Construite sous Louis XIV pour accueillir des bâtiments publics, la place Vendôme devient dès 1699 un vaste projet spéculatif avec la construction de ses fameux hôtels particuliers. Véritable symbole monarchique, sa colonne surmontée d’une statue a mainte fois été renversée par des émeutiers, avant de reprendre une figure impériale. Désormais célébrée comme l’écrin du luxe et de l’art contemporain, cette place du 1er arrondissement continue de refléter les tendances politiques de son époque.
Les spéculations d’une place royale
Un certain César de Vendôme résidait dans un vaste hôtel particulier, situé rue Saint-Honoré, qui fut démoli en 1685 pour aménager la place que nous connaissons. En effet, c’est sous Louis XIV que l’idée de créer une quatrième place royale à Paris commence à germer. Le marquis de Louvois, l’un des principaux ministres du roi, rachète alors l’hôtel pour lancer le projet. Les architectes Jules Hardouin-Mansart et Germain Boffrand proposent d’y construire une vaste place rectangulaire, entièrement ouverte sur la rue Saint-Honoré, qui serait entourée de bâtiments publics, avec la bibliothèque royale, l’hôtel de la Monnaie ou l’hôtel des Académies.
Mais ce projet est finalement abandonné pour servir un nouveau plan politique au service des spéculations : le lieu est alors racheté par la Ville de Paris pour bâtir dès 1699 une suite d’hôtels particuliers uniformes, dotés de refends et des pilastres corinthiens. Avec d’autres architectes, Jules Hardouin-Mansart reprend ainsi le Grand Style en vogue sous Louis XIV. Le couvent des Capucines, qui se trouve à proximité, est également reconstruit au nord de la place et mis en valeur avec une arcade monumentale et une voie traversant la place jusqu’au sud. Pour célébrer le roi, une statue équestre en bronze de Louis XIV est commandée à François Girardon et érigée au centre de ce nouvel espace. Celui-ci prend d’ailleurs le nom de « place Louis-le-Grand » jusqu’à la Révolution française.
Une statue sous le feu des insurgés
Véritable symbole du pouvoir monarchique, la place Louis-le-Grand est prise pour cible par les républicains durant la Révolution française. Le 10 août 1792, la statue du roi Louis XIV est renversée par les émeutiers, et la place prend provisoirement le nom de « place des Piques », avant de devenir définitivement la place Vendôme en 1799.
La statue n’a, quant à elle, pas fini d’être bousculée par les instabilités politiques du siècle. Sous le Premier Empire, une colonne est érigée au centre de la place par les architectes Jacques Gondouin et Jean-Baptiste Lepère. Inspirée de la colonne Trajane de Rome, celle-ci a été coulée dans le bronze provenant de la fonte des canons confisqués à l’ennemi à Austerlitz. Sur sa spirale, on peut admirer les exploits de l’armée impériale, tandis que le sommet est surmonté d’une statue de Napoléon Ier, représenté sous les traits impériaux de César par Antoine-Denis Chaudet.
Mais cette statue est de nouveau détruite par Casimir Perier sous la monarchie de Juillet pour être remplacée par une autre réalisée par Charles Seurre, représentant Bonaparte en petit Caporal vêtu d’une redingote et d’un chapeau. Sa gloire ne sera pas longue non plus, puisque durant le siège de Paris de 1871, les communards abattent la colonne impériale et rebaptise le lieu en « place Internationale ». Une copie de l’effigie de 1799 réalisée par Auguste Dumont est alors rétablie en 1864 et n’a plus quitté son socle.
Le luxe à la parisienne
Bien sûr, lorsque l’on fait mention de la place Vendôme, tout le monde a en tête le défilé de bijoutiers et de joailliers qui y résident. Dès la fin du XIXe siècle, le lieu devient un symbole du luxe. À l’origine, les maisons de mode ont investi la rue de la Paix, et se sont étendues sur la grande place aux hôtels particuliers. L’arrivée de la maison Mellerio, puis du couturier Charles Frederick Worth en 1858, attire de nombreux stylistes et parfumeurs, qui en font leur quartier attitré.
Frédéric Boucheron est alors le premier bijoutier à s’installer sur la place, en 1893, afin de rester à proximité du tout nouvel opéra Garnier. Installé dans l’hôtel de Nocé, il est rapidement suivi par d’autres joailliers tels que Louis-François Cartier, Joseph Chaumet ou René Boivin, avant d’être rejoint par des horlogers comme Piaget et des maisons de mode comme Louis Vuitton. Mais la place doit aussi son image luxueuse à tout un ensemble d’hôtels, dont le célèbre Ritz. Célébrée dans le monde entier pour ses adresses commerciales et touristiques, elle reflète du même coup l’image d’une époque qui se valorise dans la consommation de produits haut de gamme.
De l’art et des richesses
Depuis 2012, la place Vendôme n’est pas seulement le lieu privilégié des bijoutiers et des hôtels luxueux : c’est aussi devenu une galerie à ciel ouvert de la FIAC. En effet, la célèbre Foire donne chaque année carte blanche à un artiste contemporain pour imaginer une œuvre qui est exposée sur la place. Après Jaume Plensa, Paul McCarthy ou Yayoi Kusama, c’est récemment Bernar Venet qui a investi le lieu avec ses fameuses sculptures courbées en acier.
En devenant le lieu d’exposition des artistes les plus côtés de notre époque, la place Vendôme se fait aussi le nouvel espace du marché de l’art. De manière implicite, l’exposition de ces œuvres monumentales, parfois polémiques, permet de lancer de grandes campagnes de communication qui attirent un large public au cœur de cette place commerçante. Ainsi, la visée lucrative est évidente, bien qu’inavouée, et sert les tendances consuméristes de notre époque. En ce sens, elle dévoile une nouvelle fois la diversité des stratégies politiques qui se mettent en place sur ce lieu éminemment symbolique.
Romane Fraysse
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Image à la une : La place Vendôme – © Shutterstock