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Pourquoi parle-t-on de « théâtre de boulevard » ?

Aujourd’hui encore, on parle de théâtre de boulevard pour définir une pièce légère, cherchant l’effet et faisant facilement appel aux passions humaines. Mais ce terme mystérieux renvoie à la société parisienne de la fin du XVIIIe siècle, et reste lié de près à l’émergence de la classe bourgeoise.

Le théâtre au cœur de la vie parisienne

Dès le XVIIIe siècle, le théâtre parisien prend son envol sur le boulevard du Temple, ce fameux « boulevard du Crime » peuplé de cafés, dont les grandes avenues sont propices aux promenades. La diversité des attractions en fait le centre du divertissement parisien : on assiste tantôt aux feux d’artifice des frères Ruggieri, tantôt aux pantomimes, aux figures de cire de Curtius et aux comédies du théâtre de Jean-Baptiste Nicolet. Des Folies-Dramatiques aux Variétés, les lieux se multiplient en reprenant le répertoire populaire des foires annuelles présentées à Saint-Laurent et Saint-Germain, à contre-courant des grands théâtres élitistes.

Le boulevard du Crime en 1842

Les pièces jouées dans ces théâtres deviennent des sujets de conversations à part entière, et gare à celui qui ne suit pas l’actualité ! Le succès vient notamment des mélodrames, qui font référence à des faits-divers de l’époque, d’où le surnom de « boulevard du Crime ». L’influence de ces pièces est telle que les costumes des actrices lancent des modes parisiennes. Face à ce succès sans précédent, les théâtres s’étendent sur les nombreux boulevards du Tout-Paris, parallèlement à l’expansion progressive de la bourgeoisie durant le XIXe siècle. On les retrouve alors aux boulevards Saint-Martin, Montmartre ou Montparnasse, si bien que ce répertoire populaire prend désormais le nom de « théâtre de boulevard ».

Un divertissement bourgeois

Ce que l’on nomme le « théâtre de boulevard » dès le XIXe siècle caractérise un genre recherchant l’effet facile plutôt que l’originalité. Les pièces sont guidées par un intérêt commercial, et privilégient ainsi un conformisme d’idées. Le public ciblé est avant tout bourgeois, et les pièces évoluent avec lui : parfois populaires et indélicates, mais toujours morales, elles représentent des personnages entrepreneurs qui sont pris dans des péripéties rocambolesques. Les décors sont grandiloquents et les tours de cirque s’enchaînent, plaçant la littérature au second plan.

Jean Béraud, Le boulevard des Capucines et le théâtre du Vaudeville, 1889

L’écriture du théâtre de boulevard est souvent plate et pauvre, cherchant une fois encore à provoquer l’émotion de la manière la plus facile. Elle est caractéristique des écrits d’auteurs à succès de l’époque, que la postérité n’a pas retenus : on pense notamment à René-Charles Guilbert de Pixérécourt, Victorien Sardou, Eugène Scribe, André Roussin ou Henri Meilhac. En 1839, le poète Théophile Gautier y fait référence en déclarant : « Le théâtre n’est plus aujourd’hui qu’une entreprise industrielle, comme une fabrique de sucre de betterave ou une société pour le bitume ». Certains auteurs, comme Eugène Labiche, sortent tout de même du lot en défendant une écriture plus personnelle et satirique qui anoblit la comédie de mÅ“urs.

Des pantomimes aux mots

On peut considérer que le théâtre de boulevard voit officiellement le jour le 8 juin 1806, date d’un décret de Napoléon Ier concernant les théâtres. L’empereur désire en effet maîtriser les discours défendus dans les pièces, et limite pour cela les représentations à la tragédie classique dans une douzaine de lieux déterminés, dont la Comédie-Française et l’Opéra. Ainsi, les théâtres officiels défendent un art impérial, là où les plus populaires sont cantonnés aux spectacles muets et aux numéros de cirque. Néanmoins, ce décret aura finalement l’effet inverse, puisque la bourgeoisie parisienne préfèrera rire de pièces légères plutôt que d’assister aux longues tragédies pompeuses.

Louis Léopold Boilly, L’Entrée de l’Ambigu-Comique, 1819

Si le théâtre de boulevard demeure longtemps celui du mime, un théâtre de mots voit le jour sous la seconde Restauration et donne naissance à plusieurs genres. Parmi les plus populaires, le mélodrame est inspiré des drames sentimentaux du siècle passé. Souvent accompagné de musique, il présente des personnages manichéens faisant face à des situations excessives et peu vraisemblables. On trouve aussi des féeries, genre contant des récits merveilleux inspirés de contes, avec des personnages folkloriques et mythologiques. Enfin, le vaudeville, une comédie grivoise traitant d’adultère, a aussi le vent en poupe auprès des bourgeois.

Un brin satirique

Aujourd’hui, le vaudeville est le genre le plus connu du théâtre de boulevard, bien qu’il demeure peu considéré par la littérature. Si Eugène Labiche et Georges Feydeau sont retenus, c’est parce qu’ils n’ont pas hésité à parodier le genre, préférant défendre la satire. Cette audace parviendra à choquer la société de la Belle Époque par sa dénonciation de l’amoralité et du conservatisme des Parisiens. Médecins, rentiers, militaires, cocottes… tous servent à se moquer de la bourgeoisie fortunée de la IIIe République. Avec La Dame de chez Maxim’s ou On purge bébé, Feydeau mêle les coups de théâtre, les coïncidences et les quiproquos en reprenant le fameux triangle amoureux du théâtre de boulevard.

Honoré Daumier, Le couplet final, 1862

Le théâtre de boulevard prend tout de même de la hauteur avec la génération suivante, qui compte Sacha Guitry. Lui aussi ricane des ménages à trois dans un intérieur luxueux, mais avec davantage d’éloquence, soulignant son ambition de bousculer les mœurs bourgeoises. Si certaines histoires apparaissent désormais comme étant résolument misogynes, l’auteur développe un style personnel et moderne, jouant sur le bon mot et la mise en abîme. En ce sens, le théâtre de boulevard, bien que stéréotypé et prévisible, peut tout de même être vu comme une réaction à la répression napoléonienne, qui aura permis de faire surgir de nouveaux genres littéraires.

Romane Fraysse

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