Nous sommes en janvier 1910, Paris et ses trois millions d’habitants rayonnent sur la scène internationale depuis l’exposition universelle de 1900 qui a propulsé la capitale française en tête de l’Europe. Ses habitants sont alors loin d’imaginer qu’ils vont vivre une des catastrophes naturelles majeures du XXe siècle.
Le zouave, bientôt noyé
Paris représente à l’époque le plus grand port de France, aussi important que ceux de Marseille ou du Havre. L’électrification suit son cours, le métro se développe, les véhicules à moteur fleurissent. La ville, en pleine mutation depuis la fin du Second Empire, a connu une grande crue de la Seine en 1876. La population ne s’inquiète donc pas que cela se reproduise, ce serait trop tôt. Pourtant, Paris a connu un hiver pluvieux et froid, les sols sont gelés ce qui signifie qu’au lieu de pénétrer dans la terre, l’eau ruisselle.
Le pont de l’Alma. Vue prise vers le nord en janvier 1910 © Albert Chevojon / BHVP / Roger-Viollet
La pluie persiste et le zouave a déjà les pieds dans l’eau, nous sommes le 20 janvier. Cette statue de Georges Diebolt, située sous le pont de l’Alma, représente un des soldats de la guerre de Crimée. Depuis son installation en 1856, il fait office de repère de la montée des eaux de la Seine. Les pieds du zouave ensevelis, c’est concrètement 3,80 mètres de hauteur d’eau au-dessus de la normale, ce qui est déjà très préoccupant. L’interdiction de la circulation des bateaux-mouches et des péniches est déjà en vigueur, la banlieue Est parisienne compte des villes inondées, mais personne à Paris ne semble prendre la mesure de ce qu’il risque de se passer.
2,95 mètres en quatre jours et une organisation qui se met en place
Les genoux du zouave sont à leur tour mouillés le 21 janvier à 17h : les 5 mètres de hauteur d’eau ont été atteints. Les berges du 12e arrondissement sont inondées, les barriques de vins de l’entrepôt de Bercy sont également sous l’eau et la pluie continue. Le 22 janvier, le gouvernement décide d’agir en envoyant l’armée pour installer des planches de bois au niveau des habitations les plus proches de la Seine. Les chevaux remplacent les automobiles, l’électricité saute par à-coups, des tourbillons de boue s’enfilent dans les rues, la sensation de revenir loin en arrière gagne la population qui prend conscience du désastre qui s’annonce.
Dans la banlieue proche de Paris, on compte déjà sept morts. Les tramways et métros sont suspendus, les gares d’Orsay et Austerlitz ferment leurs portes, le téléphone cesse de fonctionner et les habitants s’organisent. Les problèmes de ravitaillement sèment la panique et les provisions se font dans la cohue. Les habitants de rez-de-chaussée s’installent chez leurs voisins du 1er étage. Nous sommes le 24 janvier, la Seine enregistre un niveau d’eau à 6,75 mètres.
Le boulevard Saint Germain en 1910 © BHVP / Roger-Viollet
Inondation de la Gare Saint-Lazare en 1910 © Agence Rol / Bibliothèque nationale de France
Un « désastre social » titre l’Humanité
Le mois de janvier, qui suit un hiver particulièrement froid, voit ses sans-abri à bout de souffle devant les inondations. Mais surtout, le risque d’épidémies augmente : les ordures sont déversées par-dessus les ponts, les égouts coulent dans la Seine également. On estime qu’au total, ce sont 1 300 tonnes de déchets qui auront été noyées dans le fleuve. L’eau polluée et les rats qui quittent leurs caves inondées aggravent une situation sanitaire déjà détériorée par de nombreux cas de scarlatine et de typhoïde. Les journaux appellent d’ailleurs à la solidarité, des barques taxis se mettent en place, et même des boulangeries qui décident de livrer le pain en bateau. Comme un air vénitien…
Le 28 janvier 1910, les épaules du zouave sont à leur tour ensevelies et Paris enregistre un record : 8,62 mètres. Dès le lendemain, la pluie cesse et la Seine baisse enfin, mais le bilan est catastrophique. 40 kilomètres de rues inondées, 12 arrondissements touchés, 20 0000 immeubles concernés. La plupart des monuments sont également sous l’eau dont le Palais de justice qui voit ses archives disparaître. On estime que les dégâts auront coûté plus de 400 millions de francs-or soit l’équivalent de 1,6 milliard d’euros. Les travaux de consolidation et de rénovation des immeubles sont colossaux et l’événement restera très longtemps au cœur des discussions : pour exemple, c’est cet événement qui domine le marché des cartes postales en France jusqu’en 1913.
Inondations de Paris – station Carrefour de l’Odéon en 1910 © Musée Carnavalet / Roger-Viollet
Crue de la Seine. Paris, avenue Ledru-Rollin, janvier 1910. ©Nerudein / Roger-Viollet