On connaît le regard affectueux d’Eugène Atget porté sur le Vieux Paris, moins celui de Charles Marville. Photographe officiel de la Ville, ce dernier a saisi les métamorphoses orchestrées dans la capitale avant, pendant et après les travaux pharaoniques du baron Haussmann. En véritable documentariste, il a contribué à immortaliser l’ancienne ville médiévale à jamais enterrée sous les grandes avenues du Second Empire.
De la gravure à la photographie
Charles Marville, de son vrai nom Charles-François Bossu, est un nom relativement méconnu. Resté discret parmi ses contemporains, l’homme ne s’est jamais véritablement présenté comme un artiste, mais davantage comme un documentariste des architectures parisiennes. C’est d’ailleurs dans la capitale que celui-ci voit le jour, le 17 juillet 1813. Le jeune homme se forme tout d’abord en tant que peintre-graveur et commence à illustrer plusieurs ouvrages et magazines de l’époque sous le pseudonyme qu’il gardera toujours. On trouve par exemple certains dessins dans La Seine et ses bords de Charles Nodier, ainsi que des vignettes et des lettrines dans Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre.
Mais face à l’émergence de la photographie et à la modernisation des appareils, Charles Marville lâche son crayon pour se saisir d’un calotype. En effet, ce nouveau procédé permet de reproduire des clichés originaux en un grand nombre de tirages. L’homme commence alors à capturer plusieurs vues de rues et d’architectures qui lui valent une renommée rapide. Dès 1848, il obtient sa première commande officielle de l’État et travaille comme photographe chez l’éditeur Blanquart-Évrard trois ans plus tard. Installé à son propre compte au 75 rue Denfert-Rochereau, il est remarqué par Napoléon III, et photographie même les décors de son mariage, ainsi que le baptême de son fils.
Documenter la restauration des monuments
Né au début du XIXe siècle à Paris, Charles Marville a été spectateur des nombreuses métamorphoses connues par la capitale en quelques décennies. Il est tout d’abord sensible aux grands chantiers de restauration menés sur les monuments détruits durant la Révolution française. À une époque où l’on commence à parler de patrimoine national, le photographe collabore avec certains architectes, tels qu’Eugène Viollet-le-Duc et Paul Abadie, et capture les édifices en travaux.
Charles Marville a notamment saisi plusieurs moments du chantier monumental de la Sainte-Chapelle de Paris, restaurée dès 1836 par Félix Duban, Jean-Baptiste Lassus et Viollet-le-Duc. On voit peu à peu les décorations et les vitraux apparaître, tandis qu’une nouvelle flèche est ajoutée. De nombreuses images dévoilent aussi l’ampleur des rénovations menées par Viollet-le-Duc qui, comme dans ses habitudes, laisse libre cours à ses inspirations personnelles. Marville cherche en cela à dévoiler la longue métamorphose des monuments, avant, pendant et après les travaux.
Le Vieux Paris en métamorphose
Mais si le nom de Charles Marville resurgit de temps à autre, c’est notamment pour le travail photographique qu’il a réalisé avant et durant les grands travaux menés par le baron Haussmann. En 1862, il est nommé « Photographe de la Ville de Paris » afin d’immortaliser les vieilles rues de Paris tout comme les nouveaux aménagements qui les remplacent. Pour le service des Travaux historiques, il réalise 425 clichés de certaines architectures prochainement démolies, et les publie dans l’Album du Vieux-Paris. Dans une seconde commande, il présente cette fois les nouvelles voies de la capitale, destinées à être montrées lors de l’exposition universelle de 1878.
Le nombre de clichés pris par le photographe est conséquent. Mais cela est aussi le reflet des profonds bouleversements engendrés par ce vaste chantier, sous le Second Empire. En tout, on dénombre près de 20 000 bâtiments détruits afin d’en construire 30 000 autres. En continuité avec l’hygiénisme de l’époque, la capitale accueille en quelques années de grandes avenues, des parcs arborés et un réseau d’égouts de près de 600 kilomètres enfoui sous les pavés. Marville se fait ainsi l’un des photographes officiels de ces nouvelles architectures, dites « haussmanniennes ».
Des lieux immortalisés
Au cours du XIXe siècle, la photographie devient un nouvel outil permettant de conserver le témoignage précieux d’une époque en passe de disparaître. Paradoxalement, c’est à l’époque où l’on souhaite répertorier les monuments historiques qu’une grande partie des architectures parisiennes sont détruites. La photographie, qui se perfectionne à grande vitesse, dévoile donc une évolution entre deux villes parisiennes, illustrant du même coup la bascule entre deux époques.
À travers ses photographies officielles, Charles Marville montre ainsi la grandeur de l’architecture du XIXe siècle, à une époque où Paris se forge l’image d’une ville moderne avec un foisonnement artistique. Si ses clichés semblent montrer une capitale désertée, cela ne traduit pas la réalité de l’époque : en réalité, le temps de pose étant d’une quinzaine de minutes, l’objectif ne pouvait pas capturer les mouvements et se contenter de sauvegarder uniquement les façades immobiles de la Ville Lumière.
Romane Fraysse
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Image à la une : Charles Marville, “Charles Marville, Vue du haut de la rue Champlain, 1877 – © Ville de Paris / BHVP