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Comment l’affaire Dreyfus a divisé la société française

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La fin du XIXe siècle est marquée par un procès qui va rapidement prendre une dimension politique. Le capitaine Alfred Dreyfus, accusé de trahison envers l’état-major, est emprisonné en 1894, malgré l’absence de preuve. Plusieurs intellectuels – Émile Zola en tête – s’emparent alors de cette affaire judiciaire pour dénoncer des manipulations politiques et défendre le capitaine, conduisant à une profonde division de la société française.

Une république instable

Nous sommes à la fin du XIXe siècle, dans une France où la IIIe République est fragilisée par plusieurs crises, comme le boulangisme ou le scandale de Panama. Lors des élections législatives de 1893, les républicains modérés récupèrent près de la moitié des sièges, la droite conservatrice chancèle, tandis que les radicaux connaissent une légère baisse face à la concurrence des socialistes. Cette nouvelle répartition des partis mène à une politique centraliste quelque peu instable, qui se préoccupe majoritairement de défendre l’économie nationale, au détriment de la question sociale. C’est finalement sous le gouvernement républicain de Jules Méline que l’affaire Dreyfus éclate.

Affaire Dreyfus
Portrait colorisé du capitaine Alfred Dreyfus, vers 1894

Cette tendance centraliste, qui défend un protectionnisme tout en orchestrant une alliance avec la Russie, conduit à une montée des nationalismes extrêmes dans le pays. Une rupture qui se constate au sein même de l’armée, qui admire le drapeau, mais méprise les symboles républicains. En tension face à l’Allemagne, celle-ci prépare d’ailleurs un futur conflit en menant une course aux armements et un contre-espionnage militaire. La méfiance vis-à-vis de l’ennemi se renforce, et va de pair avec un antisémitisme de plus en plus virulent, encouragé par une partie de la presse et des milieux catholiques.

L’origine de l’affaire

Tout commence en 1894, lorsque le Service de Renseignement militaire reçoit une lettre, que l’on surnommera ensuite « le bordereau », indiquant que plusieurs documents militaires confidentiels devaient être transmis au gouvernement allemand. Déchirée en plusieurs morceaux, celle-ci était à l’origine destinée à l’ambassade d’Allemagne, et a été ramenée par la femme de ménage, Madame Bastian – en réalité membre des services d’espionnage – qui l’aurait trouvé dans une poubelle de l’établissement.

Affaire Dreyfus
La une du Petit Journal, le dimanche 23 décembre 1894

Étant donné que les documents transmis concernaient l’artillerie et provenaient de plusieurs bureaux différents, on suppose que le plus à même de récolter tous ces éléments serait un artilleur stagiaire. Le coupable est alors désigné sans véritablement de preuve : il s’agit du capitaine Alfred Dreyfus, de confession israélite et d’origine alsacienne – sachant qu’à cette époque, l’Alsace était revenue aux mains des Allemands. Ces deux caractéristiques en font déjà un parfait ennemi des plus fervents défenseurs de la nation.

Affaire Dreyfus
Alfred Dreyfus lors de son bagne sur l’île du Diable

Après une rapide enquête, Alfred Dreyfus est donc désigné comme « l’auteur probable » du bordereau pour l’état-major. Celui-ci est alors convoqué le 15 octobre 1894 : en l’absence de preuves, et sans aucun aveu de sa part, le capitaine est malgré tout incarcéré à la prison du Cherche-Midi à Paris, condamné au bagne à perpétuité, et déporté sur l’île du Diable pour trahison.

La voix des dreyfusards

Impuissante face à cette déportation, la famille du capitaine Dreyfus est certaine de son innocence, et tente de la prouver avec le soutien du journaliste Bernard Lazare. C’est d’ailleurs en mars 1896 que le colonel Georges Picquart, chef du contre-espionnage, découvre le véritable traître dans cette affaire : le commandant Ferdinand Walsin Esterhazy. Une annonce qui ne sera pas entendue par l’état-major, qui préfèrera affecter Picquart en Afrique du Nord.

Affaire Dreyfus
Portrait du commandant Ferdinand Walsin Esterhazy

De son côté, la famille entre en contact avec le vice-président du Sénat Auguste Scheurer-Kestner, qui est convaincu de l’innocence d’Alfred Dreyfus, et en persuade aussi George Clemenceau. Mathieu Dreyfus, le frère du capitaine, porte alors plainte auprès du ministère de la Guerre contre Ferdinand Walsin Esterhazy. L’opinion publique commence alors à être divisée, encouragée par les titres de la presse. L’affaire prend alors une dimension politique en janvier 1898, lorsque Esterhazy est acquitté sous les acclamations des conservateurs et des nationalistes, tandis que de nombreux intellectuels prennent la défense de Dreyfus.

Affaire Dreyfus
Le procès de Rennes

Un nouveau conseil de guerre a alors lieu à Rennes en 1899 : le capitaine est condamné une nouvelle fois à 10 ans de détention. Puis, face aux réactions vives dans le pays, le gouvernement d’Émile Loubet préfère finalement gracier Dreyfus, le 19 septembre 1899. Mais c’est seulement en 1906 que son innocence est officiellement établie par la Cour de cassation, et que le capitaine est enfin réhabilité dans l’armée.

Une affaire politique

Mais l’affaire Dreyfus est surtout retenue pour sa portée politique, et la profonde division qu’elle a instaurée dans le pays. Lorsqu’Émile Zola publie sa célèbre lettre ouverte « J’Accuse… ! » dans L’Aurore au président Félix Faure en 1898, l’affaire prend une place considérable dans le débat public. Par sa plume, l’écrivain met en lumière les manipulations politiques et militaires qui ont provoqué cette injustice, et se voit soutenu par George Clemenceau, Jean Jaurès et la gauche républicaine. L’opinion se radicalise alors, et s’affronte rapidement entre deux camps : les dreyfusards et les anti-dreyfusards.

Affaire Dreyfus
La lettre ouverte J’Accuse… ! d’Émile Zola, le

Plusieurs pétitions pour la révision du procès d’Alfred Dreyfus rassemblent alors de nombreux intellectuels engagés dans les journaux, dont une au lendemain de l’article de Zola dans L’Aurore, qui compte Anatole France, Octave Mirbeau ou Claude Monet.

Affaire Dreyfus
Henry de Groux, Zola aux outrages, 1898

Une partie de la presse s’impose alors comme un contre-pouvoir sans précédent, bien que 90 % des titres soient en réalité des anti-dreyfusards.

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Portrait d’Alfred Dreyfus dans les années 1930

Malgré la montée des dreyfusards, Émile Zola est condamné à un an de prison et 3 000 francs d’amende pour ses attaques contre l’état-major. Pour échapper à la prison, l’écrivain s’exile alors en Angleterre dès le 18 juillet 1898, et ne revient seulement qu’à l’annonce de la libération de Dreyfus.

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