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Les comédiennes, ces visages oubliés de la Belle Époque

La comédienne Geneviève Lantelme

Certains visages de la Belle Époque nous restent en mémoire, à l’instar de l’excentrique Sarah Bernhardt ou de l’iconique Cléo de Mérode. À une période où les théâtres deviennent l’une des principales distractions des Parisiens, certaines femmes indépendantes saisissent l’opportunité d’exister socialement en montant sur les planches. Souvent louées pour leur beauté davantage que pour leur jeu, ces comédiennes ont connu une grande renommée de leur vivant qui s’est estompée au fil du temps.

L’ « ingénue » Suzanne Reichenberg (1853-1924)

La comédienne Suzanne Reichenberg. Atelier Nadar - BnF
Suzanne Reichenberg. Atelier Nadar – © Gallica / BnF

Alors que son père hongrois est mourant, Suzanne Reichenberg est élevée dès son plus jeune âge par sa marraine, qui la présente à 14 ans au Conservatoire de Paris. Après y avoir remporté le premier prix l’année suivante, elle lance sa carrière à la Comédie-Française en interprétant Agnès dans L’École des femmes. Ses talents de comédienne sont d’emblée remarqués, notamment par Théophile Gautier qui loue sa « figure fine et candide où l’esprit brille à travers l’innocence » ou Marcel Proust qui la voit « toute gracieuse, habillée de rose pâle et coiffée d’un large chapeau blanc que couvre de grandes plumes roses ». À l’opposé d’autres comédiennes célèbres pour leurs excentricités, Reichenberg, avec son physique angélique, sera connue pour ses rôles de jeunes femmes ingénues entre les années 1870 et 1900.

La « divine » Julia Bartet (1854-1941)

La comédienne Julia Bartet - BnF
La comédienne Julia Bartet. Comédie française, Bourgeois gentilhomme. Atelier Nadar – © Gallica / BnF

Après être entrée au Conservatoire de Paris en 1871, Julia Bartet est engagée à 18 ans au théâtre du Vaudeville, où elle commence sur les planches en interprétant Vivette dans L’Arlésienne d’Alphonse Daudet. Après avoir connu un vif succès, elle devient l’une des têtes d’affiche des théâtres parisiens jusqu’en 1919, et est célébrée comme l’une des comédiennes les plus importantes de son époque. Parmi ses grands rôles, on peut compter Manon Lescaut de l’abbé Prévost, la Reine dans Ruy Blas de Victor Hugo, Camille dans On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset ou Bérénice de Racine – une tragédie qu’elle contribue d’ailleurs à faire sortir de l’oubli après la Révolution française. Admise à la Comédie-Française deux ans plus tard, elle en devient la 307e sociétaire grâce à la polyvalence de son jeu, autant dans le répertoire classique que contemporain, autant dans la comédie que le drame, ce qui lui vaudra le surnom de « divine Bartet ».

L’indétrônable Réjane (1856-1920)

Réjane - BnF
La comédienne Réjane. Atelier Nadar – © Gallica / BnF

Fille d’un ancien comédien et d’une caissière du théâtre de l’Ambigu, Gabrielle-Charlotte Réju entre au Conservatoire à l’âge de 15 ans. Rattachée au mouvement du Théâtre-Libre, qui rompt avec l’académisme de la Comédie-Française ou de l’exubérance de Sarah Bernhardt pour expérimenter un jeu naturaliste influencé par les théories d’Émile Zola. Devenue célèbre avec son rôle de Madame Sans-Gêne de Victorien Sardou – qu’elle interprètera ensuite lors d’une tournée en Amérique – elle enchaîne les rôles principaux et est considérée par le guide Paris-Parisien comme « la plus parisienne des comédiennes ». Après avoir fondé le théâtre Réjane en 1905, elle entre en concurrence avec Sarah Bernhardt, également directrice d’un théâtre, avec laquelle elle se dispute le titre de la comédienne la plus célèbre de la Belle Époque.

La philanthrope Rachel Boyer (1864-1935)

La comédienne Rachel Boyer - BnF
La comédienne Rachel Boyer. Atelier Nadar, 1891 – © Gallica / BnF

Élève au Conservatoire de Paris de 1880 à 1883, Rachel Boyer fait ses débuts au théâtre de l’Odéon avec le rôle de Toinette dans Le Malade imaginaire de Molière. D’abord restreinte aux rôles de soubrettes, elle crée plusieurs rôles dès son entrée à la Comédie-Française en 1887, dont ceux de Margot d’Alfred de Musset, de Bettina dans Par le glaive de Jean Richepin ou de Dulcinée dans Don Quichotte. Jusqu’en 1918, elle occupera les planches de nombreux théâtres parisiens et mènera une vie mondaine auprès des artistes et intellectuels de l’époque. La comédienne est d’ailleurs à l’initiative de l’Union des Arts, une association philanthropique visant à soutenir les artistes en difficulté, également soutenue par Aristide Briand, Georges Clemenceau, la comtesse de Noailles, Julia Bartet ou Edmond Rostand.

L’inattendue Ève Lavallière (1866-1929)

La comédienne Eve Lavallière - BnF
La comédienne Ève Lavallière. Théâtre des Variétés. Atelier Nadar – © Gallica / BnF

Après une enfance difficile – lors de laquelle elle assiste au meurtre de sa mère, tuée par son père avant de se donner la mort –, Ève Lavallière fait ses débuts dans une troupe ambulante avant de rejoindre Paris en 1889. Remarquée lors de ses cours de danse, elle est embauchée au théâtre des Variétés pour devenir figurante dans La Belle Hélène de Jacques Offenbach, avant de prendre le rôle d’Oreste à la mort brutale de son interprète. De 1891 à 1917, elle devient une comédienne renommée aux côtés de ses homologues masculins, comme Albert Brasseur avec qui elle joue dans Le Sire de Vergy. Tombée malade à 51 ans, elle décide de se retirer de la scène et entre dans le Tiers-Ordre franciscain tout en offrant sa fortune à de nombreuses œuvres caritatives.

L’expressive Eugénie Segond-Weber (1867-1945)

La comédienne Eugénie Segond-Weber - BnF
La comédienne Eugénie Segond-Weber. Théâtre de l’Odéon, Les Jacobites. Atelier Nadar, 1900 – © Gallica / BnF

Mariée tôt à Léon Second, la jeune Caroline-Eugénie Weber décide de prendre pour nom de scène Eugénie Segond-Weber. Entrée en 1887 à la Comédie-Française, elle interprète dès l’année suivante le rôle d’Andromaque dans la pièce éponyme de Jean Racine, et continuera de jouer des rôles féminins remarquables du répertoire tragique, comme ceux de Doña Sol dans Hernani, de Cléopâtre ou de Bérénice, avant de prendre sa retraite en 1926. Très populaire pour son jeu expressif, la comédienne a été immortalisée dans de nombreuses photographies, illustrations et affiches de la Belle Époque.

L’exubérante Cécile Sorel (1873-1966)

La comédienne Cécile Sorel - BnF
La comédienne Cécile Sorel dans son appartement du quai Voltaire. Agence Meurisse, 1926 – © Gallica / BnF

D’abord habituée aux petits rôles dans des pièces anecdotiques, Cécile Sorel fait son entrée au théâtre de l’Odéon en 1899 et à la Comédie-Française deux ans plus tard. Tout comme Sarah Bernhardt, la comédienne adopte un jeu excentrique, avec une diction artificielle et des postures grandiloquentes. Spécialisée dans les rôles de coquettes, elle mène une vie mondaine avec de nombreux intellectuels de l’époque, dont George Clemenceau, Maurice Barrès ou Félix Faure. Soupçonnée de collaboration au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, elle a pour interdiction de monter sur scène durant un an. Néanmoins, sa popularité ne chutera pas, et la comédienne prendra soin de cultiver son image jusqu’à la fin de sa vie. On lui prête même une longue citation – certainement romancée – qui aurait été prononcée sur son lit de mort : « Je remercie Dieu de m’avoir permis d’ensoleiller mon époque et de m’avoir donné une vie si magnifique ».

La « gommeuse » Polaire (1874-1939)

La comédienne Polaire - BnF
La comédienne Polaire. Bouffes-Parisiens, Claudine à Paris. Atelier Nadar – © Gallica / BnF

Née en Algérie, Émélie Marie Bouchaud rejoint Paris à l’âge de 16 ans en compagnie de son frère Edmond. Ce dernier travaillant dans le café-concert Dufleuve, la jeune femme y gagne aussi sa vie en chantant le soir. Remarquée pour son impressionnante « taille de guêpe » de 33 cm, elle rejoint la salle de spectacle L’Européen en 1890. Par son jeu lascif et frénétique, on la qualifie de « gommeuse épileptique » dans la presse, qui multiplie des illustrations de sa silhouette, tandis que les peintres Henri de Toulouse-Lautrec ou Antonio de La Gandara en font leur modèle. Proche du couple Colette et Willy, elle obtient le rôle de Claudine dans Claudine à Paris aux Bouffes-Parisiens en 1902 : le succès est si grand qu’elle se produira aussi aux États-Unis et à Londres. À son retour, elle continue d’enchaîner les rôles dans les théâtres et s’essaye au cinéma jusqu’en 1936.

La passionnée Suzanne Després (1875-1951)

La comédienne Suzanne Desprès - BnF
La comédienne Suzanne Desprès. Nouveau Théâtre. Atelier Nadar – © Gallica / BnF

Éduquée chez les sÅ“urs, Joséphine Charlotte Bonvalet travaille dès l’âge de 16 ans dans un atelier de couture. Passionnée par le théâtre, elle décide alors d’économiser son argent pour se rendre au paradis de la Comédie-Française tous les samedis soir. Lassée par son travail, elle quitte l’atelier et parvient à entrer dans la compagnie du journal L’Å’uvre, avant de s’inscrire au Conservatoire. Sa carrière est alors lancée : elle entre au Vaudeville, puis au théâtre Antoine, où elle interprète avec succès Poil de carotte de Jules Renard. Elle y crée aussi La Fille sauvage de François de Curel ou Les Remplaçantes d’Eugène Brieux avant d’être engagée à la Comédie-Française en 1902. Mais son jeu nouveau n’étant pas apprécié dans Phèdre, elle décide de démissionner au bout d’un an et retrouve ses premiers amours, le théâtre Antoine et L’Å’uvre, où elle continue de jouer, tout comme au cinéma, jusqu’en 1940.

L’iconique Geneviève Lantelme (1883-1911)

La comédienne Geneviève Lantelme
La comédienne Geneviève Lantelme, par Léopold-Émile Reutlinger – © Valeria Verbinina

Obligée par sa mère à travailler dès 14 ans dans la maison close qu’elle dirige, Mathilde Hortense Claire Fossey obtient la protection du banquier Henry Poidatz. Attirée par le théâtre, elle prend comme nom de scène celui de sa mère, Lantelme, et parvient à avoir une place en tant que figurante au théâtre du Gymnase. Entrée au Conservatoire de Paris en 1903, elle continue ses activités sur scène, dont dans L’Âge d’aimer, aux côtés de Réjane. Cette rencontre lui permet alors de signer un contrat avec le théâtre Réjane durant deux ans, avant d’interpréter quelques rôles dans d’autres scènes parisiennes, dont celui de Marthe Bourdier dans Le Roi de Gaston Arman de Caillavet, Robert de Flers et Emmanuel Arène, qui est l’un des plus grands succès du théâtre de l’époque. Modèle de plusieurs artistes, elle collabore aussi avec de nombreux stylistes et devient une vedette des magazines. Admirée par ses contemporains comme l’une des plus belles femmes de la Belle Époque, elle disparait mystérieusement, à l’âge de 28 ans, lors d’une croisière sur le Rhin.

Romane Fraysse

À lire également : La Divine Sarah Bernhardt ou le culte de la dramaturgie

Image à la une : Geneviève Lantelme photographiée chez elle avec son chien – © Valeria Verbinina

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