Depuis plusieurs années, le féminisme a redoré l’image de la sorcière en la présentant comme un symbole d’indépendance dans une société patriarcale. Si la sorcellerie existe depuis l’Antiquité, de nombreuses femmes jugées hérétiques – ainsi que des hommes – vont être victimes d’une persécution qui va s’étendre dans toute l’Europe dès la fin du XIVe siècle.
La sorcière, bouc émissaire
En tout premier lieu, qu’appelle-t-on une sorcière ? Bien sûr, il ne s’agit pas là d’une vieille femme cachée dans un placard à balai, ou de cette autre mystérieuse tendant une pomme empoisonnée… Les récits fantastiques ne manquent pas au sujet de ces femmes maléfiques, et nourrissent depuis bien longtemps l’imaginaire collectif. Mais celles que l’on nomme les « sorcières » ont pourtant bien existé – et existent toujours dans de nombreux pays contemporains. On retrouve cette dénomination dès l’Antiquité pour qualifier les femmes connaissant les propriétés des plantes médicinales, dont les dosages peuvent guérir ou tuer. Celles-ci recourent également à la magie par des incantations et des rituels.
Au fil des siècles, ces sorcières sont alors reconnues comme des sages-femmes pouvant produire des miracles grâce à la botanique. De nombreuses femmes leur rendent aussi visite pour pratiquer des avortements clandestins. Mais à la veille de la Renaissance, cette activité empirique s’oppose au rationalisme triomphant : les humanistes, tout comme les chrétiens, condamnent ces gestes maléfiques qu’ils associent à Satan. En réaction, ils défendent le développement de la science et de la médecine.
De plus, les sorcières demeurent des figures marginales dans la société occidentale. Il s’agit de paysannes qui sont les seules détentrices de techniques ancestrales, et dont le genre féminin est vu comme une menace pour l’ordre patriarcal. Leur sexualité est d’ailleurs souvent décrite par les inquisiteurs comme débridée et insatiable, réactualisant l’image de la femme séductrice et pécheresse, qui rendrait les êtres infertiles. Si les sorciers existent également, ils restent une minorité dans la persécution qui va avoir lieu durant plusieurs siècles.
Une figure hérétique
Les humanistes et les Lumières ont nourri le fantasme d’une époque médiévale obscure, nauséabonde et ignorante. Ce n’est donc pas une surprise si l’imaginaire collectif situe la condamnation des sorcières au Moyen Âge, comme si l’arrivée d’une Renaissance lumineuse avait chassé tout acte barbare. Il n’en est pourtant rien. En réalité, la persécution et le génocide des sorcières par les inquisiteurs a eu lieu durant plus de 200 ans en France, dès la fin du XIVe siècle jusqu’au XVII siècle.
C’est notamment avec l’invention de l’imprimerie que les théologiens ont pu faire circuler toute un discours moral condamnant les prétendues pratiques de sorcellerie. Selon certains historiens, l’église construit une image fantasmée de la sorcière, représentée comme une vieille femme impure, vicieuse et coupable d’infanticide. Elles sont jugées comme une menace qui pourrait renverser l’ordre social : les textes nourrissent une croyance effrayante autour de ces femmes qui manipuleraient les hommes et voleraient les nourrissons. Certains membres du clergé, comme le pape Alexandre V, vont jusqu’à soupçonner un complot contre la chrétienté sous l’influence de Satan. La sorcière est donc tenue pour responsable de toutes les malédictions, qu’il s’agisse des épidémies, des mauvaises récoltes et des famines.
Les procès au Parlement de Paris
La « chasse aux sorcières » trouve ses origines dans les campagnes françaises du Moyen Âge. Au départ, les condamnations sont non-officielles, et ressemblent davantage à une vengeance collective faisant suite à un malheur : une maladie ou un accident peut mener à un excès de violence de la part des riverains. Une personne marginale est alors prise pour cible, jugée maléfique et rendue responsable. Elle est ensuite tuée par lynchage, noyade ou pendaison.
De premiers procès judiciaires s’ouvrent en France au XIVe siècle. L’une des premières condamnations pour sorcellerie a lieu le 29 octobre 1390 au Parlement de Paris – qui demeure la plus grande cour de justice d’Europe jusqu’à la Révolution. Elle concerne une jeune paysanne de Seine-et-Marne, du nom de Jeanne de Brigue, qui est connue pour ses talents de guérisseuse et sa capacité à retrouver les objets volés. Mais l’évêque de la paroisse la tient responsable de la maladie d’un homme, et la dénonce. Cette femme influente est alors condamnée pour sorcellerie, et brûlée vive le 19 août 1391 dans la capitale.
À partir de cette date, ces jugements se font de plus en plus fréquents à Paris, jusqu’à ce qu’une véritable persécution ait lieu au XVe siècle. Des femmes – mais aussi des hommes – se voient condamnées pour empoisonnement, sortilège, ensorcellement, vénéfice, avortement, prostitution ou philtres d’amour. Jugé au Parlement de Paris en 1442, le notable toulousain Philippe Calvert est également accusé par une femme de se rendre au sabbat durant la nuit. À ce sujet, tous les témoignages sont acceptés, et les présumés coupables sont souvent poussés à l’aveu par le recours à la torture. Bien que les bannissements soient assez nombreux, la peine prévue pour la sorcellerie est souvent la mort par le feu. Si les archives restent assez imprécises sur ces jugements, on estime que près de 60 000 personnes ont été condamnées au bûcher pour sorcellerie entre le XIVe et le XVIIIe siècle en Europe, la majorité étant des femmes.
La fin d’une persécution
À partir de la fin du XVIIe siècle, la croyance en des sectes maléfiques commence à décroître, et le développement de la science apporte des réponses plus rationnelles aux fléaux rencontrés par la société française. Dès 1601, le Parlement de Paris interdit l’épreuve de l’eau, qui consistait à plonger l’accusé dans une eau bénite pour observer si son corps flottait, auquel cas il était coupable. Ensuite, en 1604, il est décidé que le droit d’appel est rendu obligatoire en cas de peine capitale pour les sorcières.
Finalement, c’est l’Édit de juillet 1682 qui proclame la décriminalisation de la sorcellerie et met fin à la longue persécution dans tout le pays. Cette décision fait en réalité suite à l’assassinat du roi Henri IV, poignardé par François Ravaillac : le Royaume français décide ainsi de privilégier les jugements liés à des crimes de lèse-majesté plutôt qu’à la sorcellerie. Mais si ces procès ont pris fin au XVIe siècle en France, ils continuent à être pratiqués dans plusieurs pays du monde, notamment dans le continent africain.
Romane Fraysse
À lire également : Paris sombre : la terrifiante Affaire des poisons