Avec son air doux et jovial, l’Ours Blanc du musée d’Orsay semble vouloir nous fausser compagnie. Ce mammifère de pierre grandeur nature a été figé pour l’éternité par un homme bien moins connu que lui : François Pompon. Ce bourguignon a travaillé dans l’ombre des plus grands, avant de rencontrer le succès au crépuscule de sa vie. Rencontre avec un homme discret, amoureux des animaux et précurseur de l’art moderne.
Sculpteur des villes, sculpteur des champs
Le 9 mai 1855, deux nouveaux nés arrivent dans la famille Pompon : François et Hector. Au-dessus de leur berceau, une bonne fée a-t-elle dû choisir à qui elle offrirait une grande destinée ? C’est en réalité leur père, menuisier ébéniste, qui décide pour eux : François travaillera la pierre, et son frère, plus frêle, est voué au travail du bois. Pour se former, François Pompon quitte sa ville natale de Saulieu, située aux portes de la forêt du Morvan, pour rejoindre Dijon. Dans la capitale des Ducs de Bourgogne, il devient apprenti tailleur de pierre chez un marbrier et suit des cours du soir aux Beaux-Arts.
À peine âgé de 20 ans, le jeune artisan pose finalement ses valises à Paris, dans le quartier Montparnasse, où il fonde sa maison/atelier. Il suit des cours à l’École Nationale des Arts Décoratifs et devient l’élève du sculpteur animalier Pierre-Louis Rouillard.
Talentueux et travailleur, Pompon entre en 1890 au service d’Auguste Rodin pour qui il est praticien, puis chef d’atelier. Aux côtés de Camille Claudel et de son amant, le Morvandeau travaille à la réalisation du célèbre Baiser et sur les petites figures de La Porte de l’Enfer. Bien que François Pompon quitte l’atelier de Rodin en 1895, les deux hommes conserveront une grande estime mutuelle. “Petites mains” reconnues à la capitale, Pompon se met également au service des artistes Cuy-Saint-Fiacre, Antonin Mercié ou encore René de Saint-Marceau.
La naissance d’un bestiaire
La journée, cet artiste simple et discret travaille sans relâche auprès d’artistes reconnus de leur temps. Ce n’est que le soir venu que ce passionné se consacre à ses propres sujets. Dans ses débuts, il taille des bustes représentant des membres de sa famille, des personnalités de sa ville natale ou encore des personnages historiques. C’est de cette manière qu’il se fait – timidement – remarquer lors de ses premiers Salons des Artistes français : il présente Buste de Sainte-Catherine, martyre chrétienne (1886) et Cosette (1888). Mais les applaudissements sont de courtes durées…
À partir de 1905, Pompon tourne le dos aux bustes pour se consacrer uniquement à la représentation d’animaux. Sous son marteau et son burin, naissent lièvres, cochons, escargots, hiboux, cerfs, gallinacés et bien d’autres habitants de la forêt et de la ferme inspirés de son enfance.
Devenu parisien, son bestiaire s’étoffe. François Pompon découvre les animaux les plus exotiques qu’il soit au Jardin des Plantes. Muni d’un petit atelier portable, il saisit sur le vif, avec un peu de glaise, les attitudes des panthères les plus féroces, des ours les plus fières, des dromadaires les plus tranquilles ou des oiseaux les plus colorés. On est bien loin des espèces de sa Bourgogne natale !
Malgré un travail acharné, rien n’y fait. Ces petites sculptures animalières sont boudées par la critique. “Ces œuvres n’ont pas été au départ accueillies par le public de manière enthousiaste et chaleureuse car je crois qu’il était en avance sur son temps…” constate Laurence Joignerez, attachée de conservation du patrimoine du musée François Pompon de Saulieu.
François Pompon : un artiste résolument moderne
Alors que l’heure est à la sculpture réaliste constituée de mille détails, François Pompon suit un autre chemin. En précurseur de l’art moderne, il propose une autre interprétation de la réalité en façonnant des animaux minimalistes, représentés selon leurs contours. Avec une surface polie, ses “bestioles” dénotent avec les standards de l’époque. “Il disait qu’il gommait ce qu’il appelait “les falbalas”, tout ce qui était superflu pour lui. Il lissait énormément les formes pour obtenir la quintessence de l’animal, si on peut dire” décrit Laurence Joignerez.
Si ses modèles réduits d’animaux ne sont pas auréolés de succès, ils ne manquent pas de provoquer l’hilarité : “Il a reçu certains sarcasmes, disant par exemple qu’il faisait des “œuvres sans poils ni plumes”. Comme il avait un certain humour, il a réalisé en 1910 Le coq déplumé courant exposé au musée des Beaux-Arts de Dijon. Il a montré un coq qui n’avait vraiment pas de plume et qui n’avait rien à voir avec ce que lui faisait” explique Laurence Joignerez.
Pour le sculpteur, le mouvement surpasse les détails. Ainsi, et même en l’absence du relief des plumes ou de la fourrure, son bestiaire semble prendre vie à chaque instant.
Un succès tardif
L’histoire de François Pompon est aussi une histoire de patience et de persévérance. Après 40 ans à exposer son travail, le succès est éclatant lors du Salon d’Automne de 1922. Pour la première fois, il y présente un ours blanc grandeur nature, sur les conseils de ses amis Antoine Bourdelle et Robert Rey. Cette immense bête d’1m60 de haut a su charmer visiteurs et critiques avec son air tranquille. Il n’aura suffit qu’un changement d’envergure pour que le sculpteur de 67 ans connaisse enfin le succès ! Il peut désormais se consacrer pleinement à ses sujets, façonner des œuvres monumentales comme Le Pélican (1924) ou Le Grand Cerf (1929) et répondre à des commandes toujours plus nombreuses.
La même année, l’Etat commande sa propre version de l’Ours Blanc, exposée au musée d’Orsay depuis lors. Le plus célèbre ours polaire de l’histoire de l’art fêtera donc son centenaire cet automne !
Pompon s’éteint onze ans plus tard, en mai 1933, avant d’être inhumé dans sa ville natale de Saulieu. Pas moins de 3 000 œuvres seront léguées à l’État.
Aujourd’hui encore, l’art de Pompon fascine et dépasse les frontières. Des expositions aux quatre coins du monde viennent encore saluer le travail de celui qui a su renouveler le genre de la sculpture animalière.
À lire également : Camille Claudel, une artiste torturée au talent exceptionnel
Les sculptures les plus inquiétantes de Paris
Le Paris de Brassaï, des Montparnos aux graffitis