Sous forme de « placard », « libelle », « réclame » puis « affiche », les déclarations publiques se sont présentées de bien des manières depuis l’invention de l’imprimerie jusqu’à nos jours. Si l’affichage connaît son âge d’or au XIXe siècle par le biais de la lithographie, l’industrialisation progressive a gagné les rues avec des annonces plus publicitaires qu’inventives. À l’opposé, des collectifs, tels que Collages contre les féminicides, ont réinvesti la ville pour défendre noir sur blanc leurs revendications politiques à travers un affichage sauvage.
Placards et libelles
Les premières affiches apparaissent dans les villes après l’invention de l’imprimerie en 1450. Les annonces sont alors placardées aux coins des rues, sur les portes des maisons ou des églises au sujet des édits royaux, des spectacles de foire, recrutement militaire, ou des fêtes liturgiques. Ainsi, ces événements, déjà partagés par les crieurs publics, sont désormais lus par un peuple qui s’alphabétise progressivement. L’affiche se développe rapidement sous forme de placards – avis au public –, de libelles – court écrit satirique – ou de pamphlets, autour desquels la foule se rassemble et se lance dans des débats effrénés.
À Paris, plusieurs dizaines d’afficheurs arpentent alors les rues avec une plaque de cuivre, et recouvrent une grande partie des murs avec des affiches. Mais à la suite de l’affaire des placards – due à l’affichage clandestin d’un texte anticlérical dans la capitale –, le roi François Ier signe le 13 novembre 1539 un édit qui lui octroie le monopole de l’affichage et en « interdit l’arrachage sous peine de punition corporelle ». Cela n’empêche toutefois pas l’affichage de se répandre, encouragé par le libéralisme des Lumières.
L’âge d’or de l’affiche
Lors des grands travaux menés par le baron Haussmann au XIXe siècle, l’affichage est bien entendu pris en compte dans la restructuration de Paris. Si des citoyens collent librement des placards dans toutes les rues, des espaces sont exclusivement réservés aux sociétés d’affichage : parmi eux, le mur pignon pour un affichage en hauteur, la colonne Morris réservée au théâtre en plein essor, les kiosques à journaux, le fiacre réclame, jusqu’aux cadres des métros dès 1900.
Si les lieux de diffusion se multiplient, cela va de pair avec une évolution des techniques. En effet, face aux coûts excessifs de la gravure, la lithographie inventée par l’Allemand Aloys Senefelder vers 1796 sonne comme une véritable révolution : petits formats, impression en couleurs, coût abordable… Une nouvelle technique qui contribue largement à ce que l’on désigne comme « l’âge d’or » de l’affiche.
L’art publicitaire se développe et les annonceurs se multiplient, tantôt éditeurs de livres illustrés, commerçants, industriels ou banquiers. Les grands magasins ont eu aussi leurs affiches, notamment grâce au brevet déposé en 1844 par un certain Jean-Alexis Rouchon pour la réalisation de grands formats colorés, s’inspirant de la technique du papier peint. Si les premiers artistes ne signent pas leurs affiches, il faut attendre les années 1880 pour voir Ernest Maindron, Jules Chéret ou Henri de Toulouse-Lautrec émerger comme de véritables artistes.
Une réglementation moderne
Le développement de l’affichage dans l’espace public a nécessairement donné lieu à une série de réglementations visant à réprimer les collages spontanés dans les rues. Depuis la loi du 29 juillet 1881, certains lieux sont ainsi désignés comme étant réservés aux affiches des autorités politiques : c’est notamment le cas des mairies, sur lesquelles on peut lire « Défense d’afficher ». Par ailleurs, l’affichage officiel des annonceurs au sein de la ville est défini selon une durée d’exposition et des tarifs liés à son emplacement.
Dans le Code de l’environnement, il est précisé que « Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu’en soit la nature, par le moyen de la publicité, d’enseignes et de préenseignes, conformément aux lois en vigueur et sous réserve des dispositions du présent chapitre ». En effet, si l’affichage est dit « libre », celui-ci est tout de même limité à des emplacements urbains précis, avec une répartition pour la publicité et l’affichage d’opinion. Certains lieux, comme les sites classés ou les parcs naturels, sont quant à eux préservés de tout affichage.
Afficher ses revendications
Malgré les restrictions, la publicité est omniprésente dans les villes tandis que l’affichage sauvage reste sévèrement puni. Du même coup, l’industrialisation progressive de la société a contribué à transformer les affiches, qui perdent progressivement leur visée esthétique au profit de l’économie. Des associations antipub lèvent alors la voix pour protéger l’environnement contre les panneaux qui se multiplient au sein du paysage urbain. Certaines, comme la Résistance à l’Agression publicitaire (RAP) militent pour dénoncer la pollution engendrée par ces affiches et les idéologies consuméristes qu’elles véhiculent. D’autres, comme La Meute, réclament une représentation plus respectueuse de la femme, et pointent du doigt les publicités sexistes.
Face au développement du numérique, l’affiche a progressivement perdu son rôle de premier informateur. Du moins lorsqu’il s’agit de déclarations officielles ou de publicités commerciales, car certaines formes d’affichages veulent au contraire provoquer des prises de conscience au sein de l’espace public. C’est notamment le cas des actions menées par le collectif Collages contre les féminicides, cofondé par Marguerite Sten. Depuis 2016, celui-ci colle des phrases en lettres noires sur des feuilles blanches pour alerter sur les violences sexistes, familiales ou précriminelles. Rapidement retirés par la Ville, ces collages réinvestissent l’espace public en exposant noir sur blanc le récit de violences. De cette manière, l’affichage redevient un acte citoyen ayant pour objectif de faire apparaître publiquement ce qui reste généralement invisibilisé.
Romane Fraysse
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Image à la une : Après-midi, les afficheurs du Comité républicain socialiste anticollectiviste bataillent, Agence Rol, 1910 – © Gallica