIXe siècle est souvent mal défini, voire victime de stéréotypes, le musée Marmottan-Monet a décidé de mettre en lumière jusqu’au 18 juin 2023 un mouvement jamais représenté dans son ensemble depuis son apparition en 1926. Durant plus de quarante ans, ce groupe d’artistes dits « néo-romantiques » s’est développé en Europe et aux États-Unis, revendiquant un art à la croisée du surréalisme et du romantisme noir.
Une académie imaginaire
Notre première rencontre avec les néo-romantiques se fait dans le fameux vestibule du musée, orné de son élégant lustre. Là, le tableau L’Ensemble réalisé en 1938 par un certain Sir Francis Rose nous présente dix-huit artistes, dont certains sont facilement identifiables : on y retrouve notamment Jean Cocteau, Gertude Stein ou Francis Picabia. En revanche, les autres demeurent inconnus – et cela tombe bien, puisque l’on s’apprête justement à découvrir un mouvement artistique rapidement balayé.
Le peintre Sir Francis Rose, qui a grandi dans une sphère artistique aux côtés de Jean Cocteau et Max Jacob, a été formé par Francis Picabia et soutenu par Gertrude Stein avant de développer une carrière à l’internationale. Dans son Ensemble, il représente plusieurs personnes de son entourage, dont l’historien Henry-Russel Hitchcock, le danseur Serge Lifar, le galeriste Georges Maratier, l’écrivain Louis Bromfield, le musicien Virgil Thomson, la poétesse Natalie Clifford Barney, les peintres Christian Bérard ou Pavel Tchelitchew. Un groupe qui est présenté par l’exposition comme une sorte d’académie imaginaire du néo-romantisme, puisqu’aucune véritable école n’a existé à cette époque.
La défense de la figuration
Dans la première salle, un ouvrage attire notre regard : sur sa couverture, on peut lire l’énigmatique titre After Picasso. Ce texte écrit en 1935 par le critique américain James Thrall Soby est le premier consacré aux néo-romantiques. S’affirmer après Pablo Picasso, c’est le défi lancé par ce nouveau mouvement, qui souhaite défendre une modernité à travers la figuration. Si les périodes rose et bleue de Picasso ont évolué vers le cubisme, ouvrant la voie à l’abstraction, les néo-romantiques souhaitent tracer un autre chemin, s’appuyant sur la thématique mélancolique.
Mais à côté d’un dessin de Picasso, on aperçoit aussi la Mélancolie d’un après-midi de Giorgio de Chirico. Là encore, la filiation paraît évidente avec cette peinture métaphysique du début du siècle. Le jeune groupe d’artistes a en réalité été influencé par les œuvres exposées à la galerie de Paul Guillaume, dont celles des frères Le Nain, Edgar Degas ou Félix Vallotton.
C’est en 1926 qu’ils ont la possibilité, à leur tour, d’exposer à la galerie Druet : parmi eux, Christian Bérard, Thérèse Debains, Pavel Tchelitchew, et les frères Eugène et Léonide Berman, dont on découvre une série de portraits. Par le retour à la figuration, ces artistes ont en commun de privilégier la représentation du visage et de paysages dans des teintes pâles et une atmosphère vaporeuse. Bien que peu remarquée, cette exposition marque le début d’un nouveau mouvement, à contre-courant de l’art abstrait, qui est passé dans l’histoire sous le terme de néo-romantisme.
Un art du mystère
La suite du parcours se présente comme un catalogue des artistes du mouvement, dont les œuvres inégales font percevoir les raisons de notre oubli. Néanmoins, parmi eux, on retient Christian Bérard, sûrement le plus célèbre des néo-romantiques, en particulier grâce à ses contributions au théâtre, comme pour les décors et les costumes des pièces La Belle et la Bête ou L’Aigle à deux têtes de Jean Cocteau.
Mais l’artiste ne demeure pas moins intéressant dans son œuvre picturale, qui convoque des figures mystérieuses et silencieuses, semblant flotter dans des paysages aux couleurs acides. Ses Deux autoportraits sur la plage ne peuvent laisser insensibles : ses deux visages semblent incarner une détresse, celle ressentie face à l’absurdité de l’existence.
Une pièce dédiée à Eugène Berman, déjà entrevu sur l’affiche, nous ouvre vers un autre univers, moins métaphysique, davantage inspiré par l’univers fantastique du XIXe siècle. Si sa Scène de la vie des bohémiens laisse deviner une influence orientaliste et symboliste, sa puissante Sunset évoque la tragédie shakespearienne. Si la salle consacrée à Pavel Tchelitchew nous laisse dubitatifs, on apprécie la découverte des portraits nébuleux de Thérèse Debains, sans pour autant s’en voir troublé.
Par la suite, les œuvres de Christopher Wood et le fameux Sir Francis Rose rappellent les influences picassiennes. Tous deux amants, expatriés d’Angleterre, ils privilégient des sujets élégants, graves et mystérieux dans une palette pâle.
Le monde des apparences
Une dernière salle à la lumière tamisée semble nous faire pénétrer dans une salle de théâtre aux murs rouges vifs. Par surprise, on découvre l’œuvre de Leonor Fini, habituellement rattachée aux surréalistes, mais qui aurait toute sa place parmi les néo-romantiques. En lien avec l’armoire anthropomorphe d’Eugène Berman, la peintre a conçu deux panneaux représentant de grandes créatures ailées aux chevelures ondoyantes. Cet ensemble, exposé à l’origine lors d’une exposition de 1939, est réuni pour la seconde fois dans le parcours.
L’aspect théâtral de cette œuvre collaborative nous conduit tout droit vers un dernier espace consacré à l’amour – ô combien explicite – des néo-romantiques pour le théâtre et l’opéra. Influencés par les personnages de commedia dell’arte, l’univers des Ballets russes, et les saltimbanques picassiens, les artistes de ce mouvement interrogent l’art du travestissement et la marginalité. Ceux qui sont passés dans la postérité sont d’ailleurs connus du grand public pour leurs décors, leurs costumes, leurs scénographies et leur goût pour le spectacle.
Une série d’esquisses et de dessins présentent ces nombreux projets, tandis qu’un film présente le « Bal de papier » qui s’est tenu en 1936 dans le Wadsworth Atheneum de Hartford. Le conservateur Arthur-Everett « Chick » Austin a convié les néo-romantiques Tchelitchew et Berman afin de concevoir le décor et les costumes, ainsi que le célèbre Alexandre Calder, qui y crée une ménagerie en carton. Une vidéo de l’époque présente ainsi ce défilé carnavalesque, qui incarne bien l’humour, l’extravagance et le monde des apparences chers aux éphémères néo-romantiques.
Néo-romantiques
Musée Marmottan-Monet
2 rue Louis-Boilly, 75016 Paris
Jusqu’au 18 juin 2023
Romane Fraysse
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