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Le Chat noir, cabaret des artistes de la Belle Époque

affiche du chat noir
Par Cyrielle

Du Chat noir, nous connaissons principalement sa célèbre affiche, devenue l’emblème d’un Paris aussi pittoresque que fantasmé et reproduite à tout-va dans les boutiques de souvenirs. Pourtant, derrière cette illustre lithographie se cache un haut lieu de la culture montmartroise, bastion des artistes et symbole de leur vie de bohème à la fin du XIXe siècle. Levons le voile sur ce cabaret emblématique de la Belle Époque.

Un café-concert avant-gardiste

Allusion grivoise, référence à la nouvelle d’Edgar Allan Poe ou nom donné en l’honneur d’un petit chat trouvé devant l’établissement, l’origine du nom de ce cabaret mythique reste floue. Ce qui l’est moins, c’est que ce lieu – qui n’aura existé que pendant quinze ans – s’est très rapidement dressé comme l’un des plus influents et réputés de Montmartre.

C’est en novembre 1881 que commence sa courte histoire. Rodolphe Salis, jeune Châtelleraudais domicilié boulevard de Rochechouart, décide d’aménager un café-concert à la place du guichet postal situé au rez-de-chaussée de son immeuble. Cet ancien militaire, amateur d’art plus doué en affaires que talentueux de ses mains, souhaite ouvrir un débit de boisson qui donnera toute sa place à l’art. Les ambitions du jeune homme sont grandes : il veut crée un café de haut-rang pour les nouveaux artistes du quartier et le décorer richement dans le style troubadour. Les débuts du Chat noir ne sont pas si glorieux, l’aménagement est sommaire et les boissons de piètre qualité, mais le succès ne tarde pas à se profiler.

Le premier chat noir
Devanture du premier chat noir, boulevard de Rochechouart.

En effet, Rodolphe Salis n’a pas beaucoup d’argent, mais a des idées originales. Il décide par exemple qu’un garde Suisse surveillera l’entrée du lieu et en refusera l’accès aux prêtres et militaires. Il demande également à ce que les serveurs soient déguisés en académiciens. Si farfelues soient-elles, ces idées plaisent aux insouciants bohèmes du nord de la capitale qui tentent de vivre de leur art.

Le Chat noir au carrefour des arts et de la fête

Car Rodolphe Salis a non seulement de grandes idées, mais aussi des amis influents. Son ami Émile Goudeau, journaliste et romancier, fait ainsi venir ses connaissances et les anciens membres de son club littéraire des Hydropathes. Dès le début, ces quelques écrivains et chansonniers se retrouvent presque chaque soir au Chat noir, autour d’un verre et de quelques vers.

En 1882, c’est une autre bonne idée, la création d’une revue hebdomadaire toute entière dédiée à la promotion du cabaret, qui permettra à Rodolphe Salis et Émile Goudeau d’asseoir pour de bon la notoriété du jeune Chat noir. Véritable révélateur de l’état d’esprit de l’établissement, la revue offre un terrain d’expression aux artistes, poètes, chansonniers et illustrateurs habitués de l’adresse… et incite les autres à venir s’établir en ce nouveau lieu du nord de Paris.

Premier numéro du chat noir
Le premier numéro de la revue du Chat noir, publié le 14 janvier 1882 © Gallica/BNF

Les mois passants, ils sont de plus en plus nombreux a foulé la porte du caveau de Montmartre. Dans l’arrière-salle de ce petit deux-pièces, Camille Pissaro ou Vincent Van Gogh discuteront bientôt avec l’illustrateur Henri de Toulouse-Lautrec, Alphonse Allais et Mallarmé déclameront leurs poèmes devant Maupassant ou Aristide Bruant. Avant le Bateau-lavoir et le Moulin Rouge, ce lieu que l’on surnomme désormais “l’Institut” devient le petit coin de Montmartre où l’art et la fête se développent à l’unisson.

Fort de son succès, le caveau du Chat noir ne tarde par à déménager pour s’installer dans un local plus spacieux, un immeuble entier au 12 rue de Laval (aujourd’hui rue Victor-Massé). La décoration, pensée par l’affichiste et peintre Adolphe Willette, est enfin à l’image de ce que souhaitait son propriétaire : extravagante, fantasque, pleine de démesure. Au sein des trois étages de cette grande bâtisse, le Chat noir va se déployer et devenir le lieu mythique que nous connaissons aujourd’hui.

L'enseigne du Chat noir
La fameuse enseigne du Chat noir, réalisée par Adolphe Willette pour le deuxième Chat noir

L’état d’esprit du lieu fusionne avec les idéaux et les envies de la clientèle. Nous sommes en 1885, au cœur de la Belle Époque, et les clients sont avides de festivités, d’émancipation et de changements sociaux.  Au premier étage, Henri Rivière ouvre son “théâtre d’ombres”, sorte d’ancêtre du cinéma et véritable prodige d’innovation pour l’époque. Pendant douze ans, les silhouettes en zinc éclairées derrière un écran en toile blanche amuseront l’auditoire au gré d’une quarantaine de pièces différentes.

Rodolphe Salis, auto-proclamé “seigneur de Chatnoirville” y fait également installer un piano, une première à Paris, les pianos étant encore interdits dans les débits de boisson. Claude Debussy et Erik Satie, alors jeunes compositeurs, s’installeront devant cet instrument et y composeront même certains de leur morceaux. Au Chat noir, les intellectuels et artistes s’affranchissent de leur réputation bourgeoise, s’amusent, boivent jusqu’à plus soif et se rencontrent dans un lieu où l’art peut s’épanouir.

Le Chat Noir lors de sa première projection d'ombres.
Le Chat Noir lors de sa première projection d’ombres.

L’histoire du Chat noir aura finalement étée aussi fugace qu’intense. Après un bref passage au 68 boulevard de Clichy à partir d’octobre 1896 et malgré un succès indiscutable, Rodolphe Salis décide de fermer son cabaret en janvier 1897. Il a dans l’idée de se relancer ailleurs et de focaliser son énergie sur les “tournées du Chat noir” qu’il a lancé quelques années auparavant. Le fantasque entrepreneur meurt deux mois plus tard et n’aura pas le temps de réaliser ses nouveaux rêves. Malgré sa courte durée de vie, son Chat noir connaîtra une belle postérité, tout comme la fameuse affiche dessinée par l’illustrateur Théophile Steinlen :

Affiche du chat noir par Steinlen

 

Cyrielle Didier