Quelques photographies anciennes dévoilent parfois un panorama de la capitale, survolée par un étrange ballon en forme de cigare. Peu de chance désormais d’y voir voler l’un de ces engins du début du XXe siècle, dont le ballon gonflé à l’hydrogène peut être manœuvré, ce qui lui vaudra le nom de « ballon dirigeable ». Caractéristique d’une époque désireuse de conquérir les airs, ce nouveau moyen de transport a fasciné ses contemporains, tant par ses prouesses techniques que pour ses accidents spectaculaires.
Voler et diriger
Si le désir de voler est né dans tous les esprits, les premiers dirigeables ont vu le jour en France, tout comme les montgolfières inventées en 1783. C’est l’année suivante qu’un officier dénommé Meusnier image un engin similaire qu’il pourra cette fois-ci piloter, ce qui explique son nom de « dirigeable ». Celui-ci est alors doté d’hélices, d’un gouvernail et d’une longue enveloppe similaire à ceux qui se développeront ensuite. Néanmoins, son invention restera à l’état de projet, illustré par de nombreux dessins.
Quelques décennies plus tard, de l’autre côté de la Manche, c’est l’Anglais Sir George Cayley qui envisage des dirigeables rigides propulsés grâce à de la vapeur. Mais là aussi, aucune construction n’est engagée. Deux Français reprennent alors le flambeau : dans les années 1850, l’horloger Pierre Jullien parvient à faire voler deux petits modèles sur la piste de l’hippodrome de Paris grâce au mécanisme de l’horlogerie. Puis, en 1852, un certain Henri Griffard construit le premier aérostat Griffard qui fonctionne avec un moteur à vapeur et une hélice.
C’est finalement le 24 septembre 1852 qu’une démonstration de ce dirigeable fera passer son inventeur dans la postérité. Long de 44 mètres, celui-ci parvient à voler sur 27 kilomètres entre l’hippodrome de Paris et Elancourt, avec une vitesse de 10 kilomètres par heure. Une foule est alors attroupée pour contempler cette machine révolutionnaire pouvant effectuer « diverses manœuvres de mouvement circulaire et de déviation latérale », mais restant difficile à piloter lors de rafales. Griffard reste néanmoins un précurseur de son époque, puisqu’il faut ensuite attendre 1884 pour voir un nouveau dirigeable flotter dans les airs.
La création du Hangar Y
Après le vol historique de l’aérostat Griffard, un premier hangar à dirigeables est construit par l’architecte Henri de Dion, maître du célèbre Gustave Eiffel, lors de l’Exposition universelle de Paris en 1878. Réaménagé l’année suivante sur le domaine du château royal de Meudon, l’établissement aérostatique de Chalais Meudon est ensuite renommé Hangar Y en référence à la lettre de la parcelle militaire qui l’accueille.
Avec ses 70 mètres de long et ses 23 mètres de haut, il est l’un des plus grands hangars à dirigeables construits dans le monde. Conçu avec une nef centrale et une large verrière, le lieu offre un espace ouvert et lumineux permettant de construire des dirigeables de grandes dimensions.
Ainsi, c’est dans ce lieu emblématique qu’un dirigeable a volé pour la première fois en circuit fermé. Conçu par les inventeurs Charles Renard et Arthur Krebs à partir d’énergie décarbonée, cet aérostat militaire baptisé La France a pris son envol en août 1884 grâce à une hélice à propulsion électrique de 9 chevaux. En restant sous le contrôle total de ses pilotes, il parvient à se propulser à 24 kilomètres par heure, ouvrant ainsi la voie à de nouveaux moyens de locomotion. Quelques années plus tard, en 1899, l’Allemagne accueillera un autre hangar pour abriter le premier dirigeable Zeppelin, dont la légèreté et la rapidité seront révolutionnaires.
La conquête des airs
C’est le 2 juillet 1900 qu’a lieu le vol inaugural du LZ-1 de Ferdinand von Zeppelin en Allemagne, le premier dirigeable rigide Zeppelin propulsé par 2 moteurs à explosion. Mais c’est aussi à cette époque que de fortes tensions politiques existent avec la France. Face à la menace d’une nouvelle guerre, des moyens sont développés au sein des deux nations pour moderniser leurs engins militaires. En 1902, l’ingénieur Leornardo Torres Quevedo présente un nouveau modèle de dirigeable plus rapide et performant à l’Académie des sciences de Paris, nommé l’Astra-Torres no1. Près de dix ans plus tard, il collabore avec l’ingénieur en aéronautique Édouard Surcouf pour lui donner vie dans les ateliers d’Issy-les-Moulineaux.
Avec la Première Guerre mondiale, l’effort se poursuit avec la construction de dirigeables de plus en plus importants pour bombarder les villes ennemies, certains engins allemands dépassant les 200 mètres de longueur. À la fin du conflit, le Hangar Y sera d’ailleurs transformé en premier musée de l’Air et de l’Espace afin de célébrer la victoire de la France à travers ses progrès dans l’aéronautique. Si ces avancées militaires servent le prestige national, les dirigeables deviennent surtout un nouveau moyen de transport de taille spectaculaire, permettant d’effectuer des voyages au long cours. En nourrissant l’imaginaire des contemporains, la presse parle de « paquebot volant » ou de « vaisseau du ciel » pour évoquer les croisières luxueuses effectuées par des personnalités dans ces nouveaux engins de taille spectaculaire. Le plus grand dirigeable restera d’ailleurs le LZ 127 Graf Zeppelin, qui mesurera plus de 236 mètres de long !
Un ballon qui part en fumée
Si les dirigeables suscitent l’enthousiasme, ils connaissent aussi de nombreuses catastrophes dès le début du XXe siècle. L’un des premiers accidents médiatisés a ainsi lieu à Paris, dans le 14e arrondissement, en 1902. Il s’agit d’une nouvelle expérience de l’aéronaute brésilien Alberto Santos-Dumont, qui avait auparavant connu la gloire après avoir rejoint la tour Eiffel et Saint-Cloud en seulement 30 minutes avec son dirigeable no 6.
Cette fois, l’inventeur décide de concevoir un nouvel engin baptisé PAX qu’il fait construire en moins de deux semaines dans les ateliers Lachambre du quartier de Vaugirard. Gonflé à l’hydrogène et mû par des moteurs à pétrole, le dirigeable est prêt à voler au mois de mai, mais son départ est retardé en raison des mauvaises conditions météorologiques. C’est finalement le 12 mai que le PAX s’élance dans les airs. Hélas, le ballon prend rapidement feu et s’écrase brutalement sur l’avenue du Maine, causant la mort d’Alberto Santos-Dumont et de son mécanicien Georges Saché.
D’autres accidents plus spectaculaires auront également lieu au cours des décennies suivantes, principalement dus au dihydrogène particulièrement inflammable qui est utilisé dans les dirigeables. On retient surtout l’incendie du LZ 127 Graf Zeppelin lors de son atterrissage dans le New Jersey, qui reste un événement particulièrement médiatisé et signe la fin du transport transatlantique par dirigeable. Ces engins seront d’ailleurs peu à peu abandonnés au profit de l’aviation, qui se développe considérablement durant les années 1950 et permet de faire des trajets sur de grandes distances en des temps records.
Romane Fraysse
À lire également : Bientôt des trajets en avion électrique ?
Image à la une : Le dirigeable “Ville de Paris”, carte postale du début du XXe siècle