Scandaleuse, mythomane, libre, manipulatrice. Tant d’adjectifs utilisés pour qualifier Fernande Grudet, dite Madame Claude, femme de poigne à la tête du plus célèbre réseau de prostitution parisien des années 60 et 70. Personnage clivant, elle est autant encensée pour la place qu’elle a prise dans un milieu d’homme, que lynchée pour ce même rôle. Rencontre avec cette mère maquerelle qui a défrayé la chronique.
Mythomanie ou story-telling ?
“Une femme incontestée dans un domaine contestable, une réussite morale dans l’immoralité, un rêve dans ce qui est souvent un cauchemar” écrivait Jacques Quoirez dans Allo, oui, ou les mémoires de Madame Claude. Née Fernande Grudet le 6 avril 1923, la future Madame Claude serait la fille d’un modeste cafetier d’Angers, mort pendant la Seconde Guerre mondiale. On sait peu de choses sur son enfance, si ce n’est qu’elle a été élevée dans des institutions religieuses. Elle donnait elle-même plusieurs versions de cette période de sa vie, s’inventant des origines bourgeoises notamment, se faisant ainsi coller l’étiquette de mythomane par la population.
Selon certaines sources, elle aurait également eu un enfant avec un maquisard mort en déportation, dont certaines de ses “filles” se souviennent encore. Elle a toutefois toujours nié toute parentalité, jusqu’aux années 1990 sur les plateaux de télévision. En tout cas, c’est seule que Fernande Grudet, âgée d’une trentaine d’années, monte à Paris. Elle commence à fréquenter le milieu corse à Montmartre et vit sa plus grande histoire d’amour avec un arnaqueur professionnel. Si leur amour est fort, les deux amants ne parviennent pas à se faire confiance et se séparent.
La naissance de Madame Claude
Seule et la misère aux trousses, il devient urgent pour elle de travailler. Le proxénétisme sonne alors comme une évidence pour elle : “il fallait faire quelque chose (…), je me suis dit au fond pourquoi pas, c’est peut-être très amusant !” disait-elle, invitée de l’émission Histoires Vraies en novembre 1990. Elle commence par initier ses premières “filles” au nouveau concept de “call girl” arrivé tout droit des Etats-Unis. Celle qui se fait désormais appeler Madame Claude, sert d’intermédiaire et met en relation un garçon (elle n’aime pas l’appellation client) avec une de ses filles, choisie pour lui correspondre. 30% de chaque transaction lui est reversé. “Tout reposait sur elle pour ce qui était de mettre en présence un tel avec un tel. […] Ce n’était pas une maison de passes avec des grands canapés et les filles qui attendaient en petite tenue et les mecs choisissaient comme vous allez chez le boucher chercher un rosbeef, ça n’avait rien à voir !” témoignait Patricia Herszman, une ancienne call-girl de Madame Claude.
En cheffe d’entreprise, cette mère maquerelle choisit avec exigence les jeunes femmes qui entrent dans son réseau. “Je me suis rendue compte qu’il n’y avait pas de très jolies filles au départ. Certaines étaient grandes, elles avaient un vilain nez ou de mauvaises dents. Alors j’ai trouvé les dentistes et les chirurgiens qu’il fallait et je les ai fabriquées” faisait-elle savoir dans l’émission Histoires Vraies. Claude gomme ce qu’elle voit comme des “défauts” physiques et façonne ses call girl dans sa représentation des femmes de rêve. Mais avant de pouvoir figurer dans son carnet d’adresses, les filles ne doivent pas seulement être jolies. Ainsi, elles suivent de véritables formations : hygiène, culture générale, et érotisme font partie du cursus. Ses clients eux aussi sont triés sur le volet et ne peuvent entrer que par parrainage. Toutefois, si leur voix déplait à l’intransigeante Madame Claude, ils ne sont pas acceptés ! La violence est également bannie de tous les rapports entre “ses filles” et “ses garçons” : “ma marchandise est trop délicate pour cela” affirmait-elle. Diplomates, artistes, hommes d’affaires ou politiques se succèdent pour obtenir un moment avec une “fille” de Claude, dont le shah d’Iran, John F. Kennedy, Gianni Agnelli (dirigeant de Fiat), Marlon Brando et même, selon la rumeur, un certain Valéry Giscard d’Estaing…
Pendant près de 15 ans, les affaires fleurissent pour Madame Claude. Si elle assume parfaitement l’état de sa profession, elle en déteste le nom : “Proxénète c’est un vilain mot ! […] J’essayais justement d’enlever tout ce qu’il y a d’équivoque et de laid dans ce métier.” Elle revendique toute sa vie des prestations chic et haut de gamme, réalisées en toute discrétion et sans causer de tort aux ménages. Seulement, elle concède bien volontiers qu’une telle activité ne pouvait subsister aussi longtemps sans la protection de personnes haut placées. On peut lire parfois qu’elle aurait fourni des informations à la brigade mondaine et au Service de Documentation extérieur et de contre-espionnage, ce qu’elle a toujours nié.
La fin d’un mythe
Bien que Madame Claude soit d’une grande prudence avec ses fréquentations, le milieu des années 70 marque le début de sa chute. Avec l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing, la brigade mondaine est dissoute et devient la brigade de répression du proxénétisme. Accusée de fraude fiscale (le seul point où “ils pouvaient la faire tomber” selon elle), la justice lui enjoint de payer 11 millions de francs. Elle fait face à plusieurs procès et s’enfuit pour les Etats-Unis en 1977 avant d’être dénoncée au service de l’immigration. En 1986, alors installée dans une demeure du Lot, elle est incarcérée pendant près d’un an et demi. Elle se retire finalement à Nice dans les années 2000 pour terminer sa vie dans l’anonymat le 19 décembre 2015.
Aujourd’hui encore, la carrière de Madame Claude représente une ascension sociale qui dérange, mêlant sexe et pouvoir. Un film éponyme de Sylvie Verheyde est sorti en 2021 sur la plateforme Netflix, illustrant le destin de cette femme qui n’a flanché devant rien.
Lisa Back
Crédit photo de Une : Capture d’écran de l’émission Super Nanas de Patrick Sébastien.
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