Connu pour son fantastique Voyage dans la Lune, Georges Méliès a montré ses talents dans la peinture, la mécanique et la prestidigitation avant de s’aventurer dans le septième art. Son univers onirique et ses trucages innovants l’inscrivent comme l’un des réalisateurs majeurs du cinéma naissant.
Les débuts dans la prestidigitation
Georges Méliès passera sa vie entière dans la Ville-Lumière. Né au 47 boulevard Saint-Martin en 1861, il est le benjamin d’une fratrie de quatre enfants, appartenant à une grande famille de fabricants de chaussures de luxe – qui fut, entre autres, bottier de Hortense de Beauharnais, reine de Hollande. Après des études au lycée Louis-le-Grand, il part faire son service militaire à Blois, près de la propriété « Le Prieuré » du prestidigitateur Eugène Robert-Houdin. Certains témoignages racontent que le jeune homme y aurait rencontré ce « père de la magie moderne » à plusieurs reprises.
Mais à l’époque, Georges Méliès souhaite devenir peintre. En parallèle, il travaille dans l’entreprise de son père, et apprend de nombreux mécanismes forts utiles. Afin de perfectionner son anglais, il est envoyé en 1883 chez un ami londonien qui détient un grand magasin de confection. Mais le jeune apprenti va surtout passer son temps à l’Egyptian Hall, une salle d’exposition dans laquelle se produit David Devant. Les deux hommes décident alors de faire un marché : l’illusionniste apprend la prestidigitation à Méliès, et ce dernier lui peint des décors en échange.
De retour à Paris, Méliès décide de mettre en pratique les leçons de Devant. Il délaisse alors la vente pour présenter quelques tours de magie dans des brasseries, à la galerie Vivienne ou au cabinet fantastique du musée Grévin. Désormais marié à Eugénie Genin, pianiste et amie de la famille, il gagne sa vie en tant que journaliste et caricaturiste sous le pseudonyme « Géo Smile ». Face au succès de ses numéros illusionnistes, il décide de vendre ses parts dans l’entreprise familiale afin de racheter le théâtre Robert-Houdin, situé sur le boulevard des Italiens. Là , il crée des spectacles de prestidigitation qu’il présente avec plusieurs magiciens et une dizaine d’automates. Chaque spectacle s’achève ensuite avec la projection de photographies peintes sur verre. Par leur poésie et leur inventivité, ses numéros rencontrent un vif succès chez les Parisiens, et permettent de redorer le blason de l’illusionnisme, jusque-là présenté par des magiciens ambulants et marginaux.
L’arrivée dans le septième art
En 1891, Georges Méliès est un illusionniste confirmé, et crée l’Académie de prestidigitation afin de défendre sa discipline. Invité à une projection privée du Cinématographe des frères Lumière, la veille du 28 décembre 1895, l’homme reste subjugué par le potentiel de cette machine d’un nouveau genre, et propose d’emblée d’acheter les brevets à la famille. Mais, par ruse ou bonne foi, celle-ci tente de l’en dissuader, l’invention des deux frères étant alors considérée comme une attraction foraine éphémère. À ce sujet, Louis Lumière aurait déclaré : « Ça durera un an ou deux, peut-être plus, peut-être moins. Le cinéma n’a aucun avenir commercial ».
Néanmoins, Méliès ne se laisse pas convaincre, et reste persuadé que cette invention a de l’avenir. Après avoir acheté les procédés de projection des frères Isola et de son ami Robert William Paul, il fonde sa propre société de production, la Star Film. Dès le 5 avril 1896, il projette dans son théâtre plusieurs copies des films des frères Lumière, comme cela se faisait à l’époque. Mais son esprit créatif le mène plus loin : il commence à créer lui-même de courtes fictions, dont la première est Une partie de cartes, en 1896, suivi de six cents Voyages à travers l’impossible de quelques minutes.
Méliès ne s’arrête pas là , puisqu’il crée le premier studio de cinéma français dans sa propriété à Montreuil. Là , il recrute des artistes de music-hall, des danseuses des Folies Bergère, ou des amateurs pêchés dans la rue, qu’il filme devant de grands décors peints. À côté des fictions, le tout nouveau cinéaste réalise aussi des actualités, comme Le Sacre du roi Edouard VII, qu’il reconstitue dans son studio. La colorisation est alors un procédé utilisé très tôt par Méliès, lui permettant de créer des univers oniriques, inspirés de la prestidigitation. Grâce à une équipe de coloriste, ses pellicules sont d’abord retravaillées manuellement, avant que la pratique ne soit mécanisée par le biais de pochoirs. À la tête de cet atelier, Élisabeth Thuillier évoque ce travail conséquent : « J’ai colorié tous les films de M. Méliès. Ce coloriage était entièrement fait à la main. J’occupais deux cent vingt ouvrières dans mon atelier. Je passais mes nuits à sélectionner et échantillonner les couleurs. Pendant le jour, les ouvrières posaient la couleur, suivant mes instructions. Chaque ouvrière spécialisée ne posait qu’une couleur. Celles-ci, souvent, dépassaient le nombre de vingt ».
Les innovations au cinéma
L’importance de Georges Méliès dans l’histoire du cinéma tient à sa créativité et à son ingéniosité, aidée par son passé de mécanicien et de prestidigitateur. C’est bien à lui que l’on doit de singuliers trompe-l’œil dans les décors, et de nombreux effets spéciaux emblématiques du septième art. Si l’arrêt de caméra a été inventé par l’américain Thomas Edison, avec Escamotage d’une dame au théâtre Robert-Houdin (1896), il est le premier à présenter ce procédé en Europe, permettant de créer l’illusion de formes qui se métamorphosent. En se l’appropriant dans ses films, il le complexifie considérablement, comme dans Le Déshabillage impossible (1900), qui a nécessité vingt-quatre arrêts de caméra.
Il est aussi le premier à adapter certaines techniques photographiques, comme la surimpression, lui permettant de superposer une image sur une autre. Il l’utilise ainsi dans ses films Barbe-Bleue (1901) ou La Sirène (1904), afin de représenter des songes ou des fantômes apparaissant soudainement à côté du personnage. Il en va de même pour le procédé des fondus, que l’on nomme désormais le diaporama : Méliès le réalise en masquant progressivement l’objectif avec un tissu, en rembobinant sur quelques photogrammes, et en redémarrant l’appareil, dont la vue est lentement dégagée. La coupure n’est alors plus percevable, donnant l’illusion d’une image continue. Ainsi, Méliès marque le septième art avec ses multiples innovations, mais aussi et surtout, son univers très onirique et personnel, qui leur confère une dimension poétique.
Des mésaventures à la célébration
Bien sûr, le chef-d’œuvre de Georges Méliès est sans conteste Le Voyage dans la Lune (1902), qui condense une bonne partie de ses effets spéciaux, et incarne bien son univers fantastique. Diffusé aux États-Unis, le film de 16 minutes remporte un vif succès, et place le cinéaste parmi l’un des principaux pionniers du septième art. Néanmoins, Méliès va connaître quelques mésaventures : après qu’il ait vendu plusieurs copies de ses films à la Biograph Compagny, celle-ci va produire des duplicatas qu’elle revend à son profit à d’autres compagnies, dont l’Edison Manufacturing Compagny.
Mais les contrefaçons ne se sont pas rares à l’aube du cinéma : Georges Méliès lui-même utilise des kinétoscopes de contrebande, et doit rendre des comptes à Edison. Un accord est finalement trouvé entre les deux structures : Méliès donne à Edison le droit d’exploiter plusieurs centaines de copies illégales de ses films, ce qui le conduit à d’importants problèmes financiers. Ne parvenant pas à rivaliser, le cinéaste revend Star Film à Pathé, et se voit contraint de fermer son théâtre à l’aube de la Première Guerre mondiale.
Au lendemain du conflit, Méliès, veuf et ruiné, brûle de rage une bonne partie de ses films, tandis que les autres sont vendus à des marchands forains. Mais en 1925, il retrouve par hasard l’une de ses principales actrices, Jehanne d’Alcy, avec laquelle il s’unit. L’homme l’aide alors dans son commerce de jouets et de sucreries installé au sein de la gare Montparnasse. C’est là que Léon Druhot, rédacteur en chef de Ciné-Journal, le retrouve et remettra en lumière ses films, qui fascineront de nombreux artistes contemporains, dont les surréalistes.
Emporté par le cancer en 1938, Méliès ne retournera plus dans l’industrie du cinéma. Néanmoins, son œuvre est sauvée grâce au travail considérable de sa petite-fille Madeleine Malthête-Méliès, qui devient la secrétaire d’Henri Langlois à la Cinémathèque française. Ne détenant que huit pellicules du cinéaste, ce dernier lui demande de trouver des copies parmi les cinq cents films tournés durant sa vie. Ainsi, ce travail de recherche, de restauration, puis de numérisation, a permis à Méliès de sortir définitivement de l’oubli pour s’inscrire comme un pionnier du cinéma.
Romane Fraysse
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