Le dandy passe souvent pour une figure antipathique : cela tombe bien, puisqu’il ne cherche pas à plaire. Apparu en réaction à la révolution industrielle, il est souvent perçu comme un élégant aussi extravagant que narcissique, n’ayant de préoccupation que d’ordre vestimentaire. Mais des auteurs comme Jules Barbey d’Aurevilly ou Charles Baudelaire ont souligné la profonde complexité de cet esthète, inconstant, insaisissable, en recherche perpétuelle de l’expression de sa singularité.
Une définition vague
Souvent, nous sommes bien incapables de donner une définition précise et certaine au « dandy », tant le mot a connu des évolutions dans son histoire jusqu’à n’être plus que l’ombre de lui-même. L’Académie française ne reconnaît officiellement ce néologisme qu’en 1878 : venu d’Angleterre, il serait une dérivation du verbe to dandle signifiant « se dandiner ». D’autres estiment qu’il pourrait remonter à la Renaissance, durant laquelle était utilisé le terme français dandin pour qualifier un « sot ». D’un côté comme de l’autre, l’origine du mot n’est guère flatteuse, et sert à désigner en Angleterre, dès la fin du XVIIIe siècle, une attitude qui se démarque sans basculer dans l’excentricité.
Mais dès le début du XIXe siècle, le mot devient une mode londonienne, et qualifie alors l’homme élégant qui crée son propre style sans s’accorder à celui d’un autre. Adoré des romantiques français, le dandy apparaît comme un défenseur de la subjectivité dans un monde de plus en plus voué à la standardisation. Mondain fréquentant les boulevards parisiens, il devient progressivement une figure intellectuelle. Certains écrivains comme Jules Barbey d’Aurevilly ou Charles Baudelaire lui trouvent un sens esthétique et spirituel, incarné par celui qu’ils considèrent comme étant le tout premier dandy : George Brummell, dit le « Beau Brummell », un courtisan de la cour d’Angleterre.
Aujourd’hui, si certaines femmes ont pu être qualifiées comme telle, à l’instar de George Sand, Sarah Bernhardt, Colette ou Françoise Sagan, le terme garde une connotation masculine, et peine à se détacher de son sens péjoratif, proche du narcissisme.
Le monde des apparences
La définition la plus simple – ou plutôt simpliste – du dandy est celle d’un mondain qui se soucie tout particulièrement de son apparence. De manière assez ironique, sa figure est née avec cette conception péjorative, qui demeure privilégiée par notre monde contemporain : le dandy est détesté, perçu comme un homme narcissique, vaniteux, snob, superficiel, réduit à un effet de style. Plusieurs auteurs tentent pourtant d’en faire un personnage bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Dans son fameux Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde lui rend justice à travers les mots de lord Henry : « On dit parfois que la Beauté n’est que superficielle. Cela se peut. Mais du moins n’est-elle pas aussi superficielle que la Pensée. Pour moi, la Beauté est la merveille des merveilles. Seuls les esprits superficiels refusent de juger sur les apparences. Le véritable mystère du monde, c’est le visible, et non pas l’invisible… ». En privilégiant le monde des apparences à celui des idées, le dandysme ne fait qu’élaborer une critique de la philosophie platonicienne : tout ce qui existe est dans l’ici-bas, et demeure la véritable source d’émerveillement.
Le dandy, un fin observateur
Le dandysme connaît ainsi une autre histoire que celle d’une simple mondanité. À travers les écrits de Jules Barbey d’Aurevilly ou Charles Baudelaire naît le « dandy littéraire » : un sujet qui s’adonne au culte de soi, à travers un caractère affirmé et une attitude marginale, un goût pour l’élégance et une lutte contre la trivialité. Ce « dernier éclat d’héroïsme dans les décadences » (Baudelaire) loue toute expression singulière en réaction au nouveau monde industriel. Toutefois, il se différencie du révolté, en cela qu’il se joue des règles tout en les respectant : « Tout dandy est un oseur, mais un oseur qui a du tact, qui s’arrête à temps », souligne Barbey d’Aurevilly.
Cultivant l’originalité, le dandy cherche du même coup à révéler. Celui-ci prend du recul, observe ses contemporains pour déceler les fondements moraux, souvent implicites, de la société dans laquelle il vit. Conscient du caractère inconstant de la modernité, il se réinvente constamment tout en gardant une exigence continue envers lui-même. « Le mot dandy implique une quintessence de caractère et une intelligence subtile de tout le mécanisme moral de ce monde », écrit Baudelaire. En cela, le dandy ne doit jamais cesser de porter un regard critique sur ce qui l’entoure, tout en gardant assez d’esprit pour saisir ses instants éphémères.
Être sa propre Å“uvreÂ
On connaît la fameuse déclaration d’Oscar Wilde : « Je veux faire de ma vie une Å“uvre d’art ». Cette citation, devenue l’un des préceptes du dandysme, révèle deux valeurs défendues par l’esthète : celle de s’attacher au beau, et celle d’en faire l’élément principal de son existence. C’est là toute la philosophie du dandy : s’il est celui qui se démarque du monde pour mieux le scruter, il désire aussi provoquer une réaction, réveiller les esprits par l’étonnement. Tout comme une Å“uvre d’art se crée, le dandy cherche chaque instant à concevoir une « manière d’être » qui dénote. Est-ce là de l’orgueil et de l’artifice ? Sûrement, mais ces traits de caractère servent parfaitement son goût pour le décalage au sein d’une société ordonnée, qui a élu l’argent comme valeur suprême.
On peut objecter au dandy que le culte de soi ne laisse rien à la postérité. Mais cela suit précisément sa conviction, celle d’une existence éphémère et inconstante, opposée à tout utilitarisme. Que signifie donc faire de sa vie une œuvre, si ce n’est être un ascète en recherche perpétuelle de perfection ? C’est en cela que le dandy peine à être défini, car il est toujours en mouvement dans l’expression d’une singularité qui ne dépend d’aucune école. Ce que l’on juge superficiel en lui, c’est justement ce qu’il place en haut de ses valeurs : demeurer insaisissable. Non insaisissable en dissimulant qui il est, mais en ne cessant de se métamorphoser dans la société.
Romane Fraysse
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Image à la une : Edward Loevy, Le Dandy nonchalant, 1901