Nous avons rencontré Joanna Journo, responsable de la galerie « Un jour une illustration », qui met en lumière les créations d’une dizaine de dessinateurs à travers des expositions mensuelles. Née à partir de son compte éponyme sur Instagram, son expérience atypique est un bel exemple de la force collective et créatrice des réseaux sociaux. Passionnée, Joanna Journo transmet au quotidien son amour pour l’illustration, et a créé en un an sa galerie parisienne, sa maison d’édition, tout en gardant encore de nombreux projets en tête.
Quel chemin avez-vous parcouru avant de créer « Un jour une illustration » ?
J’ai commencé par étudier la sociologie, car les relations humaines me passionnent à tout point de vue. J’ai ensuite poursuivi avec une licence professionnelle en communication. Puis, je me suis lancée en indépendante. À cette époque, j’ai notamment été chargée de la communication d’Atelier Cos, un super cabinet d’architectes, ou encore de l’historique galerie d’art Denise René.
Puis, il y a eu la pandémie. Face à ce contexte étrange, j’ai eu l’envie de créer un compte Instagram dédié à Sempé en septembre 2020. J’ai ressenti très vite un véritable engouement, et en quelques mois, celui-ci a rassemblé près de 50 000 abonnés. C’était complètement fou ! Puis, en 2021, j’ai souhaité lancer un nouveau compte, plus ouvert, afin de présenter tous les dessinateurs qui me fascinent. J’ai donc créé « Un jour une illustration » le 26 juin 2021, et c’est là que tout a commencé.
Comment êtes-vous passé de cette activité virtuelle à la création d’une galerie ?
J’ai encore du mal à réaliser cette ascension. Il y a un an, je postais simplement des illustrations chaque jour, pour le plaisir. Aujourd’hui, c’est devenu mon métier. Tout d’abord, j’ai commencé à organiser des expositions dans la galerie XIII-X courant 2022. Mais ce lieu est ensuite devenu une enseigne de mode. L’été dernier, j’étais donc désemparée de ne pas pouvoir organiser toutes les expositions auxquelles j’avais pensé. Heureusement, lors de ma dernière exposition en juillet, un couple m’a rendu visite et m’a parlé d’un local à me proposer, tout près de la tour Eiffel. Tout est ensuite allé très vite. Quand je l’ai découvert, j’ai eu un coup de foudre pour cette petite pièce aux murs en pierre, et pour ce quartier que je ne connaissais pas. Tout s’est enchaîné d’une manière extraordinaire : j’ai signé mon bail vers le 15 juillet, et je me suis installée le 15 août.
Cette expérience prouve bien une chose. Lorsqu’on utilise les réseaux sociaux à bon escient, dans une démarche de partage, de découverte, on peut concevoir de grandes choses auxquelles on n’avait jamais pensé. Ce qui compte avant tout pour moi, c’est ce lien précieux que j’ai pu créer avec mes abonnés et avec les illustrateurs. En fondant cette galerie, je souhaite faire un lieu dans lequel les personnes osent entrer, quel que soit leur niveau de connaissance en matière d’illustration. Qu’ils se sentent comme chez eux, dans un petit salon où découvrir des illustrations sur les murs et feuilleter un livre dans la bibliothèque.
D’où vous vient cet amour pour l’illustration ?
Petite, je relisais sans cesse mes livres illustrés, et j’aimais collectionner les cartes postales imagées. J’avais déjà cette passion pour l’image. Puis, durant l’adolescence, j’étais très intéressée par la peinture, que je contemplais dans les musées.
Mais au fil des années, j’ai compris que j’étais beaucoup plus attirée par les dessins préparatoires et les esquisses que par les tableaux eux-mêmes. Le dessin me semble plus intimiste et accessible : on peut tout de suite se projeter dans une image, tandis qu’une peinture dégage quelque chose de plus intimidant. L’illustration, on peut vivre avec elle.
En suivant votre activité, on ressent votre passion dans vos choix toujours très personnels. Comment décririez-vous votre ligne éditoriale ?
En restant attentive aux images depuis toutes ces années, j’ai pu définir l’esthétique qui me touchait le plus. Avec « Un jour une illustration », je mêle les créations du XXe siècle à celles de nos contemporains. J’adore les dessins de style Art déco, les univers très doux et poétiques, qui dégagent une puissante sensibilité. Je recherche cette légèreté, qui exprime en réalité des choses essentielles. Tous mes choix restent dans la veine de ce que faisait Sempé, sans forcément qu’ils lui ressemblent graphiquement. Mais on retrouve tout dans ses dessins : il y a l’humour, la poésie, le trait léger, la singularité… C’est sans aucun doute un de mes illustrateurs préférés.
Ce qui me plaît avec l’illustration, c’est que l’image existe par elle-même. Elle ne dépend pas d’un texte, elle révèle tout de suite un message. J’aime cela chez les dessinateurs de presse : contrairement aux dessinateurs d’actualité, ils font des illustrations pour les magazines qui ne sont pas ancrées dans un contexte d’époque. Leurs œuvres peuvent être contemplées des années plus tard, en dehors du journal. J’ai par exemple une réelle fascination pour le New Yorker, auquel je suis abonnée depuis quelques années. Je découvre de splendides illustrations à chaque numéro, c’est un exceptionnel vivier de dessinateurs talentueux.
Quels illustrateurs peut-on découvrir dans votre galerie ?
Pour le moment, je travaille à la galerie avec une dizaine d’illustrateurs que j’admire. J’étais déjà en contact avec certains artistes via Instagram, puisque je leur demandais l’autorisation de partager leurs illustrations sur mon compte. Parmi eux, je pense par exemple à Grégoire Solotareff, qui a marqué l’enfance de milliers de personnes avec Loulou et d’autres classiques. Je présente également l’œuvre de Serge Bloch ou de Kerascoët, un couple à la fois auteur de bande dessinée et illustrateur. Je suis aussi folle de joie de pouvoir collaborer avec la petite-fille de Raymond Peynet et d’exposer ses magnifiques dessins.
Et les découvertes sont nombreuses, puisque vous leur consacrez chaque mois une nouvelle exposition…
En effet, le programme est d’ailleurs bouclé jusqu’à 2024. Tous les mois, une exposition célèbrera l’œuvre d’un illustrateur autour d’un thème particulier. Je souhaite travailler régulièrement avec les artistes qui me fascinent, et donc faire plusieurs expositions qui explorent des aspects différents de leur création. Ce qui est certain, c’est que je ne peux pas travailler avec tout le monde : ce qui est important pour moi, c’est avant tout le lien privilégié que j’entretiens avec chaque artiste. J’espère réellement que de nouvelles galeries dédiées à l’illustration vont ouvrir, afin de pouvoir représenter davantage de personnes.
Je prépare aussi quelques expositions collectives. En janvier 2023, Cécile Becq, Alexis Bruchon, Benjamin Chaud, Nathaniel H’Limi et Petites Luxures vont être rassemblés autour de la thématique de l’amour. Ce qui m’intéresse, c’est de mêler plusieurs artistes aux univers différents, cela permet d’explorer de multiples perspectives d’un même sujet.
En parallèle des expositions, comment menez-vous votre activité d’éditrice ?
Ma maison d’édition existe depuis mars 2022. Elle propose des tirages d’art à encre pigmentaire, qui sont tous numérotés et signés par les artistes. Au départ, les ventes ne se faisaient qu’en ligne. J’ai commencé à proposer des illustrations d’Albin de la Simone, puis j’ai peu à peu contacté d’autres dessinateurs. Je discute avec eux pour choisir une image, ils la signent une fois imprimée, et les tirages sont mis sur mon site. Maintenant, je vends des tirages d’une vingtaine d’artistes, toujours en ligne ou à la galerie. En parallèle, je propose ces illustrations sous forme de cartes en format A5. J’ai d’ailleurs lancé un abonnement « Un mois, des illustrations » pour que les images voyagent directement chez les gens. Chaque mois, ils peuvent recevoir quatre illustrations surprises dans une enveloppe, ainsi qu’un ou deux tirages d’art durant l’année pour les versions deluxe.
Prochainement, je souhaite aussi publier des ouvrages sur les illustrateurs avec lesquels je travaille. Ce sera l’occasion de mieux connaître leurs Å“uvres, à travers des thématiques spécifiques. J’ai par exemple un projet d’édition sur l’oeuvre de Raymond Peynet : j’aimerais concevoir un livre autour de ses dessins des années 1950, mais aussi de ses gouaches, ses décors de théâtre et ses costumes, qui sont moins connus.
Face à cet engouement, comment imaginez-vous « Un jour une illustration » dans les prochaines années ?
Mon rêve est de créer d’autres galeries « Un jour une illustration » dans plusieurs villes de France, voire à l’étranger. J’aimerais pouvoir donner accès à ces images au plus grand nombre de personnes, et non seulement aux Parisiens. Cela serait aussi l’occasion de présenter le travail d’autres artistes en gardant toujours le même esprit, au sein de petits espaces chaleureux.
Pour conclure, quel est votre regard sur l’avenir de l’illustration ?
Ce qui me fait plaisir, c’est de voir un intérêt croissant pour cet art. Je pense que les « années Covid » n’y sont pas pour rien. Découvrir chaque jour un univers lyrique et joyeux, c’est une vraie source d’énergie face à un contexte difficile. Beaucoup de personnes m’ont écrit pour me remercier de tenir mon compte Instagram. Je suis toujours très émue en recevant ces mots sur mon écran de téléphone. Ces images parlent aux gens, font voyager l’esprit, révèlent la poésie du quotidien.
C’est ce qui est fascinant avec l’illustration : elle demeure intemporelle. C’est très émouvant, un peu comme si l’artiste était près de nous. Elle touche notre sensibilité, et détient ainsi une dimension universelle.
Romane Fraysse
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