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Portrait d’Éva Gonzalès, une peintre impressionniste qui ne dit pas son nom

Eva Gonzalès, Une loge aux Italiens, 1874

L’œuvre d’Éva Gonzalès est plus ou moins tombée dans l’oubli, excepté lorsqu’il est question d’évoquer les quelques « femmes impressionnistes ». Pourtant, la peintre n’a jamais cessé de rejeter ce nom, refusant toute sa vie de participer aux expositions du groupe, malgré leurs affinités esthétiques. Formée par Charles Chaplin et Édouard Manet, celle-ci a mené une carrière indépendante avant de s’éteindre à l’âge de 34 ans. Hélas, cette mort précoce ne lui a pas permis de défaire son oeuvre de l’influence de ses deux maîtres, mêlant la touche feutrée du premier et le contraste raffiné de l’autre.

Une jeunesse cultivée

Les premières années de sa vie, Éva Gonzales les passe dans un milieu bourgeois et hautement cultivé. Aux côtés de sa sœur Jeanne, elle grandit avec sa mère, la musicienne Marie-Céline Ragut, et son père Emmanuel Gonzalès, romancier et feuilletoniste pour le journal Le Siècle, qui fréquente de nombreux écrivains en présidant la Société des gens de lettres. C’est donc avec une certaine évidence que les deux jeunes femmes commencent à s’intéresser à l’art, recevant des cours de piano et de dessin.

Eva Gonzalès, Dieppe, 1870
Eva Gonzalès, Dieppe, 1870

Dès 1866, Éva Gonzalès entre dans l’atelier pour femmes du peintre académique Charles Chaplin, à une époque où les portes de l’École des beaux-arts sont encore fermées à son genre. Son maître, un artiste mondain qui a les faveurs de l’impératrice Eugénie, la forme notamment au portrait et aux scènes de genre, qui sont ses sujets de prédilection. La jeune artiste commence alors à peindre la vie quotidienne de femmes saisies dans l’intimité de leur appartement, à l’instar de son tableau Le Thé.

Eva Gonzalès, Le thé, 1868-1869
Eva Gonzalès, Le thé, 1868-1869

Manet, la rencontre

Il est de coutume, dans la carrière d’une artiste femme, de mettre en lumière ses maîtres, comme pour lui retirer quelques mérites. Toutefois, la vie et l’œuvre d’Éva Gonzalès ne peuvent être contées sans évoquer sa rencontre avec Édouard Manet, tant l’influence du peintre y reste marquée. Après sa formation quelque peu classique auprès de Charles Chaplin, la jeune artiste est présentée en 1869 par son ami Alfred Stevens au peintre, déjà célèbre après la polémique qui a retenti autour de son Déjeuner sur l’herbe, puis sa sulfureuse Olympia.

Eva Gonzalès, Enfant de troupe, 1870
Eva Gonzalès, Enfant de troupe, 1870

Devenue modèle pour plusieurs de ses camarades – bientôt rassemblés par Louis Leroy sous le nom d’« impressionnistes » – celle-ci se lie d’amitié avec Manet, qui la prend sous son aile et en fait son unique élève. Leur complicité est telle que le peintre lui écrit durant la guerre de 1870 : « entre toutes les privations que nous impose le siège, c’est certainement au premier rang que je place celle de ne plus vous voir ».

Edouard Manet, Portrait d'Eva Gonzalès (1869-1870)
Edouard Manet, Portrait d’Eva Gonzalès (1869-1870)

Admise au Salon l’année même, Gonzalès présente L’Enfant de troupe, un clin d’œil au Fifre de Manet, tandis que ce dernier lui rend hommage en exposant son Portrait d’Éva Gonzalès. Accueillie avec succès, celle-ci continue à participer à certains Salons entre 1872 et 1883 en recevant les encouragements d’Émile Zola ou de Théodore de Banville.

Une carrière indépendante

Si Éva Gonzalès est parfois présentée comme une peintre impressionniste, celle-ci n’en a jamais revendiqué le nom. En 1873, elle fait certes partie du Salon des refusés aux côtés d’Édouard Manet et de Camille Pissarro, mais refuse ensuite de participer aux Salons organisés par le groupe des impressionnistes. Par ce refus, elle reste en accord avec Manet, qui ne se reconnaît pas non plus dans le mouvement.

Eva Gonzalès, Bouquet de fleurs, 1873-1874
Eva Gonzalès, Bouquet de fleurs, 1873-1874

Gonzalès poursuit donc ses expositions aux Salons officiels. Pourtant, sa touche libre, sa palette claire et ses sujets modernes la rapprochent davantage des impressionnistes que de son ancien maître, Charles Chaplin. Comme eux, elle décide de peindre en plein air et cherche davantage à saisir les atmosphères propres à son époque. Fiancée à l’artiste Henri Guérard, elle le prend régulièrement pour modèle dans ses œuvres, notamment dans son tableau le plus célèbre Une loge aux Italiens.

Eva Gonzalès, Nounou avec enfant, 1877-1878
Eva Gonzalès, Nounou avec enfant, 1877-1878

Cette toile, où apparaît également sa sœur Jeanne, révèle une nouvelle fois l’influence de Manet sur son œuvre, notamment à travers l’élégante composition, dont le fond noir contraste avec la peau blanche des personnages. Recevant des éloges de la part de critiques conservateurs et modernes, son œuvre acquiert une certaine reconnaissance jusqu’à sa mort précoce en 1883, ce qui est rare dans une société bien peu ouverte à recevoir une création féminine.

De l’élégance

À la suite de l’accouchement de son fils, Éva Gonzalès meurt d’une embolie à l’âge de 34 ans, quelques jours après Édouard Manet. Afin de rendre hommage à sa carrière fulgurante, sa famille endeuillée, soutenue par le neveu de Manet, décide de lui consacrer une rétrospective présentant 88 toiles, pastels et aquarelles. On y découvre en grande partie des scènes d’intérieur et des portraits féminins, sujets souvent repris par les artistes femmes, conditionnées à demeurer dans leur foyer.

Eva Gonzalès, Le réveil, 1876
Eva Gonzalès, Le réveil, 1876

Ses personnages, élégants et sereins, sont représentés en train de lire, de se promener, ou de garder un enfant. Calmes, silencieux, fiers, ils sont saisis par une touche feutrée, proche de celle des coloristes du XVIIIe siècle. Dans son catalogue de sa rétrospective présentée en 1885, l’auteur, un certain expert du nom de F. Jacob, rend hommage à ses modelés et ses dégradés appris par Chaplin, ceux-ci se mêlant avec les visages gracieux et les contrastes propres à Manet. Cela pour conclure « Je ne vois aucune audace à dire qu’Éva Gonzales, de ces deux personnalités, très tranchées, sut en tirer une troisième, la sienne ». Une personnalité que l’artiste aurait sûrement affirmé davantage si sa carrière avait pu vieillir avec elle.

Romane Fraysse

À lire également : Le Salon des refusés, ou l’inauguration d’une rébellion moderne

Image à la une : Eva Gonzalès, Une loge aux Italiens, 1874

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