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Le Douanier Rousseau, un peintre exotique parmi les avant-gardes du XXe siècle

Le Douanier Rousseau, Le Rêve, 1910

Le Douanier Rousseau demeure un personnage bien mystérieux dans le paysage de l’art moderne. Son nom tout d’abord, mais aussi son œuvre gagnée par une profusion de végétation sauvage, des personnages folkloriques, une absence de perspective et une palette exubérante. Avec un style qualifié de « naïf », et une affinité pour le spiritisme, le peintre a traversé la fin du XIXe siècle en parfait solitaire, tel un rêveur éveillé.

Un douanier mystique

Le 21 mai 1844, un garçon voit le jour dans une famille de situation modeste, installée à Laval. Il s’agit d’Henri Rousseau, quatrième de la lignée, qui y passe une grande partie de sa scolarité. Désintéressé par ses cours, le jeune homme préfère dessiner et reçoit même un prix au lycée. Mais face aux difficultés financières de ses parents, le choix d’une carrière artistique demeure inconcevable, et par dépit, celui-ci finit par devenir commis d’avocat à Nantes en 1860. Toutefois, Rousseau continue d’avoir des soucis d’argent, et rien ne s’arrange lorsqu’il est licencié après avoir volé 20 francs à son employeur. Pour échapper à la maison de correction, il décide de s’engager dans l’armée de 1863 à 1868, à la suite du décès de son père.

Le Douanier Rousseau dans son atelier de la rue Perrel devant le tableau "Les Joyeux Farçeurs". DR
Le Douanier Rousseau dans son atelier de la rue Perrel devant le tableau “Les Joyeux Farçeurs”. DR

Arrivé à Paris, Rousseau se marrie à une certaine Clémence Boitard, et trouve plusieurs petits métiers : d’abord clerc d’un huissier, celui-ci devient ensuite commis de deuxième classe. Cette activité lui vaudra le surnom de « Douanier Rousseau », inventé par son ami Alfred Jarry. Ayant du temps libre, le nouveau Parisien s’essaye à la peinture en autodidacte, et devient copiste au musée du Louvre. Adepte du spiritisme en vogue au XIXe siècle, Rousseau est persuadé que son pinceau est guidé par des esprits et persévère malgré le peu de succès rencontré au Salon des indépendants de 1886, étant considéré par les critiques comme un « peintre du dimanche ».

Le Douanier Rousseau, Vue du pont de Sèvres, musée Pouchkine (1908). Vue du pont de Sèvres, 1908. DR
Le Douanier Rousseau,
Vue du pont de Sèvres, musée Pouchkine (1908).
Vue du pont de Sèvres, 1908. DR

Mais Rousseau gagne en notoriété au fur et à mesure de ses participations annuelles, et gagne l’admiration de certains artistes avant-gardistes, comme André Derain, Henri Matisse ou Pablo Picasso. C’est finalement en 1909 qu’Ambroise Vollard devient son marchand : avec les ventes de ses tableaux, celui-ci achète son atelier situé au n°2 bis de la rue Perrel, où il est surnommé le « maître de Plaisance » par ses camarades, en référence à son quartier.

L’exotisme rêvé

Dans un élan mystique, le Douanier Rousseau peint avec acharnement tout au long de sa vie, et donne une bonne partie de ses toiles en échange de services. Ainsi, parmi les 250 tableaux créés au cours de son existence, une centaine n’ont jamais été retrouvés. Toutefois, l’œuvre que nous connaissons nous laisse déjà concevoir une véritable originalité plastique, reconnaissable entre mille. La première image qui nous vient à l’esprit en pensant à Rousseau est d’ailleurs celle d’une jungle exotique, thématique chère à l’artiste.

Le Douanier Rousseau, Le lion, ayant faim, se jette sur l'antilope (1898-1905). DR
Le Douanier Rousseau, Le lion, ayant faim, se jette sur l’antilope, 1898-1905. DR

Pourtant, Rousseau n’a pratiquement jamais quitté Paris, et n’a rêvé de ces paysages qu’à travers ses promenades au jardin des Plantes ou dans les illustrations des revues de botanique. Inspiré par les primitifs italiens, il représente une végétation luxuriante envahissant tout l’espace de ses toiles : entre les lotus, les acacias, les cactus et les orangers, on distingue à peine le pelage d’un fauve ou le bec d’un oiseau. Bien entendu, Rousseau ne cherche aucunement à saisir un paysage réaliste, mais nous présente plutôt une nature idéale, symbole d’un état sauvage renvoyant à nos origines communes : « Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais quand je pénètre dans ces serres et que je vois ces plantes étranges des pays exotiques, il me semble que j’entre dans un rêve ».

Le portrait-paysage

Les tableaux du Douanier Rousseau attirent l’œil pour leur paysage. Forêts exotiques ou berges de l’Oise, ceux-ci passent d’une nature sauvage à des inventions industrielles : dirigeable, usine fumante, pont métallique apparaissent à l’arrière-plan de l’un de ses autoportraits, curieusement nommé Moi-même, portrait-paysage. Mais un « portrait-paysage », qu’est-ce donc pour Rousseau ?

Le Douanier Rousseau, Moi-même, portrait-paysage, (autoportrait), 1890. DR
Le Douanier Rousseau, Moi-même, portrait-paysage, (autoportrait), 1890. DR

Avec ce titre, l’artiste suggère tout d’abord une égalité des genres picturaux, en opposition à la hiérarchie traditionnelle plaçant le portrait au-dessus du paysage. Ici, au contraire, Rousseau est représenté avec un béret et une palette, au cœur d’une scène parisienne tout aussi importante. Certes, le peintre est immense comparé aux deux autres personnages se promenant sur les berges. Cette différence de dimension nous ramène une nouvelle fois aux primitifs, représentant les personnages sacrés ou royaux en plus grands pour évoquer leur supériorité. Toutefois, le peintre ne cherche pas ici à créer de rivalité, mais s’installe au contraire dans un paysage urbain caractéristique de l’époque moderne. Si l’on y reconnait la tour Eiffel et les quais, la scène est aussi imaginaire : elle incarne ainsi toute l’ambivalence de l’artiste, entre le classicisme du peintre au béret et la modernité des constructions parisiennes, entre l’influence des primitifs et le renouvellement pictural.

L’éveil d’un style naïf

Mais alors, comment qualifier l’œuvre du Douanier Rousseau, qui demeure parfaitement exotique dans le paysage de l’art moderne ? En effet, le peintre fait autant appel à l’imagerie populaire qu’aux artistes néo-classiques de son siècle. Mais si les références s’y mélangent, le tableau garde une unité formelle : celle de l’absence de perspective, de la simplification des formes et de l’égalité entre plan et arrière-plan. Rousseau rompt donc délibérément avec la représentation classique, faisant varier les dimensions selon la symbolique des figures, et n’hésitant pas à recourir à une palette exubérante.

Le Douanier Rousseau, La Bohémienne endormie, 1897. DR
Le Douanier Rousseau, La Bohémienne endormie, 1897. DR

La singularité de l’œuvre du Douanier Rousseau pousse les critiques à user d’un nouveau vocabulaire. C’est en souhaitant évoquer ses tableaux que ceux-ci utilisent pour la première fois la dénomination d’« art naïf ». Naïf, car l’artiste ne provient d’aucune école, et que son style folklorique s’oppose en tout point à une représentation réaliste. Si le mot a pu être négatif en premier lieu, renvoyant l’artiste à sa méconnaissance de l’art pictural, celui-ci a finalement été repris pour désigner un style à part entière dans l’histoire de l’art.

Romane Fraysse

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Image à la une : Le Douanier Rousseau, Le Rêve, 1910. DR

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