fbpx

Une traversée dans la Nouvelle Athènes, quartier de cœur des romantiques

L'église Notre-Dame-de-Lorette

En vogue entre les années 1820 et 1860, la Nouvelle Athènes n’évoque plus grand-chose à notre époque. Avec ses architectures antiquisantes et sa vie de bohème, ce quartier entourant la place Saint-Georges du 9e arrondissement a pourtant été le berceau du romantisme. Aux côtés de George Sand, Eugène Delacroix ou Frédéric Chopin, de nombreux artistes, écrivains et lorettes y ont élu domicile lors des décennies fondatrices de notre modernité.

Un nom d’époque

Désormais surnommé le « South Pigalle », le quartier de la Nouvelle Athènes est habité par un passé relativement méconnu. Rien d’étonnant à cela, puisque dès son apparition dans les années 1820, il a contribué à faire émerger un mouvement auquel notre époque reste souvent indifférente : le romantisme. C’est en effet dans ce faubourg rural, situé au nord de la capitale, que des promoteurs vont initier de grands travaux, bien avant ceux du baron Haussmann. Au tout début du XIXe siècle, ce quartier dit des Porcherons demeure encore en dehors des murs de la ville, et est surtout connu des Parisiens pour ses vignes et ses guinguettes.

La rue de la Tour-des-Dames - © Romane Fraysse
La rue de la Tour-des-Dames – © Romane Fraysse

À partir des années 1820, le financier Augustin de Lapeyrière s’associe avec l’architecte Auguste Constantin et investit dans les terrains situés au nord de la rue Saint-Lazare pour construire un nouveau quartier d’habitations. Un premier lotissement est réalisé dans la rue Notre-Dame de Lorette, et héberge des pensionnaires de la Comédie-Française. Son style néoclassique très en vogue est alors remarqué, et plusieurs hôtels particuliers sont fondés dans les rues de la Tour des Dames ou La Rochefoucauld selon son modèle.

Détail de la façade statues de l'Abondance et de la Tempérance.Hotel_de_la_Paiva
Détail de la façade de l’hôtel de la Païva, avec les statues de l’Abondance et de la Tempérance

Le 18 octobre 1823, le journaliste Adolphe Dureau de La Malle évoque ce nouveau quartier dans le Journal des débats politiques et littéraires. Afin d’évoquer l’architecture antiquisante de ses hôtels, il lui donne le surnom de « Nouvelle Athènes ». Celui-ci est alors rapidement repris par les promoteurs, qui y voient une opportunité d’attirer les Parisiens dans leurs nouveaux lotissements. En effet, l’époque est prise d’une véritable grécomanie, en partie liée à la guerre d’indépendance menée par la Grèce contre l’Empire ottoman. Le nouveau quartier devient ainsi très prisé dès ces années-là.

Une architecture antiquisante

Mais à quoi reconnaît-on la Nouvelle Athènes ? Pour le savoir, il suffit de se diriger vers l’un de ses monuments emblématiques : l’église Notre-Dame de Lorette. Construit en 1823 à 1836 selon les plans de Louis-Hippolyte Lebas, cet édifice classé au titre de Monuments historiques est emblématique de l’architecture néoclassique alors en vogue. On y perçoit une façade de style grec, avec quatre colonnes corinthiennes supportant un fronton triangulaire représentant l’hommage de quatre anges à la Vierge et l’Enfant. L’intérieur est quant à lui d’inspiration romaine, imitant le plafond sans voûte des basiliques et les fresques murales des primitifs chrétiens.

L'église Notre-Dame-de-Lorette - © Romane Fraysse
L’église Notre-Dame-de-Lorette – © Romane Fraysse

Son nom fait d’ailleurs référence à la Sainte Maison de Lorette, une maison située sur la colline italienne de Lorette où Marie aurait été visitée par le Saint-Esprit pour donner naissance à Jésus. Caractéristique de la Nouvelle Athènes, ce monument influence de nombreux artistes et écrivains, à commencer par Gérard de Nerval : dans son Aurélia, le narrateur pénètre en effet au sein de l’église pour se jeter aux pieds de la Vierge et l’implorer.

La rue de la Tour-des-Dames - © Romane Fraysse
La rue de la Tour-des-Dames – © Romane Fraysse

En faisant un tour dans la rue de la Tour-des-Dames, on peut également contempler une série d’hôtels particuliers typiques de cette période, conçus en pierre de Paris – et non en pierre de taille, comme dans le style haussmannien. Dès 1820, le comédien Talma s’y fait construire un hôtel au n°9, dont la salle à manger est décorée par Eugène Delacroix.

Entrée de l'hôtel particulier de Mlle Mars - © Romane Fraysse
Entrée de l’hôtel particulier de Mlle Mars – © Romane Fraysse

Au n°3, on peut également apercevoir l’hôtel de la tragédienne Mlle Duchesnois, ou encore celui de Mlle Mars au n°1 : ce dernier dispose d’un grand jardin intérieur agrémenté d’une fontaine, depuis lequel on perçoit la façade avec ses colonnes ioniques et sa corniche à consoles surmontée de vases antiques.

La place Gustave Kaspereit - © Romane Fraysse
La place Gustave Kaspereit – © Romane Fraysse

Un autre lieu emblématique du quartier demeure la place Gustave Kaspereit : bien qu’il s’éloigne de l’architecture néoclassique, son splendide hôtel Art Déco construit en 1837 est l’une des façades les plus remarquables de la Nouvelle Athènes. Celle-ci voisine d’ailleurs avec l’avenue Frochot, une voie privée où vécurent de nombreuses personnalités de l’époque, dont Alexandre Dumas ou Victor Hugo.

Le berceau du romantisme

En déambulant dans ces rues éclatantes de blancheur, des arbres surgissent parfois entre deux immeubles abritant un parc. Il faut parfois lever les yeux pour découvrir une végétation luxuriante sur certains balcons, et les porter sur les places pour y voir des terrasses belles de leur monde. Ainsi, la Nouvelle Athènes mêle harmonieusement la tranquillité de certaines rues à l’animation festive d’autres. On ne s’étonne pas d’imaginer de jeunes artistes et écrivains en faire leur quartier général dès 1820, eux que l’on nommera quelques années plus tard les romantiques.

Une rue de la Nouvelle Athènes - © Romane Fraysse
Une rue de la Nouvelle Athènes – © Romane Fraysse

Pourtant, il y a un certain paradoxe à cela : s’il est simple d’imaginer que cette vie de bohème attire George Sand, Eugène Delacroix, Frédéric Chopin, Victor Hugo ou Théodore Géricault, on pourrait s’étonner de les identifier à l’architecture néoclassique du quartier. En effet, en véritables premiers modernes, les romantiques vont justement marquer une rupture avec les adeptes du classicisme. En opposition au rationalisme des Lumières, ils sont ceux qui vont défendre l’invisible à travers l’imagination et le sentiment.

Vue du square d'Orléans, depuis l'appartement de Chopin - © Gallica
Vue du square d’Orléans, depuis l’appartement de Chopin – © Gallica

On peut donc supposer que le groupe était attiré par la Nouvelle Athènes comme un espace qui, bien qu’antiquisant, restait à inventer. Car c’est bien dans les rues Notre-Dame-de-Lorette, des Martyrs, Blanche ou Saint-Lazare que des poètes, acteurs, musiciens ou peintres vont élire domicile. L’une des adresses célèbres reste celle du square d’Orléans, un ensemble architectural dont l’entrée se trouvait autrefois au 36 rue Saint-Lazare : c’est là que George Sand et Frédéric Chopin résidaient avec une communauté d’artistes et écrivains, dont Alexandre Dumas. Non loin de cette résidence, on trouvait l’appartement d’Eugène Delacroix au 58 rue Notre-Dame-de-Lorette, et celui de Théodore Géricault au 21 rue des Martyrs.

Le musée de la Vie romantique, ancienne propriété du peintre Ary Scheffer
Le musée de la Vie romantique, ancienne propriété du peintre Ary Scheffer

Et bien entendu, on ne peut faire l’impasse sur le musée de la Vie romantique, qui était autrefois la demeure du peintre Ary Scheffer. C’est dans son salon-atelier que se sont retrouvés les plus grands noms du romantisme, venus échanger et créer ensemble. À une époque où l’on croit dur comme fer à l’œuvre totale, ce lieu devient le véritable berceau de la modernité, où Franz Liszt, par ses airs, inspire George Sand dans ses écrits, qui feront germer des idées de thèmes à Eugène Delacroix. Plus tard, le groupe est rejoint par Gustave Moreau, qui s’installe au 6 rue de Furstemberg et s’inspire du geste libre et évanescent de ses prédécesseurs pour le poursuivre vers le symbolisme.

Les lorettes, emblèmes du quartier

Mais le quartier va aussi voir germer une nouvelle figure, dont le nom est indissociablement lié à la Nouvelle Athènes : les lorettes. Ces filles de joie doivent d’ailleurs leur surnom à l’église Notre-Dame-de-Lorette, autour de laquelle elles tapinent. Dans Filles, lorettes et courtisanes, Alexandre Dumas fils les décrit comme « de charmants petits êtres propres, élégants, coquets, qu’on ne pouvait classer dans aucun des genres connus : ce n’était ni le genre fille, ni le genre grisette, ni le genre courtisane. Ce n’était pas non plus le genre bourgeois. C’était encore moins le genre femme honnête ».

« Ce que c’est pourtant que nos sentiments ! » (dans Le Diable à Paris par Paul Gavarni et Grandville, édition de 1869).
« Ce que c’est pourtant que nos sentiments ! » (dans Le Diable à Paris par Paul Gavarni et Grandville, édition de 1869)

Selon Alex Lascar, les lorettes sont des femmes uniquement entretenues par les hommes qu’elles fréquentent, contrairement aux grisettes qui travaillent souvent dans des commerces. Celles-ci ont notamment été représentées par le caricaturiste Paul Gavarni, habitant du quartier, auquel un monument est consacré au centre de la place Saint-Georges.

La place Saint-Georges - © Romane Fraysse
La place Saint-Georges, avec le monument à Paul Gavarni et l’hôtel de la Païva à droite – © Romane Fraysse

Sur cette place, on peut d’ailleurs apercevoir l’hôtel de la Païva. Ce grand édifice de style renaissance italienne appartient à Esther Lachmann, une lorette qui devient la maîtresse du comte de Guido de Donnersmarck et obtient une grande renommée dans le milieu. Proche des romantiques Franz Liszt et Richard Wagner, ou encore de Théophile Gautier, elle inspire de nombreux artistes et écrivains de son temps, tout en continuant à se prostituer. Dans le quartier, on a d’ailleurs pour coutume de dire « Chez la Païva, qui paye y va ! » en référence au coût élevé de ses services. Aujourd’hui encore, l’hôtel est célébré comme l’un des principaux témoins de cette époque, qui a vu naître les premiers modernes.

Romane Fraysse

À lire également : Ary Scheffer et le cercle de la rue Chaptal, le coeur romantique de Paris

Les prochaines visites guidées



Voir toutes nos activités