Au cœur des rues médiévales du Quartier latin, le Caveau de la Huchette a vu défiler de nombreuses coteries sous les voûtes de sa cave. Cachette des Templiers, loge maçonnique ou tribunal des révolutionnaires, le n°5 a été un lieu de rendez-vous clandestins, jusqu’à devenir l’emblématique club de jazz que l’on connaît.
Une loge maçonnique
En plein cœur du Quartier latin, dans le labyrinthe des rues médiévales qui occupe les bords de Seine, la rue de la Huchette demeure l’une des plus renommées. Comme d’autres voies mitoyennes – citons la rue du Chat-qui-pêche –, elle doit son nom à une enseigne datant du XIIIe siècle « La Huchette d’or », qui cohabitait avec de nombreux autres commerces. Mais c’est au n° 5 de cette rue que l’on va particulièrement s’intéresser.
Selon la légende, plusieurs ordres secrets se sont rassemblés à cette adresse, et plus particulièrement dans l’intimité de sa cave. Dès le Moyen Âge, l’ordre religieux du Temple, créé pour protéger les pèlerins en Terre sainte, y tient de nombreuses réunions avec ses membres. Peu de temps après, l’un de ses « héritiers », la Rose-Croix, poursuit cette tradition en s’y retrouvant. Puis, en 1772, le lieu est transformé en loge maçonnique, à laquelle on accède depuis les rues de la Parcheminerie, de l’Hôtel-Dieu et du Petit Pont. Les initiés peuvent même rejoindre le cloître Saint-Séverin et le Châtelet par deux longs passages souterrains.
Le Caveau de la Terreur
Ainsi, au fil des siècles, le n°5 de la rue de la Huchette poursuit son rôle en accueillant les groupes clandestins et indépendants qui font leur temps. Dès 1789, il abrite les clubs des Cordeliers et des Montagnards, dont Danton, Marat, Saint-Just ou Robespierre. Au départ, sa salle principale est transformée en taverne, dans laquelle les échanges sont libres et festifs, tandis que les discours révolutionnaires se forgent progressivement lors des réunions qui ont lieu secrètement dans la cave. Mais, en entrant dans la période de la Terreur, le lieu est transformé en tribunal, comme dans certains édifices parisiens. C’est là , dans les sous-sols de la capitale, que de nombreux jugements se déroulent durant plusieurs mois : les accusés assistent à leur procès, sont enfermés dans les quelques cellules installées, ou conduits à la salle d’exécutions. Car plusieurs crimes ont été commis dans la salle la plus basse, qui dispose d’un puits très profond dans lequel les dépouilles sont ensuite jetées.
Nul hasard que cette adresse soit renommée un siècle plus tard le « Caveau de la Terreur ». Loin de l’époque révolutionnaire, les Parisiens du début du XXe siècle aimaient se rendre à ce nouveau cabaret de chansonniers pour qu’on fasse semblant de leur couper la tête avec une petite guillotine en bois, avant de partir en visite dans les catacombes. L’histoire ne manque jamais d’ironie !
Premier club de jazz
Mais peu à peu, les cabarets passent de mode, et la déclaration de la Seconde Guerre mondiale met fin aux festivités du n° 5. La rue de la Huchette accueille d’ailleurs quelques barricades édifiées par les résistants au cours de l’année 1944.
Mais, avec les joies de la Libération, un vent de liberté outre-Atlantique s’empare de la Rive gauche de la capitale, et s’installe tout particulièrement dans le quartier prisé de Saint-Germain-des-Prés : le jazz. Parmi eux, le désormais « Caveau de la Huchette » aurait été le premier club à accueillir cette musique rythmée sous les voûtes de sa cave.
Ouvert en 1948 par Maurice Goréguès, le lieu accueille des groupes de jazz chaque soir, accompagnés par des danseurs de Be-Bop. De nombreux musiciens y ont fait leur début, comme Claude Bolling, Sydney Bechet, Count Basie, Art Blakey, Sacha Distel ou Lionel Hampton, tout comme les chanteurs Léo Ferré, Georges Brassens ou Boris Vian.
Plus tard, en 1970, le vibraphoniste Dany Doriz reprend l’affaire pour y faire perdurer cette atmosphère iconique, à la manière du Cotton Club américain. Sous la salle du bar, la cave est aménagée d’une large piste de danse, entourée de longues banquettes rouges pour le public. Et tous les soirs, les orchestres animent ce sous-sol parisien jusqu’à pas d‘heure. Parmi les habitués, on trouve notamment Cabu, grand amateur de jazz, qui se dit séduit par l’intemporalité du lieu et lui consacre plusieurs dessins.
Un lieu culte
Aujourd’hui, le Caveau de la Huchette parvient à rester un lieu hors du temps, malgré qu’il soit implanté en plein cœur d’un quartier touristique de la capitale. Il est l’un des derniers endroits au monde où l’on peut encore écouter du jazz tout en dansant le Be-Bop.
Avec ses orchestres et ses danseurs, dans sa cave voûtée et ses banquettes rouges, il demeure le rendez-vous parisien des passionnés de jazz. Dany Doriz continue quant à lui à s’y produire avec son Big Bang, trois à quatre fois par an. Sinon, on peut y écouter fréquemment l’organiste Rhoda Scott, le saxophoniste ténor Scott Hamilton, le trompettiste Ronald Baker, ou le pianiste de boogie-woogie Jean-Paul Amouroux.
L’atmosphère iconique du club lui vaut d’ailleurs d’être le décor de plusieurs films, comme Les Tricheurs de Marcel Carné (1958), La Première fois de Claude Berri (1976), Rouge Baiser de Véra Belmont (1985) et Yves Saint Laurent de Jalil Lespert (2014). Damien Chazelle s’est même inspiré de son décor pour la scène finale de La La Land (2016), ce qui a contribué à faire naître une nouvelle clientèle dans le plus célèbre des caveaux.
Caveau de la Huchette
5 rue de la Huchette, 75005 Paris
Ouvert tous les soirs
Romane Fraysse
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