fbpx

Jeune Rue : Promenons-nous dans la rue fantôme

Par Roxane

LA JEUNE RUE, UNE VRAIE REVOLUTION

2014. “Le projet dément d’un millionnaire français qui s’offre un quartier de Paris”, “Un nouveau temple Bobo à Paris”, “La Jeune Rue, le concept street du millionnaire Cédric Naudon”, “Nouveau ventre de Paris”, “Le mystérieux Cédric Naudon veut racheter le Fooding”… En 2014, les médias parisiens, Paris ZigZag y compris, découvraient le projet fou d’un mystérieux millionnaire : La Jeune Rue. Le principe de base ? Ouvrir un nouveau quartier dans le coeur de Paris, au niveau de la rue Vertbois (3ème) dédié à “mieux nourrir les citadins”, selon le millionnaire auto-proclamé. Une rue gourmande remplie de restos et commerces designés par les plus grands (Jaime Hayon, les frères Campana) : coréen, italien, boucherie, boulangerie, bar à huîtres, glacier… Au total, 36 commerces censés proposer des produits d’une qualité exceptionnelle, bios et respectueux de l’environnement. Une “révolution” pour certains, une “première mondiale” pour d’autres. En tous cas, ce projet ne déplaisait à personne : ni aux riverains, ni aux commerçants, ni aux visiteurs… Et surtout pas à Cédric Naudon qui était prêt à débourser, paraît-il, 30 millions d’euros, et pour qui l’argent n’était pas un problème !

jeune-rue-fantome-plan

UN PROJET MORT-NE

2015. Ce projet, pourtant si prometteur, n’a toujours pas vu le jour. Des centaines de commerçants, fournisseurs et partenaires se sont faits avoir par ce fameux millionnaire qui, soit dit en passant, a vu ses bureaux se faire perquisitionner. Certains avaient tout plaqué pour la Jeune Rue. Des fournisseurs n’ont jamais été payés et des sociétés ont été placées en liquidation judiciaire. Tout ça à cause d’une promesse non tenue : l’argent promis n’a jamais été livré. Seule une poignée de restaurants ont réussi péniblement à voir le jour, mais ils ont rapidement mis la clé sous la porte, faute d’argent pour payer les salariés. Les salariés, d’ailleurs, sont en colère : en février, ils publient un communiqué dans lequel ils manifestent leur mécontentement. “Nombre des salariés de Cédric Naudon n’ont pas été payés par ses soins. (…) Cette gestion catastrophique a finalement mené “La Jeune Rue” dans l’impasse et conduit à la trahison des idéaux portés par ce projet, au détriment des petits producteurs, des consommateurs et des salariés. (…) Les agriculteurs refusent de livrer les restaurants, plusieurs cuisiniers ont abandonné leur poste et des serveurs se sont mis en grève pour protester contre le non-paiement de leurs salaires. Des procès sont engagés”.

jeune-rue-fantome-boutique-vide

AUCUN RESTO N’A SURVECU, SAUF UN

Aujourd’hui, lorsqu’on se promène dans le quartier, la rue Vertbois fait figure de No Man’s Land. Dans la rue, pas un chat. C’est une rue “fantôme” : des locaux vides, des rideaux de fer, et des panneaux sur lesquels est écrit “à louer” sont visibles partout ! Ici, nulle trace de restos branchés et de commerces de quartiers. Seuls 2 restaurants détonnent. Dont Ibaji, un resto coréen qui a beaucoup fait parler de lui mais qui n’a pas résisté à la crise de la Jeune Rue. Sa façade est toujours aussi éclatante, mais à l’intérieur, les lumières sont éteintes et sur la porte une pancarte sur laquelle est écrite “local expulsé, interdiction de pénétrer sous peine de sanctions pénales”. Juste en face, on aperçoit Anahi, un joli restaurant argentin qui contraste avec tout le reste de la rue. Le seul endroit qui ait survécu à la tragédie de la Jeune Rue. Selon le directeur opérationnel, “Anahi se porte très bien, il est très bien fréquenté et malgré tout, l’aventure continue”. Selon lui, une clientèle de privilégiés et d’habitués aime pousser les portes d’Anahi : “Lenny Kravitz vient d’ailleurs déjeuner ici régulièrement !”. Mais pourquoi Anahi est-il le seul restaurant à avoir résisté au désastre ? “Tout simplement parce que notre restaurant est une adresse culte, une institution qui existe depuis 45 ans, et que les autres endroits étaient des nouvelles adresses, spécialement créées pour La Jeune Rue”. Il y a 45 ans, Anahi était une boucherie qui est ensuite devenue un resto argentin incontournable dans Paris. Il y a 2 ans, le restaurant a été vendu à Monsieur Naudon et embelli par Maud Bury. La carte est alors revisitée : des recettes argentines bien sûr, désormais préparées des produits locaux et vertueux : côte de boeuf, empanadas, ceviche, desserts au dulce de leche… Si le restaurant a depuis été revendu, le projet a tout de même laissé des traces, on peut toujours voir inscrit “@lajeunerue” sur la carte à l’entrée. Cependant, le directeur opérationnel insiste bien : “Aujourd’hui, Anahi est totalement indépendant de cet ancien projet, nous n’avons plus aucun rapport avec La Jeune Rue de Monsieur Naudon”, même si l’esprit “beau, bon et juste” des produits fait maintenant partie du jeu.

anahi-la-jeune-rue-paris

 

UNE SECONDE VIE POUR LA JEUNE RUE

Le projet de la Jeune Rue est donc enterré à tout jamais. Mais cet été, HopShop, une start-up ambitieuse a tenté de redonner vie à la rue Vertbois. Et ils ont réussi leur pari. Pendant tout le mois de juillet, une ribambelle de jeunes créateurs ont investi la Rue Vertbois pour en faire une Jeune Rue à leur sauce, version “éphémère” : la gastronomie et le design étaient au rendez-vous. Bar, resto, coiffeur, barbier, vendeur de lunettes et de fringues… Seul le nom a changé : “Hop, une Jeune Rue”. HopShop est en fait le “Airbnb du commerce”, selon Ludovic Delaherche, le directeur Marketing. L’objectif de la start-up : re-dynamiser les déserts urbains. C’est donc ce qu’ils ont fait avec la Rue Vertbois, ils ont mis en contact des jeunes commerçants et les propriétaires des boutiques vides de la rue. Et ils ont été surpris du résultat, car ça a cartonné : les riverains les ont remercié et les jeunes créateurs ont pu se faire un nom. “Le temps d’un été, on a réussi à redonner une vie au quartier, on a fait changer les choses. Les voisins se parlaient entre eux, les commerçants étaient ravis, c’était une véritable colonie de vacances !”. Fiers de leur coup, ils ont l’intention de renouveler le dispositif, mais ailleurs, en Province, voire à l’étranger, “on est un peu fous, mais pourquoi pas Detroit ?”. Quant à la Rue Vertbois, “on va peut-être relancer le même événement l’année prochaine, mais rien de sûr, en tous cas, si on renouvelle le projet, on n’utilisera sûrement pas le nom de La Jeune Rue”. En effet, pour avoir utilisé le nom “Hop, une jeune rue”, Cédric Naudon lui-même a attaqué la jeune start-up…  

hopshop-jeune-rue-paris

D’ailleurs, en parlant de Monsieur Naudon, tout ça ne nous dit pas ce qu’est devenu le mystérieux millionnaire ? Cédric Naudon a depuis perdu l’utilisation de la dénomination “Jeune Rue” qu’il avait déposée. Aujourd’hui, il est toujours convaincu de son projet mais il compte prendre son temps. Évidemment, plus personne ne fait confiance à cet homme : les fournisseurs et les commerçants ne veulent plus travailler avec lui. Le Sergent Recruteur, un restaurant gastronomique étoilé de l’île de la Cité, qu’il avait acheté avant de commencer le projet de la Jeune Rue a aujourd’hui fermé ses portes. Signe d’une grosse désillusion.

La prochaine fois, on jettera peut-être un coup d’oeil aux financements avant d’y croire ?

Pauline Hayoun