
En admirant au loin le 1er arrondissement de Lyon, et notamment le quartier de Croix-Rousse, difficile de ne pas apercevoir cette façade couleur orangée visible depuis les quais de Saône qui s’élève au-dessus des autres habitations environnantes. Son immensité et le nombre impressionnant de fenêtres pourraient laisser penser qu’il s’agit de plusieurs bâtiments très proches les uns des autres. Et pourtant… il ne s’agit que d’un seul et même bâtiment.
Le projet fou d’un amoureux des chiffres
Formant un pâté de maisons entier, ce n’est pas pour rien que la Maison Brunet est aussi connue sous le nom de “maison aux 365 fenêtres”. 365 fenêtres qui correspondent au nombre de jours de l’année. Mais le plus fou, c’est que le bâtiment est haut de 7 étages, à l’instar du nombre de jours par semaine, et que les appartements sont au nombre de 52, comme le total de semaines sur une année. Enfin, on dénombre deux escaliers qui desservent tous deux 6 étages, en référence aux 12 mois de l’année. Et puisqu’il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin, on trouve également quatre portes d’entrée représentant bien évidemment les saisons. Une amusante curiosité, au-delà de la prouesse architecturale, que l’on doit à un certain Claude Brunet, qui a d’ailleurs donné son nom à la bâtisse. Ce passionné de chiffres et de cosmologie a ainsi acheté un lot de 720 m2 au clos Saint-Benoît en 1825 pour construire la maison de ses rêves. Désireux d’y parvenir, on raconte même qu’il est mort ruiné après avoir investi tout ce qu’il avait dans l’œuvre de sa vie.

Un bâtiment devenu le symbole de la lutte ouvrière
Trônant sur un site stratégique du temps des romains, lorsque Lyon s’appelait encore Lugdunum, la maison est ensuite mise aux enchères. Mais un événement ô combien majeur dans l’histoire de la capitale des Gaules va faire de cette demeure un site encore plus emblématique : la révolte des canuts. Dans les années 1830, la commune de la Croix-Rousse est alors peuplée d’ouvriers et d’artisans, fabriquant notamment de la soie, surnommés les canuts. Dans le même temps, l’introduction de nouvelles machines à tondre les draps viennent les concurrencer et, selon eux, les priver de leur gagne-pain. Revendiquant alors un salaire garanti, les canuts se retrouvent opposés à certains soyeux qui refusent d’appliquer le tarif minimum, en prétextant la concurrence internationale et les contraintes du marché. En colère, les canuts se mettent en grève et, le 19 novembre 1831, font même face à la garde nationale au cœur de la Croix-Rousse. C’est alors que la Maison Brunet devient le symbole de la lutte ouvrière, puisque les ouvriers de la soie font de l’immeuble leur forteresse, tirant depuis les fenêtres sur les soldats. Désormais symbole des soulèvements canuts, la Maison Brunet est désormais connue comme la “forteresse” ou “citadelle du peuple”. Deux ans plus tard, lors de la seconde insurrection, la maison est même entourée de canons déployés par l’armée, afin de contenir la présumée agitation des habitants.

Un immeuble parmi les plus emblématiques de la ville
C’est finalement l’intervention de l’abbé Pierre Rousset, curé des Chartreux, qui viendra mettre fin aux tirs et ainsi sauver l’édifice. Malgré les projectiles, ce dernier parcourt à pied le chemin entre la maison Brunet et l’esplanade, pour se porter garant des paroissiens auprès de l’autorité militaire. Un acte que le quartier n’a pas oublié, comme en témoigne le cœur du père Pousset reposant à l’église Saint-Bruno des Chartreux ou cette offrande votive portant la mention “Les locataires de la maison Brunet en actions de grâces, le 12 avril 1834” dessiné par les familles reconnaissantes et conservée au musée d’art religieux de Fourvière. Aujourd’hui, celle que l’on surnomme également “ la maison du temps” a été classée en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, et n’abrite plus que des logements. L’immeuble ne dispose plus de 52 appartements, certaines cloisons ayant été tombées pour en faire de plus grandes, tandis que les métiers à tisser ont laissé place à du mobilier plus “luxueux”. Finis les affrontements et les révoltes, la Maison Brunet est aujourd’hui une formidable curiosité architecturale qui ne manque pas d’attirer le regard des passants et qui regorge toujours de surprises, comme ces deux traboules, ces passages pour piétons emblématiques de Lyon, qui relient respectivement la rue Rivet aux numéros 10 et 12 et la place Rouville aux numéros 5 et 6.

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Image à la une : Maison Brunet © Adobe Stock