Au bout du pont des Arts, nous connaissons tous ce beau monument triomphant avec sa chapelle classique. Mais sans le savoir, c’est au sein de l’Institut de France que se trouve la plus ancienne bibliothèque publique du pays. La bibliothèque Mazarine, on la doit à un certain Jules Mazarin qui décide, dès 1643, de constituer une collection inédite de manuscrits en plein cœur de Paris.
Les prémisses d’une collection historique
D’abord au service de la Papauté, puis des rois Louis XIII et Louis XIV, Jules Mazarin finit par succéder à Richelieu en tant que premier ministre de France dès 1643. C’est à cette même époque qu’il décide de se constituer une grande bibliothèque dans son hôtel particulier parisien, en plus de celle installée à Rome qui comprenait déjà plusieurs milliers d’ouvrages. Situé dans la rue de Richelieu, son étage est entièrement dédié à cette nouvelle entreprise, celle de rassembler la bibliothèque française la plus volumineuse. Ainsi, les architectes Pierre Le Muet et Maurizio Valperga se mettent à l’œuvre pour constituer un espace moderne inspiré de la bibliothèque romaine des Barberini. Selon la même organisation, ils conçoivent une grande pièce ornée de boiseries afin d’accueillir des rayonnages sur toute la hauteur. Pour faciliter la lecture, celle-ci est dotée d’une splendide galerie éclairée par huit grandes fenêtres et composée de plusieurs tablettes destinées aux grands formats. Sur l’ensemble du décor, on peut ainsi lire le chiffre et les armes du cardinal.
Pour former la collection, Mazarin fait alors appel au médecin du roi Gabriel Naudé, qui venait de publier Advis pour dresser une bibliothèque, le premier traité moderne à ce sujet. Celui-ci commence par faire plusieurs achats en France, en Flandres, en Italie, en Allemagne, en Angleterre et en Hollande. En parallèle, il acquiert aussi quelques collections comme celle de Brienne, de Rollan ou de Jean Tileman Stella. Dès son ouverture, le cardinal désire en faire un lieu public, rendez-vous incontournable pour tous les érudits de la capitale. Ainsi, en cinq ans, la bibliothèque de Mazarin compte plus de 40 000 ouvrages, devenant la plus importante collection rassemblée jusqu’alors en Europe.
En parallèle, le cardinal Mazarin est aussi un collectionneur d’art passionné, étant l’un des premiers à s’enticher pour les chinoiseries importées par la Hollande. Installé dans l’hôtel de Chevry-Tubeuf, près du Palais Royal, il y rassemble ses nombreuses œuvres et contribue, en cela, à influencer les goûts du futur Louis XIV.
Période noire sous la Fronde
Mais dès 1648, alors que Louis XIV est encore mineur, la France connaît de forts bouleversements. Une période de révoltes se déclenche en réaction au pouvoir autoritaire exercé par les précédents rois. Ainsi, dans une période de régence qui affaiblit la royauté, le pays va faire face à de nombreux soulèvements, tant de la part des artistocrates que des milieux populaires. Ce mouvement que l’on nomme la Fronde persiste durant quelques années, et prend notamment pour cible le premier ministre Mazarin. Jugé trop puissant par bon nombre de ses contemporains, celui-ci fait face à de nombreux complots et attaques, dont la publication de plusieurs pamphlets que l’on nomme les « mazarinades ». En 1651, après plusieurs menaces de mort, le cardinal est alors contraint de s’exiler.
Mais face à cette période de troubles, la bibliothèque est plus que jamais menacée. Après la fuite de Mazarin, tous les biens de son palais sont saisis par ses opposants, et sa collection d’ouvrages dispersée en vente publique. Son fidèle compagnon Naudé parvient malgré tout à sauver une petite partie des ouvrages en les soustrayant avant la vente ou en usant de prête-noms. Celui-ci avait ainsi pour projet de reconstituer cette incroyable bibliothèque, mais par ironie du sort, la mort le fauche au retour triomphal du cardinal à Paris, en 1653. Ce dernier demande alors à son ancien assistant François de la Poterie de récupérer les ouvrages sauvés par Naudé, racheter sa collection personnelle et rouvrir une nouvelle bibliothèque. Huit ans plus tard, c’est un véritable succès : la seconde bibliothèque rayonne autant que la disparue.
De la bibliothèque au mausolée
Après les agitations de la Fronde, Mazarin veut d’autant plus assoir son pouvoir. Sur les pas de Richelieu, il désire associer son souvenir à un lieu prestigieux de la capitale. Si son prédécesseur a choisi de placer son tombeau dans la chapelle de la Sorbonne, le cardinal va plus loin en décidant de fonder un monument en son honneur. Dans son testament, celui-ci commande ainsi la création d’un collège destiné à accueillir une soixantaine de boursiers nobles issus de quatre provinces françaises : le Collège des Quatre-Nations. Ce nouvel endroit est aussi l’occasion de conserver durablement l’ensemble de sa bibliothèque, à l’abri de tout menace extérieure. Mais le cardinal insiste tout de même pour qu’elle reste toujours ouverte au public.
Après sa disparition, le 9 mars 1661, son souhait est donc exaucé. L’architecte du roi Louis Le Vau se lance dans le projet de construction du Collège, qu’il décide d’implanter en face du Louvre. Dans un style mêlant baroque italien et classicisme français, le monument est constitué d’une grande chapelle abritant l’école et le cénotaphe du cardinal. C’est dans l’aile gauche qu’est abritée la bibliothèque, formée de deux galeries disposées en angle droit. Le somptueux décor qui était présent dans le palais est ici réinstallé avec ses colonnes, tablettes, chapiteaux et boiseries.
Ainsi, en 1689, la bibliothèque rouvre ses portes et continue d’enrichir ses collections, jusqu’à compter plus de 60 000 ouvrages à la fin du XVIIIe siècle. Elle reste même en activité durant la Révolution française et ne souffre d’aucun dédommagement du fait de son caractère public. Etant une académie royale, le Collège est quant à lui supprimé, et deviendra dès 1805 l’Institut de France que l’on connaît encore aujourd’hui.
Une exception française
Aujourd’hui, la bibliothèque Mazarine demeure la plus ancienne bibliothèque publique de France. Dans la grande salle de lecture, on peut encore contempler le décor du XVIIe siècle comme si l’on remontait le temps. Composée de 600 000 volumes, ce lieu historique accueille toujours des érudits de tous les domaines, bien qu’il se spécialise davantage dans les ouvrages d’histoire médiévale et moderne.
Si la collection de manuscrits de Mazarin se trouve désormais à la BnF, la bibliothèque compte plus de 4 600 manuscrits, 2 370 incunables, dont un exemplaire de la bible de Gutenberg. Ironie du sort : elle est aussi celle détenant la plus importante collection au monde de mazarinades – nul doute que Mazarin s’est retourné plus d’une fois dans sa tombe.
A côté de cela, la bibliothèque Mazarine abrite aussi un musée du livre et un centre de recherche sur le patrimoine écrit. Elle organise d’ailleurs des visites guidées gratuites : l’occasion de découvrir le lieu sous la conduite d’un conservateur, à travers ses collections, son architecture et son décor exceptionnels.
Romane Fraysse
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