Parmi les grands illustrateurs de la Belle Époque, on compte Leonetto Cappiello devenu célèbre avec ses affiches publicitaires aux cernes fins et aux aplats colorés. Mais jusqu’au 22 septembre 2024, le musée d’art et d’histoire Louis-Senlecq se concentre sur son Å“uvre caricaturée, publiée dans la presse de 1898 à 1905. Malgré un parcours assez monotone, on découvre un ensemble de dessins préparatoires inédits, d’imprimés, d’affiches et de sculptures qui croquent les étonnants caractères des vedettes du théâtre et du music-hall.
Un dessinateur en vogue
Si l’on devait citer un affichiste parisien de la Belle Époque, on songerait immédiatement à Alfons Mucha ou Henri de Toulouse-Lautrec. Mais parmi eux, il existait aussi Leonetto Cappiello. Bien que le nom soit moins célèbre, l’œuvre fait en réalité partie de la mémoire collective : on reconnaît l’affiche d’une femme à la robe colorée pour Cachou Lajaunie, ou encore celle d’un homme entouré par les pelures d’une orange pour Campari.
Né en 1875 dans la ville italienne de Livourne, Cappiello s’est installé à Paris à l’âge de 23 ans, et commence à se faire un nom en tant que caricaturiste de l’intelligentsia, en particulier celle issue du monde du spectacle alors très en vogue. Celui-ci publie dans de nombreux journaux à succès, et fait même éditer ses dessins en albums, avant de se consacrer définitivement à l’affiche illustrée, ce dont se souviendra surtout la postérité. Si le musée d’art et d’histoire Louis-Senlecq ouvre son exposition sur trois affiches d’actrices de l’époque, il a toutefois privilégié l’œuvre caricaturale de l’artiste à travers son parcours.
Le beau monde du théâtre
Contrairement à d’autres caricaturistes de l’époque qui s’attardent sur les mœurs parisiennes – à la manière d’un Charles Léandre ou d’un Camara –, Leonetto Cappiello s’intéresse plus particulièrement aux artistes de la scène théâtrale et du music-hall. Tout juste arrivé à Paris, l’artiste commence à côtoyer les salles de spectacle, et publie en 1898 un portrait de la comédienne Réjane en couverture du journal satirique Le Rire.
D’emblée, le style de Cappiello est reconnaissable : si les aplats de couleurs et le cerne noir sont déjà utilisés par Toulouse-Lautrec, l’artiste d’origine italienne se différencie dans sa représentation de la figure humaine. Au début de l’exposition, plusieurs dessins de Réjane dévoilent un visage blanc, lisse, presque figé, dont les yeux sont réduits à de simples traits. Cette touche propre à l’ensemble de ses portraits rend son style facilement identifiable, et s’ancre parfaitement dans son époque : à l’heure du japonisme, on peut y voir l’influence des masques du théâtre nô.
Avec son album Nos Actrices, Cappiello s’attaque ainsi à toutes les grandes comédiennes de l’époque (Sarah Bernhardt, Marthe Brandès, Andrée Mégard, Marthe Mellot…), mais aussi aux hommes de lettres comme Georges Feydeau, Maurice Donnay ou Edmond Rostand. L’exposition présente alors plusieurs salles consacrées à ces personnalités, au risque de répéter les thématiques et de manquer de clarté quant à l’évolution du parcours.
À la une de la presse
L’exposition s’intéresse particulièrement à huit années de création, entre 1898 à 1905, lorsque les caricatures de Cappiello sont publiées dans la presse. On découvre donc un ensemble de dessins préparatoires, avant l’impression, qui font percevoir des traits plus ou moins maîtrisés. Certaines figures sont parfois esquissées de manière assez maladroite, avec plusieurs reprises. On découvre notamment des représentations d’actrices dans leurs costumes pour la rubrique des théâtres du Figaro : Cappiello les a croquées en se rendant dans les salles, avant de retravailler le dessin dans son atelier pour épurer les silhouettes.
Ces quelques années dans la presse ont fait du dessinateur une figure indissociable du théâtre. Véritable mondain, Cappiello fréquente les loges et les coulisses, ainsi que les soirées mondaines entre gens de théâtre. Proche de certaines actrices, il est convoité par certaines pour réaliser leur portrait : cela leur assure une visibilité dans la presse. Le caricaturiste n’a d’ailleurs jamais eu pour objectif de railler ces personnalités, mais s’adonne davantage à cet exercice pour faire ressortir leur caractère particulier.
Saisir le caractère
Le 15 avril 1903, dans La Revue illustrée, le journaliste Adolphe Brisson écrit : « Il y a, dans tout être, quel qu’il soit, deux ou trois traits saillants et qui le résument. Le talent de Cappiello consiste à les isoler, à les mettre en valeur, comme un lapidaire extrait le diamant de sa gangue et le taille à facettes. […] [Il] arrive à nous donner une image synthétique de l’original, où rien d’essentiel n’est omis, où rien d’inutile ne subsiste… ».
C’est cette image synthétique de plusieurs personnalités que présente l’exposition. On découvre par exemple la vedette du music-hall Yvette Guilbert en illustration, en affiche et en sculpture caricaturale. La « diseuse fin de siècle » est alors immédiatement identifiable par une même posture qui se décline dans chaque œuvre : on la découvre le buste courbé, les longs gants noirs, et le sourire gouailleur.
Avec la chanteuse Polaire et la comique Louise Balthy, elle compte parmi ses modèles de prédilection dans le milieu du spectacle. Ainsi, ces femmes aux fortes personnalités lui permettent de s’adonner au propre de son art : saisir un caractère.
Romane Fraysse
Cappiello, caricaturiste
Le musée d’art et d’histoire Louis-Senlecq
31 Grande Rue, 95290 L’Isle-Adam
Jusqu’au 22 septembre 2024
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Image à la une : Leonetto Cappiello. Mme Sarah Bernhardt, 1903. Publié en couverture du Théâtre, n°104, avril 1903. Atelier Cappiello