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Le restaurant, une révolution des mœurs née à Paris

Restaurant au XIXe siècle. Getty DeAgostini

On cite souvent Paris comme la capitale mondiale de la gastronomie, mais on ignore qu’elle a donné naissance au premier restaurant moderne de notre histoire. Probablement créé par l’économiste libéral Mathurin Roze de Chantoiseau en 1765, ce nouvel établissement s’oppose aux traditionnelles auberges en proposant une cuisine saine, selon une carte à prix fixe, et servie à une table privée. Une révolution des mÅ“urs née d’un idéal égalitariste, mais qui a souvent préféré suivre la logique du capital.

Les auberges d’autrefois

Le restaurant est une invention moderne. S’il n’existait pas dans la France de l’Ancien Régime, des cuisiniers traiteurs organisaient déjà des noces ou des banquets pour les privilégiées. Les plus modestes pouvaient quant à eux se rendre chez les aubergistes, qui proposaient un unique plat à heure fixe. Généralement, on les accueillait dans une pièce assez rustique disposant de quelques tables où s’attablaient les clients. L’objectif était alors de se repaître avec un plat peu raffiné. Ainsi, selon un almanach de 1769, Paris comptait déjà 590 traiteurs et aubergistes où l’on pouvait « prendre des repas copieux, à vingt-six sous, composés d’une soupe, d’un bouilli, d’une entrée, pain, vin et un dessert ».

Jan Steen, Fête dans une auberge, 1674
Jan Steen, Fête dans une auberge, 1674

Les plaintes fusaient de la part des voyageurs, qui déploraient le manque d’hygiène des auberges, le peu d’hospitalité de leurs hôtes, ou les prix aléatoires et exorbitants. La France était d’ailleurs connue en Europe pour sa nourriture sale et insipide. Plusieurs obligations rendaient aussi ces lieux contraignants : partager sa table et sa nourriture avec des inconnus n’était pas toujours très appréciable, et ni le plat ni l’heure du repas ne pouvaient être choisis par le client.

L’invention du restaurant moderne

Si la date et le lieu d’invention du restaurant semblent actés, les historiens ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le créateur de ce nouvel établissement. Le premier restaurant serait donc apparu en 1765 dans la rue des Poulies à Paris. Selon certains chercheurs, un marchand de bouillon du nom de Boulanger serait à l’origine de cette affaire. Il aurait été le premier à proposer des volailles bouillies, des œufs frais ou des pieds de mouton servis à une table privée dans un établissement, à toute heure de la journée et à prix fixe. Une carte est d’ailleurs affichée à l’entrée, avec le coût des repas. Selon certains témoignages, sur la devanture, on pouvait aussi trouver la devise suivante : « Venez tous à moi, vous dont l’estomac crie misère, et je vous restaurerai », qui aurait donné naissance au nom « restaurant ». Le restaurant devient donc avant tout le lieu où l’on se fortifie.

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George Cruikshank, Déjeuner au Palais-Royal, 1822

Mais L’Almanach du Dauphin de 1777 cite un certain Mathurin Roze de Chantoiseau comme étant l’inventeur du restaurant moderne en 1765. Selon certains historiens, « Boulanger » ne serait d’ailleurs que le surnom de cet homme, un économiste libéral qui a décidé de reprendre la boulangerie familiale pour concevoir un lieu de restauration en accord avec ses convictions. En lien avec la philosophie des Lumières, Mathurin Roze de Chantoiseau désire proposer une cuisine simple et de qualité, qui puisse être accessible à tous grâce à des prix modiques. Contre les corporations qui restreignent les libertés individuelles en répartissant les tâches, il défend la circulation de l’argent et une plus grande égalité sociale. Ambitieux, il présente même un nouveau programme fiscal au roi Louis XVI, mais ses idées révolutionnaires sont mal reçues, ce qui le conduira à la prison de la Bastille durant un temps.

De l’hygiénisme avant l’heure

Si Mathurin Roze de Chantoiseau souhaitait défendre une vision libérale de la cuisine, l’ouverture des premiers restaurants à Paris s’inscrit plutôt comme un avant-goût de la doctrine hygiéniste du XIXe siècle. Les établissements deviennent spécialisés dans le service de « plats restaurateurs », autrement dit, de plats à la fois substantiels et faciles à digérer comme des œufs durs ou des pâtes au beurre. La médecine de l’époque considère en effet que la mauvaise digestion est directement liée à l’apparition de maladies de la poitrine ou des nerfs. L’apparence des plats a aussi une réelle importance : il faut que la nourriture soit de couleur claire pour assurer un repas sain.

Honoré Daumier, Au restaurant a 32 sous, 1849
Honoré Daumier, Au restaurant a 32 sous, 1849

Ainsi, les nouveaux restaurateurs parviennent à convaincre leurs clients avec cet argument médical. Mathurin Roze de Chantoiseau se spécialise notamment dans la « volaille à la sauve poulette », un véritable succès qui lui vaut la colère des rôtisseurs de l’époque. En proposant le service à une table privée, selon le choix du client, le restaurant s’organise ainsi selon des règles d’hygiène précises qui attirent une clientèle de plus en plus nombreuse.

Une démocratisation progressive

Inventé en 1765, le restaurant moderne n’est donc pas né sous la Révolution française, comme une légende a pu le raconter. De nombreux établissements ont vu le jour dans Paris quelques années après l’initiative de Mathurin Roze de Chantoiseau. En revanche, cet événement contribue à développer l’activité des restaurateurs, qui sont parfois d’anciens cuisiniers d’aristocrates. On peut prendre pour exemple Méot, un ancien boucher de la maison de Condé qui ouvre en 1791 un restaurant particulièrement apprécié par Robespierre et Saint-Just. Ainsi, en 1805, la capitale compte environ 300 restaurants, qui tripleront quinze années plus tard. Un engouement qui n’échappe pas à Grimod de La Reyniere, qui publie la première critique gastronomique dans son Almanach des Goumets, paru en 1803.

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800px-Le_bouillon_Duval_dans_le_parc_du_Champ-de-Mars

Toutefois, malgré ses promesses égalitaristes, le restaurant demeure un lieu dédié à la bourgeoisie durant plusieurs décennies. C’est avec la révolution industrielle, à partir du milieu du XIXe siècle, que des restaurants populaires avec des plats à moins de 2 francs commencent à ouvrir. Les « bouillons », inventés par Pierre-Louis Duval en 1855, servent ainsi les bas morceaux de viande de bœuf avec un bouillon de légumes à une clientèle majoritairement ouvrière. Un service de restauration rapide qui se développe dans l’ensemble de Paris en peu de temps, et commence à attirer les artisans et les étudiants. Ainsi, si le restaurant reflète un nouveau mode de vie fidèle à la pensée libérale, il dévoile une préoccupation plus capitaliste qu’égalitariste, qui s’illustre aujourd’hui dans la capitale, connue pour sa vie injustement chère.

Romane Fraysse

À lire également : La petite histoire des bouillons parisiens

Image à la une : Restaurant au XIXe siècle – © Getty DeAgostini

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