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Le dernier peintre en lettres de Paris

Par Roxane

Il dépasse à peine le mètre 60 mais pourtant c’est un grand personnage. Ce monsieur de 78 ans est un parisien, un vrai de vrai : il est né à Paris, a grandi à Paris, a vécu tout sa vie à Paris, pareil pour ses parents. S’il ne nous l’avait pas dit, on aurait pu sans doute le deviner grâce à son authentique accent parisien que l’on entend parfois dans les vieux films d’Audiard. L’homme aux grands yeux bleus se fait photographier jusqu’à 20 fois dans la journée pendant son travail. Il intrigue les passants… Nous l’avons rencontré.

Peintre en lettres, c’est quoi ?

Un vieil homme en blouse blanche tachée de peinture, devant les vitrines des cafés ou des commerces, ça ne court pas les rues. Il fait un métier qu’il ne veut abandonner pour rien au monde, car selon lui “son métier est un grand métier et la retraite, c’est pas possible”. Son prénom ? Jacky. Ses pires ennemis ? Les imprimantes, le plastique et la nouvelle technologie. Ses clients ? Les restaurateurs, les libraires et toutes sortes de commerçants parisiens. Sa profession ? Peintre en lettres.

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Obligé de refuser du travail tous les jours

Un métier d’antan auquel tout le monde s’intéresse : des anciens qui ont jadis connu ce métier aux jeunes designers qui veulent reprendre le flambeau. Jacky est tellement demandé, qu’il est obligé de refuser du travail tous les jours ! Malgré son âge, il ne compte pas ses heures. Parfois, il lui arrive de travailler 90 heures en une semaine, sans jour de repos. Ce peintre en lettres, qui connaît Paris comme sa poche, occupe ses journées à peindre les vitrines des commerces et à remplir les ardoises des restaurants, comme avant. Des gens comme lui, il n’en connaît pas. C’est un métier qui n’existe pratiquement plus à cause des lettres en plastique qu’on découpe et qu’on colle sur les vitres des magasins.

L’art de manier les belles lettres

Quand nous le retrouvons, Jacky s’affaire sur la vitrine du Bar du Marché, un petit bistrot situé dans la rue Daval, dans le 11ème. Des clients réguliers qu’il considère aujourd’hui comme une famille. Il y restera toute la journée, il déjeunera même sur place avec les restaurateurs. Une relation privilégiée qu’il entretient d’ailleurs avec tous ceux pour qui il travaille. C’est ce qui rend Jacky si heureux. Sa mission du jour, s’il l’accepte : remplir les ardoises à l’extérieur du restaurant. Il commence donc par gribouiller sur une vieille enveloppe sortie de sa poche des lettres qui forment des mots. Ensuite, il sort un ancien mètre jaune tout usé, dont il se sert depuis toujours, pour mesurer les symboles. Il place une grosse caisse devant l’ardoise noire et monte dessus.

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Interdire de respirer

C’est parti. Il commence à la craie. Ensuite, il sort tout son attirail : une dizaine de pinceaux faits en martre (une sorte de belette), une boite de conserve dans laquelle il mettra son eau, et d’autres petites boites pour la peinture.Jacky réfléchit au moins 2 bonnes minutes pour choisir le pinceau avec lequel il travaillera ses lettres. C’est parti pour une première couche, puis une seconde. Le peintre s’interdit presque de respirer pour rendre ses lettres les plus jolies possibles. Un vrai travail de pro qui, malgré tout, est exécuté de façon très naturelle. Les lettres resteront marquées sur cette ardoise une bonne dizaine d’années. Jacky ne travaille pas toujours avec la même typo même si son style rétro est reconnaissable d’un restaurant à l’autre.

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Pas du genre à rester au lit

Pour en arriver là, Jacky a trimé toute sa vie, même quand il était enfant. A 10 ans, son père qui travaille le bois, le réveille tous les jeudis matins en lui disant : “Tu vas pas rester au lit petit gars”. Il l’emmène en tant qu’assistant. C’est là que Jacky découvre les pinceaux et la peinture. “Le père” rêve de faire de lui un peintre en lettres, il le présente donc à un de ses clients pour l’embaucher en tant qu’apprenti. A 15 ans, le 1er juillet 1953, Jacky commence son premier jour de travail. Depuis, ça fait 63 ans qu’il a réussi à garder le même métier. Au début, il peignait les lettres sur les camions et les véhicules industriels, 11 ans après Jacky devient artisan à son compte et ne veut plus s’occuper des camions, pas si facile que ça de peindre sur des semi-remorques de 15 mètres de long… Du coup, il commence à s’intéresser aux vitrines des grands magasins. Tout ça sans jamais quitter Paris.  

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Un métier (presque) disparu

Son métier, il l’aime et le connaît par coeur. C’est pour ça qu’il est si triste de voir la profession évoluer à ce point. Les lettres peintes à la main ont été remplacées par des lettres en plastique adhésives que l’on voit sur la majorité des commerces. Heureusement pour Jacky, il existe encore des commerçants qui sont encore sensibles à “l’art des belles lettres”. Mais “ce ne sera jamais comme avant” où tout était peint à la main : des vitres des grandes gares, aux autobus en passant par les petits cafés.

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La mode du retour à l’ancien

Aujourd’hui, il existe même des inscriptions électroniques, comme sur les bus. Mais malgré ça, avec la mode du vintage, des jeunes commerçants font appel à ce professionnel. Comme par exemple la parfumerie Buly qui a pu renaître il y a 2 ans. Jacky a su imposer son style. L’oeuvre dont il est le plus fier ? Les médaillons en dorure à 2 mètres de hauteur au dessus du restaurant Les Noces de Jeannette. Un style que ses amis savent reconnaître d’un seul coup d’oeil…

Pauline Hayoun
Photos : Lucie Smeriglio