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Une exposition célèbre Frans Krajcberg, artiste et militant écologiste avant l’heure

Au fond de la villa Vassilieff, un centre d’art gratuit soutient depuis 2003 l’œuvre militante de Frans Krajcberg. À la fois sculpteur, peintre et photographe, cet artiste brésilien n’a cessé de défendre la nature à travers son œuvre et ses combats. Après une première exposition consacrée à sa vie à Montparnasse, ce second volet rend hommage à son engagement écologique jusqu’au 22 avril 2023 à l’espace Krajcberg.

Une nature refuge

La nature a toujours été le refuge de Frans Krajcberg face aux barbaries humaines. Né en 1921 dans une famille juive et polonaise, le garçon fuit les insultes antisémites de ses camarades d’école en se retirant dans les bois proches. « Dans la forêt de mon village, je trouvais l’unique lieu où je pouvais me questionner. J’ai trop souffert, enfant, du racisme cruel qu’a donné la religion : ces fanatiques n’admettaient rien d’autre ». Sur les pas de sa mère Bina, militante communiste, le jeune homme devient résistant sous la Seconde Guerre mondiale, et rejoint l’Armée polonaise rouge en Union soviétique. Mais à la Libération, Krajcberg découvre avec effroi les camps de concentration où a péri l’ensemble de sa famille. « Je suis reparti dans un état de choc indescriptible, muet d’horreur ».

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Frans Krajcberg et Samambaias, 1952-54 – © Photo de Tim Carroll / Frans Krajcberg, Brésil, circ.1980. Collection de l’Association des Amis de Frans Krajcberg, Paris

Décidé à quitter la Pologne où rien ne le retient, il commence à suivre une formation artistique à l’école du Bauhaus et désire faire de l’art son échappatoire. Arrivé à Paris dans le quartier du Montparnasse, il est hébergé un temps par son ami Fernand Léger. Mais rapidement, le jeune artiste souhaite s’isoler de l’agitation citadine. Avec l’aide de Marc Chagall, il décide de partir en terre inconnue à Rio de Janeiro, en 1947. Son arrivée sonne alors comme une révélation : la nature foisonnante l’éblouit. Il l’adopte, et prend du même coup la nationalité brésilienne. Tout en vendant des céramiques, il décide de se réfugier dans la forêt pour peintre, et y construit sa propre maison : « Je détestais les hommes. Je les fuyais […] Mais, isolement pour isolement, pourquoi vivre ? La nature m’en a donné la force, m’a rendu du plaisir à sentir, à penser, à travailler. À survivre. Je marchais dans la forêt et je découvrais un monde inconnu. Je découvrais la vie. La vie pure […] ».

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Maison-Atelier de Frans Krajcberg, Nova Viçosa, Brésil – © Photo de Tim Carroll / Frans Krajcberg, Brésil, circ.1980. Collection de l’Association des Amis de Frans Krajcberg, Paris

L’artiste est alors témoin de la destruction par le feu du Paraná dans le but d’être exploitée par les industries locales. En 1955, sa maison périt elle-même dans un incendie criminel. De retour à Paris, Krajcberg installe son atelier dans le chemin du Montparnasse – actuelle villa Vassilieff – avant de retrouver un nouveau refuge brésilien. Il construit, à Nova Viçosa cette fois, une maison-atelier perchée sur un arbre pour y vivre isolé.

Une œuvre manifeste

Dès les années 1970, Frans Krajcberg commence à allier ses expérimentations artistiques à ses idées écologiques. Empreintes, collages, ombres, bois brûlés et photographies deviennent sa voix. En 1975, alors qu’il est le premier artiste à exposer au Centre national d’Art moderne – préfigurant l’actuel centre Pompidou – celui-ci décide d’en finir avec « l’art pour l’art » afin de construire une œuvre manifeste. « J’ai compris que je devais non seulement travailler avec la nature, mais la défendre au moment où la troisième révolution technologique donnait à la folie des hommes les moyens absolus de sa destruction ». Bien avant le militantisme écologique que l’on connaît, Krajcberg est l’un des premiers artistes à alerter sur les catastrophes environnementales causées par l’activité humaine. « Il faut choisir, et j’ai choisi de me battre, de m’exprimer non plus avec la seule beauté des formes de la nature, mais avec cette nature que l’on fait mourir. Mes sculptures aujourd’hui sont comme le mémorial de ce désastre que je vois, au milieu duquel je vis ».

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Frans Krajcberg dans un paysage incendié – © Frans Krajcberg, Brésil, circ.1980. Collection de l’Association des Amis de Frans Krajcberg, Paris

Révolté, Krajcberg place dès lors son combat écologique au centre de son existence : la nature devient son exemple, par sa pureté et sa vérité essentielles à tout être vivant. Elle est l’œuvre d’art à révéler. Avec son ami Pierre Restany, il rédige alors le Manifeste du Naturalisme intégral en 1977. Ce texte fondateur défend un art engagé pour la planète, qui place les artistes « au cœur de tout projet de civilisation, intégralement et radicalement », un retour à la nature originelle contre « la pollution des sens et du cerveau ». Le combat de Krajcberg prend d’emblée une véritable ampleur sur la scène internationale. L’artiste devient le porte-parole de ce nouveau regard porté sur la nature.

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Photographie de Frans Krajcberg – © Frans Krajcberg, Brésil, circ.1980. Collection de l’Association des Amis de Frans Krajcberg, Paris

Mais les catastrophes se poursuivent au Paraná et à Mato Grosso, puis avec la Transamazonienne, une autoroute fédérale construite en plein cœur de la forêt amazonienne, qui part en fumée. Choqué par ces hectares entiers réduits à néant, Krajcberg s’indigne : « Chaque fois que je vois l’entassement des arbres d’Amazonie brûlés par les hommes, je ne peux m’empêcher de penser à la cendre des fours crématoires : les cendres de la vie, les cendres du feu des hommes devenus fous ». Dans des reportages photographiques, l’artiste dénonce ces crimes contre la nature, ce qui lui vaudra plusieurs menaces de mort. Son ami, le militant Chico Mendès, sera quant à lui assassiné en 1988. Jusqu’à la fin de sa vie, Krajcberg poursuivra ainsi son combat, tant par sa présence à la Conférence mondiale des Nations Unies sur l’environnement en juin 1992, que par ses nombreuses expositions engagées, dont celle de la Fondation Cartier au titre évocateur « Être Nature ».

Les vestiges de la nature

Des années 1960 à 2000, l’artiste n’a cessé de chercher de nouvelles formes permettant de porter le plus justement la voix de la nature. Dans l’exposition présentée jusqu’en avril 2023 à l’espace Krajcberg, sculptures, peintures, photographies et vidéos cohabitent pour dévoiler la diversité de sa création. Au sein de la collection permanente, on découvre ses totems, d’immenses sculptures composées de bois brûlés ramassés dans la forêt amazonienne incendiée. Les troncs, les racines et les lianes calcinés deviennent alors des œuvres parées de pigments naturels, pour lancer un appel à l’urgence écologique. Les ombres de ces formes gracieuses sont quant à elles magnifiées par de grands pans de bois découpés.

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Collection permanente de l’espace Krajcberg – © Frans Krajcberg, Brésil, circ.1980. Collection de l’Association des Amis de Frans Krajcberg, Paris

Dans le parcours temporaire, on découvre ensuite ses tableaux-assemblages, dans lesquels l’artiste souhaite là aussi faire revivre la matière morte. Des fragments naturels – sable, roches, coraux ou bois – sont peints et réunis sur un cadre. Plus loin, une grande pièce est traversée par la vidéo d’une nature détruite par les flammes. Au son de cet incendie criminel, on découvre de nombreuses photographies inédites prises par l’artiste dans les paysages du Paraná, du Mato Grosso, ou de l’Amazonie en cendres.

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Espace Krajcberg – © Frans Krajcberg, Brésil, circ.1980. Collection de l’Association des Amis de Frans Krajcberg, Paris

« La photographie m’a aidé à capter le moment de la beauté, de la destruction, à enregistrer ce qui disparaît… Je suis un homme brûlé. Le feu, c’est la mort, l’abîme. Le feu est avec moi depuis toujours. Mon message est tragique : je montre le crime ». L’œil de Krajcberg se concentre alors sur une couleur ou une forme particulière, qui redonne à la nature sa vitalité. Et parmi les cendres noires, on voit parfois apparaître une nouvelle pousse, en signe de résilience.

Le soutien de l’espace Krajcberg

Si Frans Krajcberg a disparu en 2017, son combat est poursuivi par l’espace Krajcberg, situé dans la villa Vassilieff où il a installé son atelier durant plusieurs années. Depuis 2003, ce centre d’art géré par l’Association des amis de Frans Krajcberg rend hommage à l’artiste en dévoilant gratuitement ses œuvres au public, et en lui consacrant une exposition thématique chaque année, parfois en dialogue avec des créateurs contemporains.

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L’espace Krajcberg vu depuis la villa Vassilieff – © Frans Krajcberg, Brésil, circ.1980. Collection de l’Association des Amis de Frans Krajcberg, Paris

À travers ses rencontres et ses projections, c’est aussi un lieu d’échanges où le combat écologique de Krajcberg est plus que jamais soutenu. En 2015, l’espace a joué un rôle majeur au sein de la COP 21, en accueillant des représentants des peuples amérindiens souhaitant faire entendre leur lutte pour la protection de la forêt Amazonienne. L’œuvre de Krajcberg est quant à elle célébrée à travers une grande rétrospective qui se poursuit sur plusieurs années : après ce deuxième volet consacré à son militantisme, le troisième sera dédié au « cri pour la planète » en 2024, et sera clôturé par un grand hommage l’année suivante.

Espace Krajcberg
21 avenue du Maine, 75015 Paris
Villa Vassilieff
Jusqu’au 22 avril 2023

Romane Fraysse

À lire également : Marie Vassilieff, le coeur artistique de Montparnasse

Image à la une : Frans Krajcberg, à côté de ses sculptures, dans sa maison à Nova Viçosa – © Photo d’Eduardo Knapp / Frans Krajcberg, Brésil, circ.1980. Collection de l’Association des Amis de Frans Krajcberg, Paris

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